Les mèmes : approches sémiolinguistiques et discursives

Réponse attendue pour le 30/07/2022

Type de réponse Résumé

Type d’événement Journée d’étude

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Dates de l’événement
  • Le

Lieu de l’événement Pise , Italie

L’avènement du Web 2.0 et l’émergence des réseaux sociaux numériques (RSN), aux débuts des années 2000, ont marqué un tournant radical dans la manière de concevoir la communication et les pratiques sociodiscursives qui leur sont associées. La galaxie numérique est ainsi devenue un terrain d’étude fertile pour les chercheurs et chercheuses dans de nombreux domaines des sciences humaines et sociales, tels que la sociologie, les sciences de l’information et de la communication, l’Histoire, l’anthropologie, les sciences de l’éducation, la littérature et, bien évidemment, les disciplines linguistiques et discursives.

L’analyse du discours en et hors France ne cesse depuis ces dernières années d’enrichir le débat autour du numérique à travers de nombreuses analyses sémiotiques, sémantiques et pragmatiques, portant aussi bien sur des études exploratoires que sur le dépouillement de grands corpus (Longhi, 2017 ; Longhi et Vicari, 2020), souvent en lien avec des notions clés de la rhétorique et de l’argumentation comme celle d’ « autorité » (Vicari, 2021), de « polémique » (Mercier, 2015) ou de « violence verbale », voire de « haine », en ligne (Romain & Fracchiolla, 2016 ; Doucet, 2020 ; Amadori, 2012). Alors que d’autres études insistent sur les routines scripturales et énonciatives de l’écriture numérique (Marcoccia, 2016), ou bien sur la typologisation de nouveaux technogenres (Longhi, 2013 ; Paveau, 2013 ; Halté 2019), Marie-Anne Paveau s’attache dans son ouvrage heuristique à donner une assise épistémologique et théorique solide aux concepts et aux notions opératoires en Analyse du discours numérique (ADN) et, corollairement, à cerner une première caractérisation des nouvelles pratiques technodiscursives circulant sur le Web (Paveau, 2017).

Parmi les nombreuses productions discursives « natives » du Web, c’est-à-dire « l’ensemble des productions verbales élaborées en ligne, quels que soient les appareils, les interfaces, les plateformes ou les outils d’écriture » (Paveau 2017 : 8), Paveau consacre une place privilégiée à ces « technographismes » (ibid.) que sont les mèmes. Les mèmes tiennent désormais une place privilégiée dans les discours du Web 2.0, qu’il s’agisse des réseaux sociaux ou bien des plateformes communautaires comme Reddit, Tumblr ou 4chan pour ne citer que quelques exemples parmi beaucoup d’autres. Depuis que le terme a fait son apparition, sous la plume du biologiste britannique R. Dawkins (1976) qui en a cerné les propriétés d’imitation et réplication, ces objets culturels – composé[s] la plupart du temps d’une unique photo, sur laquelle peut figurer un élément langagier qui s’apparente à une légende ou à une citation » (Gautier et Siouffi 2016 : 7) – se caractérisent à la fois par la plurisémioticité, associant le plus souvent image et texte, et par une viralité constitutive qui, sans se confondre avec le simple buzz numérique, témoigne d’un pouvoir réplicatif où « le contenu n’est pas simplement diffusé, il est utilisé comme matrice pour en générer de nouveaux » (Kaplan et Nova, 2016 : 8).

Principalement conçu dans une visée humoristique et/ou ironique, le mème se fait en réalité porteur d’une dimension argumentative (Amossy, 2020) qui le charge d’une force illocutoire aux multiples facettes. Comme le souligne Albin Wagener, « les mèmes ne sont pas que de simples objets humoristiques à l’apparence inoffensive ; tout au contraire, ils fonctionnent comme de redoutables objets politiques » (Wagener, 2021 : en ligne). Ainsi peuvent-ils prendre les formes de l’engagement politique, mais aussi répondre à la rhétorique de la polarisation, aboutissant souvent à la dérision, voire à la violence contre tout acteur potentiellement impliqué dans la vie publique.

