La production d’une mémoire ordinaire du territoire par des dispositifs de « storytelling participatif »

Réponse attendue pour le 15/07/2022

Type de réponse Résumé

Type d’événement Journée d’étude

Coordinateurs

Dates de l’événement
  • Le

Lieu de l’événement MSH Paris Nord (présentiel et distanciel),

Cette journée d’étude vise à repérer et analyser des dispositifs de médiation et de communication qui produisent des récits et des représentations du territoire par des procédés de storytelling et d’écritures participatif·ve·s, qui le plus souvent reposent sur la participation des habitant·e·s ordinaires. Parmi ces dispositifs, se trouvent par exemple des services de « Chief Storytelling » créés par les municipalités de Detroit (2017), Atlanta et Denver (2018), qui ont pour mission explicite de combattre la gentrification « culturelle » et l’invisibilisation des cultures issues des minorités dans la représentation médiatique locale et nationale. Le service de la ville de Denver, nommé « I am Denver », semble particulièrement innovant dans la mesure où il convie les habitant·e·s lors de « storytelling labs  » à venir raconter leur(s) histoire(s) personnelle(s) et leur lien d’appartenance avec la ville. Il cherche ainsi à composer une représentation de la ville plus exacte à partir de la mémoire ordinaire des habitants.

D’autres exemples concernent des dispositifs qui mettent en avant la parole et la mémoire des hommes et des femmes ordinaires, souvent d’origine journalistique ou artistique (« Humans of New York », « The Moth », « Hoxton Story », « [murmur] », « Storycorps », « Les pieds sur terre » ou “Fragments” sur Arte), parfois d’origine associative (« The Swedish Number », « The Human Library »), institutionnelle (« Totem Rouen Insolite ») ou commerciale (guides touristiques iziTravel). Ils ont démarré aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, en France ; certains d’entre eux se sont internationalisés.

Comme plusieurs travaux l’ont montré notamment ceux de Bernard Bensoussan et Sarah Cordonnier (2011) sur les Minguettes, la mémoire des expériences locales, qui ne sont jamais limitées à l’expérience de la localité, s’inscrit dans des contextes sociaux, politiques et d’expériences individuelles, ainsi que dans des discours. Ces discours, en tant que producteurs de représentations, ont aujourd’hui un retentissement beaucoup plus large par le développement de figures accoudées à la sphère politique tels que les Chief Storyteller de la ville de Denver, par exemple, et supportés par la mise en place de plateformes numériques visant à narrer, communiquer, échanger sur le récit de citoyens ordinaires. Ces plateformes ont aussi parfois pour vocation de “portraitiser” les habitants et de les “humaniser” à travers des photographies les mettant en scène. Cette mise en scène a justement pour objectif de leur donner la parole pour raconter la ville mais peut aussi être vecteur de communication politique à l’échelle locale.

En proposant une réflexion sur ces dispositifs, l’objectif de la journée d’étude est de saisir la façon dont ils produisent des représentations du territoire, le type de représentations suscitées, le rôle de la narration, du récit de soi et de la parole ordinaire dans ce processus, mais aussi d’évaluer la portée de ces dispositifs et leurs effets sur l’action publique et sur la fabrique du territoire. Les contributions attendues pourront s’inscrire à la croisée de plusieurs champs scientifiques dans l’un ou plusieurs des axes suivants qui permettent d’appréhender ces aspects. Nous souhaitons également inviter des professionnels de la communication (territoriale, institutionnelle, ou autre) et établir un dialogue avec les chercheur·e·s lors de tables-rondes.

Axe 1 : Récits et discours mémoriels, appropriation des territoires et production de la ville

Le premier axe se profile autour de la façon dont la mémoire collective est construite et constituée sur un territoire. L’inscription spatiale de la mémoire a été mise en évidence dès les travaux fondateurs de Maurice Halbwachs (1950/1968 ; Iogna-Prat, 2011). Sa réflexion révèle d’une part le caractère social et relationnel de la mémoire, d’autre part, sa dimension spatiale, et montre la façon dont la mémoire s’ancre dans l’espace et participe à la construction des territoires (Auboussier et Garcin-Marrou, 2011).

