Communication & Organisation

L’intervention en organisation : quels enjeux pour la communication organisationnelle ?

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Informations éditées à partir d’une annonce Calenda.

Réponse attendue pour le 01/11/2021

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Communication & Organisation

Coordinateurs

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Argumentaire

Depuis les années 1980, le champ de recherche en communication organisationnelle s’est développé et structuré dans une logique de prise de distance par rapport aux phénomènes communicationnels et organisationnels observés. Cette distanciation visait à légitimer le champ, tant vis-à-vis des recherches en relations publiques dont les visées fonctionnalistes dominaient (Grunig & Hunt, 1984) que vis-à-vis de la sociologie des organisations dont les contributions scientifiques atteignaient déjà un certain degré de maturité  (Crozier et Friedberg, 1977). Ce positionnement a favorisé la production de bon nombre de recherches interprétatives et critiques permettant le développement d’une compréhension plus riche et plus complexe de ce qu’est la communication organisationnelle, bien au-delà de la simple transmission efficace de l’information.

Plus de 40 ans après, la production scientifique du champ jouit d’une légitimité importante reposant, notamment, sur l’analyse de l’activité (Delcambre, 2007) et des systèmes d’acteurs, l’analyse des normes et formes organisationnelles (Le Moënne, 2013) et des dispositifs de communication (Andonova, 2015). Les approches communicationnelles des organisations (Bouillon, Bourdin et Loneux, 2007), comme aussi des approches dites « constitutives » (Boivin et al., 2017), composent aujourd’hui un ensemble théorique et méthodologique suffisamment remarquable pour être mis à l’épreuve de l’intervention des chercheurs en communication.

Cette production scientifique n’est pas indifférente aux transformations du paysage économique et social. Pourtant, au-delà des contacts nécessaires à la production des données empiriques qui nourrissent le travail de recherche et des enseignements universitaires, les interactions sont encore rares entre le monde de l’organisation et celui de la recherche en communication organisationnelle. Lorsqu’elles ont lieu, elles aboutissent souvent au constat d’un hiatus entre les enjeux de la recherche et ceux de l’organisation. Les travaux de plusieurs collègues se sont ainsi centrés sur les tensions épistémologiques entre praticiens de la communication et chercheurs du domaine (Morillon, 2016 ; Morillon, Carignan et Parrini-Alemanno, 2020). D’autres se sont penchés sur les modalités et ambiguïtés de l’audit ou de l’accompagnement du changement (Carayol, 2004 ; Lambotte et Scieur, 2013).

Si intervenir, c’est prendre part à une action, comment y prendre part effectivement en communication organisationnelle ? À quel titre et pour quelle(s) visée(s) ? Plusieurs chercheurs ont déjà contribué à éclairer cette question. La revue Communiquer y a récemment consacré un numéro mettant en lumière des expériences où se déploient, tantôt des pratiques d’accompagnement participatif à visée émancipatrice, tantôt des interventions à visée médiatrice visant à réduire les tensions au sein des milieux organisés et faciliter la gestion de crises. D’où il ressort que l’intervention « […] revêt simultanément une dimension sociale et une dimension culturelle reposant sur des stratégies de capacitation (pouvoir d’agir) en contexte » (Ruelland, Lafortune et Rhéaume, 2020).

Notre objectif, dans ce numéro, est d’ouvrir le débat sur les modes d’intervention et ce qu’ils produisent comme effets sur la production du savoir scientifique, sur la posture du chercheur, sur la manière dont les sciences de l’information et de la communication peuvent prétendre « intervenir » dans les organisations sans se départir de la critique (Heller, Huët et Vidaillet, 2013 ; Bernard, 2016) comme condition d’accomplissement de la recherche en communication organisationnelle. Plusieurs axes de réflexion sont ici envisagés :

Les formes et modalités d’intervention du chercheur en communication organisationnelle

