Émergences en design : de l’axiome au rhizome

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Réponse attendue pour le 15/05/2021

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Subtiles ou brusques, éphémères ou mémorables, les émergences d’idées, d’initiatives, d’œuvres, d’objets iconiques ou de visions, ont marqué de leur sceau l’histoire de la création en art, architecture et design. Si tout le monde s’accorde qu’elles sont des déclencheurs de tendances, de marchés, d’écoles ou de mouvements, ces émergences demeurent des cristallisations et des manifestations d’idéalects en ce qu’elles sont « l’espace d’élaboration d’un idéal qui prend forme. […] des idées qui portent un devoir-être exécutable. » (Vial, 2013). Une vision subjective de ce comment devraient être les choses, et dont l’objectivation, la normalisation et la codification ont participé à son établissement et diffusion.

D’ailleurs, qui ne citerait de mémoire maximes, aphorismes, formules et axiomes qui ont instauré par leur énonciation ces écoles et mouvements ? ou qui ne s’est pas conforté un jour dans le tranchant « form follows function » ou le puriste « less is more », son antithétique « less is bore » ou encore le radical « l’ornement est un crime » pour en faire son credo pratique ou théorique pour suivre le mouvement ? dispensés en principes, préceptes et points, ces formules et tant d’autres ont vu leur systémisation les dresser souvent comme un ensemble axiomatique dominant une multiplicité d’approches singulières et isolées qui, à défaut de suivre la règle, se sont vues considérer comme une entorse à la règle.

L’on s’étonnerait moins dès lors que ces axiomes ont dû s’inscrire dans l’injonction d’un faire-faire et faire-penser univoques, normalisés, raisonnés, scientificisés par des paradigmes et des modèles réflexifs et pratiques, un faire où l’injonction est consubstantielle à l’axiome en tant qu’ « énoncé admis comme base ou principe d’une construction scientifique », comme ce que l’on juge convenable et croit juste, « une proposition utilisée comme fondement d’un raisonnement » de par son évidence et son universalité.

Plus qu’ailleurs, les formules prédictives et les théories axiomatisées trouvent leur rayonnement et leur transmission dans l’enseignement ; en effet, « l’enseignement et la formation seraient dispensés à hauteur de maxime, ce lieu où il faut déployer les règles conséquentes et « synthétiques » d’une action subjective conforme à la loi objective » (Derrida, 1990). L’objectivation d’une approche légitimerait de la sorte son statut canonique ainsi théorisable, transmissible, reproductible en modèles, méthodes et paradigmes. Une objectivation qui s’inscrirait plutôt dans la perpétuation d’un régime de fondation ou de l’appréciation de tout processus dans sa révélation finale, plus que dans l’exploration des possibilités dans, entre et hors les modèles codifiés et rigidifiés.

Au miroir réfléchissant l’unité et l’achèvement de l’Un axiomatique, vertical, central et rigide, le rhizome deleuzien substitue la registration du vitrail (Martin, 2013) où le fragment vaut pour ce qu’il est et non comme renvoyant d’emblée à une unité. Inassignable à quelque origine ou fin, le rhizome comme « structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux », préfère et prolifère par le milieu ; mobile, souple et impermanent, le rhizome substitue le tronc à la tige, troque les modèles qui s’élèvent contre un souterrain qui s’étend et qui émerge.

Dans le rhizome, la multiplicité vaut pour ce qu’elle est ; pour sa diversité, son irrégularité, son hétérogénéité, etc. mais surtout pour sa constitution comme une réserve féconde, une étoffe dense et tissée en réseau interconnecté. Pas de fondement à proprement parler, pas de primauté des éléments les uns par rapport aux autres ni de structure hiérarchisée, pas de prévalence de l’un comme un un, autosuffisant et achevé, mais comme un fragment valant lui-même comme une possibilité d’entité qu’il faut fabriquer, qu’il faut expérimenter comme des relations qui nécessitent de notre part une création, nommée à juste titre, expérience (Martin, 2013).