Face au renouvellement urbain et à la gentrification, la capacité à s’inscrire durablement dans la ville est très inégale entre les différents groupes sociaux. Entre démolition du bâti qui conduit à un effacement mémoriel, et patrimonialisation de quelques espaces choisis, souvent vecteur d’appropriation symbolique des espaces désaffectés par les classes moyennes, la mémoire ouvrière et des groupes dominés est souvent occultée (Ripoll et Veschambre, 2005 ; Veschambre, 2005 ; Gravari-Barbas et Ripoll, 2010). Récemment, certains travaux académiques ont employé la notion de « gentrification de la mémoire » pour décrire ces processus (Tolfo, 2019 ; Tolfo et Doucet, 2022), quand d’autres prennent en compte l’importance d’un « droit à la mémoire » pour les mémoires subalternes, et d’une construction de légitimités ordinaires dans les revendications pour un « droit à la ville » (Didier, 2018 ; Didier et Philifert, 2019).

Les dispositifs qui nous intéressent proposent de lutter contre cette gentrification symbolique en produisant une narration et une représentation du territoire différentes de celles diffusées par les médias traditionnels. De nombreux travaux montrent, d’une part que les médias donnent à voir une image déformée de la réalité des territoires, d’autant plus pour des territoires marginalisées et stigmatisées comme les banlieues françaises (Champagne, 1991 ; Berthaut, 2013), les ghettos noirs américains (Wacquant 2007), ou même les quartiers populaires en voie de gentrification (Ruchs-Ahidiana, 2018), et d’autre part, que les habitant·e·s de ces territoires ressentent cette stigmatisation et qu’ils/elles souhaiteraient une représentation plus réaliste de leur ville ou quartier (Bensoussan et Cordonnier, 2011 ; Costera-Meijer, 2013).

Dans quelle mesure ces projets de « storytelling participatif » re-façonnent-ils le récit mémoriel local et ainsi modifient-ils la représentation du territoire ? Quel rôle jouent-ils dans la production de la ville, c’est-à-dire dans la production de son espace et son appropriation par divers groupes sociaux ?

Axe 2 : Design et architecture matérielle des dispositifs numériques de storytelling

Une deuxième strate de questionnements porte sur le design, le fonctionnement et les usages de ces nouveaux dispositifs, du fait de leur dimension participative. Le développement de ces outils analysés par la sociologie de l’action publique et des usages (Lascoumes & Le Galès, 2007 ; Akrich, 1993 ; Jouët, 2000) ou encore par des « ethnographies de la participation » (Céfaï et al., 2012), interroge la recomposition de l’État contemporain instrumenté. D’un côté, il s’agit de considérer ces instruments d’action publique comme des outils de médiation au service de l’organisation de rapports sociaux entre les pouvoirs publics et les citoyen·nes (Lascoumes & Le Galès, 2004 ; 2007), devant permettre de faire remonter la parole de ces derniers, ou même de les inclure dans le processus de décision. D’un autre côté, l’outil technique peut contraindre l’expérience et la participation des utilisateurs selon la volonté du concepteur : en l’incluant (Badouard, 2014 ; Mabi 2015 ; Monnoyer-Smith, 2011), en le contraignant (Arsène & Mabi, 2021) dans une dynamique d’injonction participative (Blondiaux & Sintomer, 2002 ; Blondiaux, 2008 ; Proulx, 2020) ou en encadrant sa participation à l’outil (Badouard 2014 ; Laurent et al. 2018) à travers un design spécifique ou des modalités originales d’action sur le contenu qui vont inciter le citoyen ordinaire à participer.

En quoi le design organisationnel des dispositifs influe-t-il sur la nature et le degré de participation des habitants ? En quoi les nouvelles possibilités offertes par les technologies numériques favorisent-elles le développement de démarches de « storytelling participatif » dans les actions de médiation et de communication territoriales ?