Son caractère figé, se prêtant à la déconstruction et, successivement, à des réélaborations a priori infinies, permet à ce culturème de cristalliser un référent social en entraînant des propos polémiques, ce qui l’apparente à une « formule » au sens de Krieg-Planque (Krieg-Planque, 2009). Ainsi, tandis que la production du mème assume un rôle crucial dans la construction d’enjeux sociaux, sa réception – voire consommation en ligne à travers le Web – se fait à travers l’appropriation, par les utilisateurs, des pratiques socionumériques à travers lesquelles les mèmes sont relayés.

En servant une vision parodique ou subtilement ironique de la culture populaire (Jost, 2022), les mèmes agissent sur la réalité, dans la mesure où ils font émerger et structurent les débats autour d’un évènement ou d’un enjeu social, politique, économique ou culturel (Wagener, 2022). À l’instar des gifs, les mèmes ne sont pas seulement symptomatiques d’une culture numérique contingente, mais constituent un nouveau langage sémiotique et polysémique : « en assistant à la naissance des mèmes et des gifs comme langage numérique multimodal et multi-usages, nous assistons tout simplement à la naissance d’une nouvelle forme de langage » (Wagener, 2020).

Il ne fait aucun doute que, parmi ces domaines, le politique tient le plus de place dans le cadre d’une vision participative de la gestion de la res publica ou bien lors des campagnes éléctorales (Mancera Rueda, 2020). Comme le souligne L. Shifman : « Whereas traditional political-science accounts of participation have focused on easily measurable practices, as voting or joining political organizations, in recent years the perception of what include political participation has been broadened to include mundane practices, such as commenting on political blogs and posting jokes about politicians » (Shifman, 2014 : 120). C’est aussi la thèse de G. Mazzoleni et R. Bracciale (2019) qui mesurent l’impact, de nos jours, du tournant pop de la communication politique, où les mèmes font leur entrée spectaculaire dans l’agora numérique et se présentent à l’interprétation des normies, à condition que ces derniers aient une connaissance préalable de l’univers narratif ainsi que des stéréotypes interprétatifs sous-jacents, et partagent l’univers de croyance, au sens de Martin (2001 [1992]), auquel ont accès les producteurs de mèmes.

Cette journée d’études ne prétend pas épuiser une problématique qui, malgré la qualité de la littérature scientifique existante, n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’une appréhension systématique dans les domaines linguistique et discursif. Les contributions pourront porter sur différents niveaux d’analyse du fait mémétique, la liste suivante n’étant pas exhaustive :