Malgré la diversité des recherches conduites en communication organisationnelle, la contribution du chercheur à l’organisation est paradoxalement assez peu questionnée sous l’angle de l’intervention. Or c’est précisément la nature de cette contribution qui retient ici notre attention. Le statut et le rôle de l’intervenant sont à préciser, sachant que les figures de l’expert ou du consultant ne se confondent pas avec celle du chercheur (Ardoino, 1989). Entre pôle scientifique et pôle praxéologique, comment la production de connaissances peut-elle composer avec une « demande » ou une « commande » dont la résolution de problème constitue la visée téléologique première ? Et quelle place accorder à la recherche dans un foisonnement de “problématiques” souvent réduites aux temporalités et attendus de l’étude ?  La recherche-action, « conçue comme un outil de travail permettant de faire participer à l’analyse savante et/ou à l’évaluation de leurs résultats les membres d’une organisation donnée » (Meyer, 2006) est-elle compatible avec une démarche scientifique selon laquelle les tenants conceptuels et méthodologiques des résultats et de leur analyse supposent aussi qu’ils soient accessibles à d’autres chercheurs et, ce faisant, réfutables ?

La traduction de construits conceptuels par/dans l’intervention

La maturation d’un bagage théorique en communication organisationnelle amène plusieurs chercheurs à s’interroger sur ses usages dans l’intervention. Quelle place et formes celle-ci peut-elle prendre en tant qu’elle procéderait d’une mise à l’épreuve de concepts, voire à leur émergence ? Quelles implications d’ordres épistémologique et méthodologique peut-il en résulter ? Entre les prétentions communicationnelles de l’organisation et l’opérationnalisation d’un appareil théorique construit par les chercheurs, l’intervention en organisation est aussi à lire dans la trivialité d’une épistémologie (Jeanneret, 2014) dont les balises conceptuelles servent une stratégie. Outre l’enrôlement de chercheurs chevronnés dans un processus de traduction complexe, l’intervention comme condition d’accomplissement d’une recherche doctorale mérite qu’on l’interroge dans toute l’ambivalence d’une observation participante ou d’une participation observante : qu’en est-il, par exemple, des analyses processuelles et critiques dans les recherches conventionnées de type CIFRE (Foli et Dulaurans, 2013 ; Grignon, 2020) ?

Au demeurant, l’enseignement et la formation constituent déjà des formes importantes d’intervention en organisation (de Saint-Georges, 2000), sachant que les logiques de professionnalisation à l’œuvre dans les cursus académiques et la formation professionnelle articulent nécessairement l’acquisition de savoirs et le développement de compétences éprouvées sur le terrain. Par-delà l’impératif d’efficacité (Seurrat, 2018, de la Broise et al., 2020), comment ne pas réduire l’intervention des apprenants en organisation, notamment dans le format de l’alternance, au strict accomplissement de leurs missions  ?

L’intervention comme responsabilité sociétale de la communauté scientifique ?

La pandémie a démontré la nécessité et la complexité pour les organisations de faire face à la crise en maintenant le lien et la communication au sein de l’organisation. Elle a également questionné le rôle et la responsabilité des scientifiques dans ces temps troublés. À l’instar des collègues épidémiologistes ou infectiologues, devons-nous entrer dans une logique d’intervention où les frontières entre recherche, espaces publics et sphères décisionnaires apparaissent de plus en plus poreuses et floues ? Devons-nous prendre part active à la réflexion et/ou à la mise en œuvre de « solutions » face aux problèmes complexes auxquels les organisations sont confrontées ?

A titre d’exemple, des recherches démontrent depuis de plusieurs années, par l’analyse critique du discours managérial, l’extension des phénomènes d’aliénation au travail (Heller et al., 2013). Or les signes d’une souffrance, à l’instar des incapacités de travail longue durée, interpellent le chercheur sur la portée de ses analyses et sa contribution effective au débat public, comme aussi à une possible remédiation.  La question de l’engagement (Heinich, 2002 ; Fleury-Vilatte, B., Walter, J., 2002) est à nouveau posée en ce que l’intervention bouscule très sensiblement la neutralité axiologique du chercheur.