Axe 3 : Dimension participative et storytelling du territoire

Un troisième axe s’intéresse de plus près à la démarche de « storytelling participatif » et au recueil des histoires ordinaires et des récits de vie des habitant·e·s. Dans le contexte de développement d’une « société biographique », divers travaux montrent l’importance croissante prise par le récit de soi et révèlent les enjeux paradoxaux des injonctions à se dire : le récit de soi serait pris dans une tension entre assujettissement et subjectivation, entre bio-politique et auto-bio-graphie (Delory-Momberger, 2012). Ce point fait référence à la théorie foucaldienne des rapports entre gouvernementalité et formation du sujet moderne (Foucault 2004a, 2004b, 2012) et pose la question des rapports entre la participation croissante des individus ordinaires à des dispositifs médiatiques et politiques, mise en récit de cette participation et démocratisation de la société. En effet, d’un côté le storytelling a donné lieu à de nombreux travaux critiques qui l’envisagent comme un pouvoir de narration venant s’ajouter aux multiples techniques disciplinaires de la gouvernementalité (Salmon, 2008 ; Godin, 2014). De même, l’enrôlement des gens ordinaires dans des dispositifs participatifs a été critiqué comme relevant d’un populisme qui aboutit en fait à dépolitiser les phénomènes, c’est-à-dire à en masquer l’émergence historique et l’identification des pouvoirs qui les façonnent (Clarke, Vannini, 2013). D’autres considèrent que la présence croissante des gens ordinaires dans les contenus médiatiques s’est traduite par une extension du divertissement et de sa marchandisation plutôt que par un accroissement de la pluralité de l’information et de la diversité culturelle (Turner, 2010).

De l’autre côté, des travaux enthousiastes affirment que le storytelling (dans une acception anglo-saxonne qui dépasse les seuls champs du management et du marketing) peut aider à la reconnaissance mutuelle, voire à la réconciliation entre communautés (Maiangwa et Byrne, 2015 ; Schnur, 2015), ou encore à renforcer l’intercompréhension dans des quartiers défavorisés (Costera-Meijer, 2013). En outre, des travaux montrent que le récit de vie et le portrait modélisent la représentation des liens entre individus et communauté (Wrona, 2005) et participent au développement de la subjectivité, de la réflexivité et de l’autonomie des individus (Butler, 2005 ; Beyaert-Geslin, 2017). Enfin, l’accent mis sur les histoires ordinaires invite à s’inscrire dans la perspective tracée par Michel De Certeau (1990) qui, dans le cadre de sa théorie des pratiques ordinaires de résistance à la culture dominante, prête une grande attention aux « arts de dire » et à l’acte de raconter des histoires. Partant, les dispositifs de storytelling participatif identifiés témoignent-ils d’une reconnaissance des pratiques, de la mémoire et de la culture ordinaires des habitants, ou sont-ils au contraire des techniques de gouvernement qui institutionnalisent le récit de soi, et ainsi « colonisent » (terme employé par De Certeau) ces rares pratiques ordinaires non encore colonisées par le système du pouvoir moderne ?

Références bibliographiques

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Modalités de soumission

 

La Journée d’étude, qui se veut pluridisciplinaire, est ouverte à différents champs de recherche en sciences humaines et sociales. Les propositions de communication (500 mots environ hors bibliographie) sont à envoyer au plus tard le 15 juin 2022, accompagnées d’un titre et d’une courte présentation de l’auteur (statut, université ou organisme de rattachement…) aux adresses suivantes :

Les réponses aux propositions de communications seront données à leurs auteurs au plus tard le 15 juillet 2022, après retour du comité scientifique. La Journée se déroulera le 14 octobre 2022 à la MSH Paris Nord (en format hybride : présentiel et distanciel). Cette journée est soutenue par la MSH Paris Nord.

Membres du Comité Scientifique

  • Alix Bénistant (MCF, Université Sorbonne Paris Nord)
  • Marion Dalibert (MCF, Université de Lille)
  • Amaia Errecart (MCF, Université Sorbonne Paris Nord)
  • Anne Gagnebien (MCF, Université de Toulon)
  • Claire Oger (PU, Université Paris-Est Créteil)
  • Jérémy Vachet (MCF, Audencia Nantes)

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