  • Une réflexion visant à mieux cerner le mème comme objet culturel qui non seulement décrit et agit sur la réalité, mais s’observe de manière sui-référentielle (Berrendonner, 1982) comme une production qui se prend elle-même pour objet de l’analyse. Il s’agira alors de réfléchir non seulement sur le mème en tant que produit numérique, mais aussi à travers le discours qu’il produit sur lui-même, ce qu’on appelle en d’autres termes un métamème. En même temps, il s’agit d’apprécier, sur le plan morphologique, les dérivations liées au terme « mème » (le verbe memare en italien, tout comme l’adjectif et substantif mémétique en français) et quels sont les domaines dans lesquels ces dérivations sont en usage.
  • Un regard plus vaste sur les différents procédés et degrés de « normification » (Mazzoleni & Bracciale, 2019 : 65 et ssqq ; Lolli 2020 : 119) qui sont à l’œuvre dans l’élaboration et circulation d’un mème (par ex. les moules syntaxiques ou phrasal templates, ainsi que les stéréotypes interprétatifs que le signifiant et le signifié suggèrent).
  • Le mème comme nouvelle substance sémiotique qui, d’après Lolli (2020), s’inscrit dans un paradigme figuratif longtemps rejeté par une certaine forme d’intellectualisme tournée vers une conception « tyrannique » de l’image, s’opposant et dépassant l’authenticité dialogique de la parole (ibid : 165). Cet axe de recherche pourra être intégré par une réflexion portant sur les formes de l’argumentation linguistique ou rhétorique des mèmes. Autrement dit, comment les locuteurs argumentent-ils à travers les mèmes ? Un discours mémétique peut- il donner lieu à un contrediscours mémétique ?
  • Une vision plus ample sur les aspects de récursivité, intertextualité et multimodalité que les mèmes sous-tendent (Zenner & Geeraerts, 2018) et qui les placent à l’intersection de plusieurs formes sémiotiques telles que les images macros, rage comics, recut trailers, etc. au point de pouvoir élargir le champ des genres mémétiques qui composerait ce que Lolli (2020) appelle métaphoriquement « famiglia memetica ». Il s’agit de questionner, comme leproposait Barthes (1964), comment le sens découle de l’image, mais aussi – sous l’angle envisagé plus récemment par R. Falcinelli, comment fonctionnent les images. Suivant cette perspective, il faudra alors s’affranchir de l’idée que les images représentent tout simplement quelque chose et dépasser leur fonction symbolique, afin d’observer plutôt les mécanismes qui gouvernent l’articulation et le fonctionnement du rapport entre texte et image.

Les propositions de communication de 3000 signes, à l’exclusion de la bibliographie, sont attendues à l’adresse suivante : colloquepise.meme@gmail.com au plus tard le 30 juillet 2022, avec le nom, prénom et affiliation universitaire. La langue principale du colloque sera le français, mais des communications en anglais, espagnol et italien seront aussi bienvenues. L’inscription est gratuite.

Conférencier.es invité.es

  • Marie-Anne Paveau (Université Sorbonne Paris Nord)
  • Albin Wagener (Université de Rennes 2 / INALCO)

Comité scientifique

  • Francesco Attruia (Université de Pise)
  • Roberta Bracciale (Université de Pise)
  • Aurora Fragonara (Université de Poitiers)
  • Ilaria Frana (Université “Kore” – Enna)
  • Rosa Maria García Jimenez (Université de Pise)
  • Julien Longhi (CY Cergy Paris université)
  • Elisa Lupetti (Université de Pise)
  • Silvia Modena (Université de Modène et de Reggio d’Émilie)
  • Chiara Molinari (Université de Milan “Statale”)
  • Marie-Anne Paveau (Université Sorbonne Paris Nord)
  • Paola Paissa (Université de Turin)
  • Micaela Rossi (Université de Gênes)
  • Laura Santone (Université de Rome – “Roma Tre”)
  • Stefano Vicari (Université de Gênes)
  • Albin Wagener (Université de Rennes 2 / INALCO)

Comité d’organisation

  • Francesco Attruia (Université de Pise)
  • Elisa Lupetti (Université de Pise)
  • Dario Nicolosi (Université de Pise)
  • Stefano Vicari (Université de Gênes)