L’intervention comme condition d’accomplissement de la recherche ?

Les politiques de financement de la recherche mises en œuvre à l’échelle européenne, nationale et régionale conduisent à une redistribution des moyens réduisant la part des recherches fondamentales au profit de recherches appliquées, évaluées au prisme de leurs retombées socio-économiques. Cette modification dans les clés de répartition des moyens tend à privilégier les sciences expérimentales et conduit fort logiquement les chercheurs à développer des stratégies de financement de recherche à visée applicative. Quels types de productions scientifiques en résulte-t-il ? Que sont les applications envisagées ? En quoi sont-elles vectrices d’une transmission du savoir existant ? Ouvrent-elles la possibilité pour des approches autres que fonctionnalistes ? Quelles formes de réflexivité sont-elles envisageables dans ce type de recherche ? Quelles peuvent en être les conséquences sur l’ethos du chercheur ?

Calendrier

  • Envoi des propositions sous forme de résumés : 4 octobre 2021
  • Retour aux auteurs de la sélection des propositions : 18 octobre 2021
  • Remise de l’article intégral : 17 janvier 2022
  • Retour aux auteurs de l’évaluation par le comité de lecture : 1er mars 2022
  • Retour des articles définitifs (revus après évaluation) : 15 mars 2022
  • Envoi du dossier aux PUB : 1er avril 2022
  • Publication du numéro : juin 2022

Modalités de contribution

Consignes de rédaction des propositions (résumés) :

  • 6000 caractères, espaces comprises
  • Bibliographie non comptabilisée dans le nombre de caractères
  • Sur une page de garde : titre de la proposition, prénom et nom de l’auteur, université, laboratoire, adresse électronique, cinq mots-clés
  • Le résumé doit permettre de bien identifier la problématisation, le cadre théorique et conceptuel, la méthode, les analyses et la discussion.

Les propositions seront envoyées aux adresses suivantes :

Consignes de rédaction des articles définitifs :

  • 35 000 caractères, espaces compris, bibliographie comprise -Les normes de mise en page des articles définitifs sont accessibles en ligne sur le site de la Revue : https://journals.openedition.org/communicationorganisation/5909
  • La mise en forme finale selon les normes fournies conditionnera l’acceptation définitive de l’article. L’évaluation des articles complets sera faite en double aveugle par le comité de lecture de la revue. Vous pouvez consulter la liste des membres du comité de lecture à la page suivante : https://journals.openedition.org/communicationorganisation/5910

À propos des coordinateurs du numéro

  • Patrice de la Broise est Professeur des universités en sciences de l’Information et de la Communication et directeur du Groupe d’Études et de Recherche interdisciplinaire en Information et Communication (GERiiCO – ULR 4073). Il analyse principalement l’organisation dans son rapport au texte. Ses recherches portent sur les processus de normalisation et l’écriture de l’activité par des acteurs « enrôlés » dans une activité d’écriture qui affecte l’accomplissement (et le sens) de leur action.
  • François Lambotte est fondateur du Social Media Lab (SLB), laboratoire sur les médias socio-numériques dans le monde professionnel, et membre du Laboratoire d’Analyse des Systèmes de Communication des Organisations (LASCO). Il est ingénieur de gestion (2001), docteur en sciences de gestion (2006) et professeur à l’UCL Mons spécialisé dans la communication du changement et l’audit de communication interne basé sur l’analyse des réseaux. Il a réalisé plusieurs recherches sur l’incidence des technologies sur la gestion de projet.

Références

Andonova, Y. (2015). De l’invisibilité des dispositifs numériques à la légitimation de la communication en entreprise. Sociologies pratiques, 30, 43‑52.