À l’injonction donc de penser « en termes de liste finie d’éléments constitutifs », la pensée rhizomatique appelle à l’impératif de conjuguer avec « les éléments indécidables » et les « axiome(s) de non-fermeture ou d’incomplétude » (Derrida, 1979) pour laisser advenir et émerger les singularités. Des singularités qui admettent leur génialité mais aussi leur faillibilité et leur statut de « possibilité émergente » où l’imprédictible a la valence du prédictible et l’expérientiel la valeur de l’indiciel, en ceci qu’il instruira toujours sur les potentialités des voies adjacentes, sur les ressources de l’itérabilité comme de la transgression.

Il est question dès lors, de considérer les nouvelles formes, propriétés et fonctions, re-combinables et reconfigurables indéfiniment, qui laissent émerger à leur tour des niveaux encore plus complexes desquels ils ont émergé. C’est tout à fait ce qu’admet l’émergence comme concept philosophique qu’on peut résumer par l’adage « le tout est plus que la somme de ses parties ». Un concept qui a fait du chemin depuis son émergence et qui consent que « des entités émergentes peuvent être le résultat de l’action d’entités plus fondamentales et peuvent être parfaitement nouvelles ou irréductibles par rapport à ces dernières » (Lewes, 1875). Ce que Bourdieu (2013) définira plus tard comme « le passage d’un système de facteurs interconnectés à un système de facteurs interconnectés autrement ».

Le déplacement des temporalités, des registres, des entités ou des paradigmes est donc ce qu’admet sans conteste ce concept qui ne revient point sur la complexité du monde et sa constitution comme un réseau gigantesque, mais corrobore de plus la présence d’une stratification d’éléments dynamiques interchangeables et corrélatifs. La causalité ascendante et descendante inter-niveaux et inter-disciplines, la rétroaction comme la survenance participent de la compréhension des systèmes complexes à l’interface de plusieurs sphères et disciplines. Pas étonnant dès lors que l’émergence qui étudie les rapports de force et de rencontre entre milieux et disciplines, soit récupéré par autant l’intelligence artificielle que les sciences sociales, les médias que les neurosciences, les sciences cognitives que la philosophie de l’esprit, etc. Un concept qui admet l’interconnectivité des différentes dimensions épistémologiques, ontologiques ou sociologiques et qui met pour cela en mouvement les contextes interprétatifs pour leur compréhension.

Une mise en mouvement qui devient l’axiome de Deleuze qui nous enjoint de faire notre cette pensée qui déplace, qui lie et délie, déconstruit et reconstruit autrement !  « Faites rhizome et pas racine, ne plantez jamais ! Ne semez pas, piquez ! Ne soyez pas un ni multiple, soyez des multiplicités ! Faites la ligne et jamais le point ! La vitesse transforme le point en ligne […] ! Soyez rapide, même sur place ! Ligne de chance, ligne de hanche, ligne de fuite. Ne suscitez pas un Général en vous ! Pas des idées justes, juste une idée […] Ayez des idées courtes. Faites des cartes, et pas des photos ni des dessins. » (Deleuze et Guattari, 1980).

Aux calques qui retranscrivent et imitent modèles, schèmes, méthodes et théories, substituez les cartes qui les relient, les agencent, les remodèlent et amplifient !

Il s’agit comme le stipule Findeli (2003) de s’affranchir des « idéologies fonctionnalistes », « du langage formalisé, […] de la position épistémologique déterministe et réaliste des systémistes stricts et formalistes des premières et deuxième générations… » pour laisser advenir d’autres pensées, plus complexes, qui laissent émerger les singularités depuis l’espace du savoir constitué.

Héritier de cet espace, jeune de ses modèles, de ses méthodes et de son épistémologie, le design n’a de cesse de faire croiser les plans et niveaux épistémologiques, pratiques, professionnels et théoriques pour générer les modèles les plus significatifs et représentatifs de son statut de médiateur entre entités et générateur de singularités.