Bibliographie

  • Amadori, S., 2012, « Le débat d’idées en ligne : formes de la violence polémique sur Youtube », Signes, discours et société, 9, http://revue-signes.gsu.edu.tr/article/-LXz7XjdmoGn60Q8Uf2t, Réf. 21/03/2022.
  • Amossy, R., 2021, L’argumentation dans le discours, Paris, Colin, 4ème édition.
  • Barthes, R., 1964, « Rhétorique de l’image », Communications, 4, « Recherches sémiologiques », pp. 40-5.
  • Berrendonner A., 1982, Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Minuit.
  • Dawkins, R., 1976, The Selfish Gene, Oxford, Oxford University Press.
  • Falcinelli, R., 2020, Figure. Come funzionano le immagini dal Rinascimento a Instagram, Torino, Einaudi.
  • Gautier, A. & Siouffi, G., 2016. « Les mèmes langagiers : propagation, figement et déformation ». Travaux de linguistique, 73, pp. 7-25.
  • Halté, P., 2019, « Les gestes à l’écrit dans les interactions numériques : description et fonctions », Pratiques, n° 183-184, 2019.
  • Jost, F., 2022, Est-ce que tu mèmes ? De la parodie à la pandémie numérique, Paris, CNRS Editions.
  • Kaplan, F., Nova, N., 2016, La culture internet des mèmes, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes.
  • Krieg-Planque, A., 2009, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté.
  • Lolli, A., 2020, La guerra dei meme. Fenomenologia di uno scherzo infinito, 2ème édition, Orbetello, Effequ.
  • Longhi, J. & Vicari, S., 2020, « Corpus, réseaux sociaux, analyse du discours », Repères-Dorif, 22, http://www.dorif.it/reperes/category/22-corpus-reseaux-sociaux-analyse-du-discours/ Réf. 21/03/2022.
  • Longhi, J., 2017, « Humanités numériques, corpus et sens », Questions de communication, 31, https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/11026. Réf. 21/03/2022.
  • Longhi, L., 2013, « Essai de caractérisation du tweet politique », L’Information Grammaticale, 136, pp. 25-32, Réf. 21/03/2022.
  • Mancera Rueda, A., 2020, « Estudio exploratorio de las estrategias de encuadre discursivo en memes humorísticos publicados en Twitter durante les elecciones generales de noviembre de 2019 celebradas en España », dans Digitos : Revista de Comunicación Digital, 6, pp. 197-217.
  • Marcoccia, M., 2016, Analyser la communication numérique écrite, Paris, Colin.
  • Mazzoleni, G. & Bracciale R., 2019, La politica pop online. I meme e le nuove sfide della comunicazione politica, Bologna, il Mulino.
  • Martin, R., 2001 [1992], Pour une logique du sens, Paris, PUF.
  • Mercier, A., 2015, « Twitter, espace polémique, espace politique. L’exemple des tweets-campagne municipale en France (janvier-mars 2014) », Les Cahiers du numérique, 4, pp. 145-169.
  • Paveau, M.-A., 2017, L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques, Hermann.
  • Paveau M.-A., 2013, « Genres de discours et technologies discursives. Tweet, twittécriture et twittérature », Pratiques, n° 157-158.
  • Romain, C. & Fracchiolla, B., 2016, « Violence verbale et communication numérique écrite : la communication désincarnée en question », Cahiers de praxématique 66, « Émotions en contextes numériques » https://journals.openedition.org/praxematique/4263, Réf. 21/03/2022.
  • Shifman, L., Memes in Digital Culture, Cambridge/London, MIT Press.
  • Vicari, S., 2021, « Autorité et Web 2.0 : approches discursives », Argumentation & Analyse du discours, 26, https://journals.openedition.org/aad/4929, Réf. 21/03/2022.
  • Wagener, A., 2022 (à paraître), « Mèmologie. Théorie postdigitale des mèmes », Grenoble, PUG.
  • Wagener, A., 2021, « Le même. Un objet politique », en ligne, https://theconversation.com/le-meme-un-objet-politique 173950?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter&fbclid=IwAR0XD9lOMwoTgqq1ZgxhcJ 6otctVS37Mw0TqlRHYUUbpeNRCCz9jBsWsqGc#Echobox=1640886220, Réf. 22/03/2022.
  • Wagener, A., 2020, « Mèmes, gifs et communication cognitivo-affective sur Internet. L’émergence d’un nouveau langage humain », dans Communication, 37/1, https://journals.openedition.org/communication/11061 réf. 29/03/2022.
  • Wiggins, B. E, 2019, The power of Memes in Digital Culture : Ideology, Semiotics, and Intertextuality, New York : Routledge.
  • Zenner, E. & Geeraerts D., 2018, « One does not simply process memes : Image macros as multimodal constructions », dans Winter-Froemel E. & Thaler V., Cultures and Traditions of Wordplay and Wordplay Research, De Gruyter.

Sitographie