Ardoino, J. (1989). « D’une ambiguïté propre à la recherche-action aux confusions entretenues par les pratiques d’intervention » in Pratiques de Formation/Analyses, 18

Bernard, F. (2016). Les traversées des recherches critiques : entre cheminements parallèles, entrelacs et entrechocs », Questions de communication, 29, 159-193.

Boivin, G., Brummans, B. H. J. M., & Barker, J. R. (2017). The Institutionalization of CCO Scholarship : Trends from 2000 to 2015. Management Communication Quarterly, 31(3), 331‑355.

Bouillon, J.-L., Bourdin, S., Loneux, C. (2007). De la communication organisationnelle aux « approches communicationnelles » des organisations : Glissement paradigmatique et migrations conceptuelles. Communication et organisation, 31, 7‑25.

Bouzon, A., Meyer, V. (2008). La communication des organisations : entre recherche et action, L’Harmattan

Carayol, V. (2004). Communication organisationnelle : une perspective allagmatique, L’Harmattan.

Crozier, M., Friedberg, E. (1977). L’Acteur et le système. Les Contraintes de l’action collective. Seuil.

Delcambre, P. (2007). Pour une théorie de la communication en contexte de travail appuyée sur des théories de l’action et de l’expression. Communication et organisation, 31, 42‑63.

de La Broise, P., Foli, O., Léonard, E., Matuszak, C., Saint-Georges, M-È. (2020). Quelle place pour la recherche dans l’apprentissage des métiers de la communication, Communication & Professionnalisation, 10, 15-33

de Saint-Georges, P. (2000). La « formation-symptôme  » intervention et changement dans les organisations. Communication et Organisation, 17, 194‑216.

Fleury-Vilatte, B., Walter, J. (2002) “L’engagement des chercheurs”, Questions de communication, 2, 2002, 105-115.

Foli, O., Dulaurans, M. (2013). Tenir le cap épistémologique en thèse Cifre. Ajustements nécessaires et connaissances produites en contexte », Études de communication, 40, 59-76.

Grignon, T. (2020). L’influence » comme prétention : contribution à une ethnosémiotique de l’expertise dans le conseil en communication, Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication (Y. Jeanneret, dir.), soutenue le 17 décembre 2020 à Sorbonne Université.

Grunig, J. E., Hunt, T. (1984). Managing Public Relations. Harcourt Brace College Publishers.

Heinich, N. (2002). « Pour une neutralité engagée », Questions de Communication, 2, 117-136

Heller, T., Huët, R., Vidaillet, B. (2013). Communication et organisation : Perspectives critiques. Presses universitaires du Septentrion.

Jeanneret, Y. (2014) Critique de la trivialité. Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Le Havre, Éditions Non Standard

Lambotte, F., Scieur, P. (2013). Le statut du rapport dans l’audit organisationnel : De sa légitimation par l’écriture. à son action comme agent non humain. Études de communication, n° 40 (1), 111‑128.

Le Moënne, C. (2013). Entre formes et normes. Un champ de recherches fécond pour les SIC. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2.

Meyer, V. (2006). De l’utilité des recherches-actions en SIC, Communication et organisation, 30, 89-108.

Morillon L. (2016). Quand chercheurs et praticiens interagissent. Une mise en rapport dialogique de l’épistémè et de la praxis en communication des organisations-organisationnelle, Habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication. Université de Toulouse.

Morillon, L., Carignan, M.-È., & Parrini-Alemanno, S. (2020). Influences croisées entrepratiques et recherches en communication des organisations : Revue Communication & professionnalisation, 10.

Neveu, É. (2003). Recherche et engagement : actualité d’une discussion ». Questions de communication, 3, 109-120.

Seurrat, A. (2018) « Les savoirs sur la communication face à l’impératif d’efficacité », Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’information et de la communication soutenu le 7 décembre 2018. Celsa Paris-Sorbonne.