Plus que dans tout autre discipline, en design, l’axiomatique côtoie le rhizomatique, le normatif le spontané, le canonique l’improvisé, le surgissant et le performatif ! les déplacements qu’il ne cesse d’opérer dans ses modèles, ses approches, ses méthodes, ses outils, ses objetS, en termes de produits et intérêts, parcourent à conforter la croyance en un design devenu aujourd’hui omniprésent jusqu’à passer pour imperceptible. La réflexion que Les Rencontres Annuelles Internationales du Design ambitionne solliciter, veut entrevoir les émergences singulières et inédites, autant des designs d’auteurs que ceux surtout d’un design qui tisse les fibres et trace les lignes de fuite entre systèmes, niveaux, structures, secteurs et acteurs. Par la juxtaposition de modèles réflexifs parfois antagonistes, par des emprunts interdisciplinaires, par les interférences des milieux et des contextes, des actions et rétroactions que cela produit, le design que questionne les RAID aujourd’hui, est un design qui a su ouvrir l’horizon des possibles aux pensées émergentes et à l’à-venir.

Dates importantes

Les propositions de participation sont à envoyer avant le 15 mai 2021
Le colloque aura lieu en ligne le 21 et 22 octobre 2021 à l’École supérieure des Sciences et Technologies du Design, Tunis

Modalités de soumission

Les auteurs doivent soumettre un texte complet (full paper) qui obéit à un format court (short paper).

La taille des articles doit être comprise entre 20 000 et 24 000 signes, incluant : résumé (100 mots), notes de bas de pages, bibliographie, 1 à 3 figures maximum et espaces.

Le protocole de rédaction est disponible sur l’adresse : http://www.essted.rnu.tn/fra/pages/387/RAID-2021

Pour soumettre, merci d’envoyer vos articles complets à l’adresse mail suivante : raid.essted@gmail.com

Conditions de soumission

Les propositions de participation doivent s’inscrire dans la thématique annoncée.

Elles doivent comporter : 1/ Un document Word contenant le texte de l’article selon le protocole de rédaction. 2/ Un document Word contenant une notice biobibliographique de l’auteur : ses champs de recherche, son institution d’attache, ses contacts (tél., email) et ses publications majeures (ne dépassant pas une page).

Processus de révision

Toutes les propositions soumises par les auteurs seront examinées en utilisant le processus d’arbitrage en double aveugle.

Comité scientifique et organisateur des RAID

  • Nawel Chtourou, Maître-assistante, ESSTED, Directrice des RAID 2021
  • Salma Ketata, Maître-assistante, Directrice de l’École Supérieure des Sciences et Technologies du Design, (Tunisie)
  • Mohamed Jlassi, Maître-assistant, Directeur des études et des stages, ESSTED
  • Jihène Chiha, Maître-assistante, ESSTED
  • Hend Elloumi, Maître-assistante, ESSTED
  • Meriem Khadhar, Maître-assistante, ESSTED
  • Aicha Kamoun, Maître-assistante, ESSTED
  • Alia Kallel, Maître-assistante, ESSTED
  • Emna Moussa, Maître-assistante, ESSTED
  • Narjess Bayar, Maître-assistante, ESSTED
  • Rym Lahmar, Maître-assistante, ESSTED
  • Nawel Khadouma, Maître-assistante, ESSTED

Comité de lecture

  • Hayla Meddeb, Maître de conférences et rédactrice en chef de la Revue des RAID, École Supérieure des Sciences et Technologies du Design, (Tunisie)
  • Samiha Khelifa, Maître de conférences, École Supérieure des Sciences et Technologies du Design, (Tunisie)
  • Anis Semlali, Maître de conférences, École Supérieure des Sciences et Technologies du Design, (Tunisie)
  • Imen Ben Youssef, Professeur, Institut Supérieur des Beaux-Arts, (Tunisie)
  • Eric Vandecasteele, Professeur Émérite, Université Jean Monnet, Saint Etienne (France)
  • Pierre Leclercq, Professeur, Faculté des Sciences Appliquées de l’ULg (Belgique)
  • Sébastien Proulx, Professeur, The Ohio State University (USA)
  • Rabah Bousbasci, Professeur, Université de Montréal (Canada)
  • Khaldoun Zreik, Professeur, Université Paris 8 (France)
  • Michela Deni, Professeur, Université de Nîmes (France)
  • Manola Antonioli, Professeur, HESAM Université, (France)
  • Alessandro Zinna, Université de Toulouse II, Jean-Jaurès, (France)

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