À l’origine plateforme d’hébergement et de partage de contenus vidéos amateurs, à l’image de son premier slogan « broadcast yourself », YouTube s’est imposé en quinze ans comme une plateforme incontournable parmi les médias classiques et les réseaux sociaux, mobilisant chaque mois plus de 2 milliards d’utilisateurs. Très rapidement les amateurs se sont professionnalisés, tandis que les chaînes de télévision s’y installaient en proposant des émissions (ou des extraits) ayant déjà eu une existence médiatique préalable sur les antennes. De sorte que l’offre de contenus de YouTube mêle à la fois des créations inédites et des archives audiovisuelles, construisant ainsi un lieu de mémoire pour ces productions. La plateforme est suffisamment polyvalente pour être traversée par différentes temporalités : si les temps passés sont recomposés avec les archives, le présent, à travers de plus en plus de sujets d’actualité, n’y est pas en reste.
Puisque « YouTube est désormais la première offre de télévision du monde par son audience, comme par l’étendue de son catalogue » (Alain Le Diberder, 2019) l’objectif de ce numéro est de questionner les multiples rapports qu’entretient la plateforme, mais également Twitch et les réseaux socio-numériques avec d’autres médias (anciens ou nouveaux) tels que la télévision, les jeux vidéo ou les arts en général. Ces relations intermédiales pourront être développées dans différentes dimensions, non exhaustives :
- Thématiques : quelles sont celles qui sont privilégiées ? Musique, jeux vidéo, information, mode, culture etc.,
- Usages : entre plateforme de création et plateforme de reconfiguration de l’existant, YouTube engage des logiques d’usage très différenciées, qu’il convient de caractériser. On peut y retrouver une chanson ou le programme de télévision emblématique de l’enfance ; rechercher un tutoriel pour réparer une machine à laver ou customiser une voiture ; consulter des reviews partageant des avis plus ou moins éclairés avant d’acheter l’objet désiré. On peut donc regarder YouTube pour se divertir, pour s’informer (en direct ou en différé) ou se cultiver, mais aussi faire du sport, suivre un cours de mathématiques, voire apprendre les rudiments de la permaculture… Cette diversité possible des usages est-elle à l’image de la segmentation des publics ou bien, au contraire, est-elle l’expression de la pluralité identitaire au cœur de chaque internaute ?
- Genres : dans quelle(s) mesure(s) les genres audiovisuels de YouTube empruntent-ils aux formes télévisuelles préalables ? Comment YouTube, l’ensemble des plateformes et des réseaux sociaux utilisent-ils des codes médiatiques déjà existants ? Les genres audiovisuels sont-ils encore télévisuels ? L’importance croissante du direct sur les plateformes mérite d’être interrogée.
Réciproquement, comment la production linéaire télévisuelle s’inspire-t-elle de YouTube, de Twitch, ou encore d’Instagram ? Par exemple, de quelles manières le « style » YouTube influence-t-il les sujets journalistiques du traditionnel journal télévisé ?
En outre, cette perméabilité formelle entre médias traditionnels et nouveaux médias pointe un changement éditorial majeur pour les plateformes. Dans un écosystème numérique audiovisuel qui faisait place initialement davantage au divertissement, que signifie ce regain d’intérêt pour le débat public ? Si pour les chaînes de télévision traditionnelles, il s’agit sans doute d’une stratégie de diversification stratégique, comment interpréter ces choix éditoriaux de la part des youtubeurs ? Sont-ils l’expression d’une certaine maturité des plateformes, si l’on pense au succès sur Twitch de la revue de presse de Samuel Étienne et de ses entretiens avec F. Hollande ou J. Castex ? Du point de vue de la communication politique encore, quels changements s’opèrent lorsque des youtubeurs tels que MacFly et Carlito viennent tourner une vidéo à l’Élysée après avoir remporté un challenge lancé par le Président de la République ?
- Énonciation : comment s’établissent les relations entre un youtubeur et sa communauté ou avec un internaute lambda, tombant par hasard sur un contenu ? Par exemple, qu’implique le recours au « regard caméra » dans certaines vidéos ? Est-ce un héritage télévisuel, l’amorce d’une conversation avec les abonnés ou une figure de l’intimité ? Quelle image de l’usager construit l’arsenal des recommandations algorithmiques à travers ses abonnements, ses visionnages antérieurs et la possibilité de pouvoir commenter ou non les vidéos ?
- Formats : quels nouveaux formats apparaissent sur YouTube ?
Les productions natives, désormais standardisées, que sont les « vlogs », les « retours de course » et autres « une journée dans mon assiette », par exemple, sont-elles réellement originales ou bien s’inscrivent-elles dans une généalogie des formes culturelles plus anciennes ?
Comment envisager leurs évolutions ? En particulier l’allongement de la durée des vidéos diffusées ? Il convient aussi de s’interroger sur les fonctionnalités apparues ces dernières années comme la possibilité d’accélérer les visionnages, provoquant un speed-watching et la mise en place de recommandations par la plateforme, qui tend à reconstituer une programmation. - Acteurs : ceux que les internautes nomment communément « youtubeurs » préfèrent pourtant être appelés « vidéastes » ou « créateurs de contenus », car ils ne souhaitent pas que leur profession soit définie par un nom de marque. Et ce, d’autant plus qu’ils s’expriment également sur d’autres réseaux tels que Twitch, Instagram, etc. Que signifie finalement la persistance de l’emploi de ce terme par les usagers, mais aussi par les journalistes pour caractériser une profession, certes récente, mais de plus en plus visible, importante et reconnue, à l’image de la youtubeuse Léna Situations faisant la couverture de l’hebdomadaire ELLE (18 juin 2021) ? Cette divergence sémantique ne témoigne-t-elle pas d’une bataille intermédiale entre les acteurs médiatiques classiques à l’égard de ces vidéastes et surtout de leur succès ?
Voilà quelques pistes que ce numéro 13 de Télévision souhaite aborder. Elles ne sont pas exclusives et d’autres problématiques peuvent être proposées.
Bibliographie indicative
Burgess Jean et Green Joshua, Youtube : Online Vidéo as Participatory Culture, Polity, Cambridge, 2009
Douyère, D., Gomez-Mejia, G., Nicey, J., Stalder, A., Tietse, S. (dir.), « Youtubeurs, youtubeuses : inventions subjectives », Études digitales, n° 7, 12 articles, 2020, p. 17-239 (https://classiques-garnier.com/etudes-digitales-2019-1-n-7-varia.html).
Dominguez Leiva Antonio, YouTube Théorie, Éditions de ta mère, Gatineau, 2014
Gehl Robert, « YouTube as archive : Who will curate this digital Wunderkammer ? », International Journal of Cultural Studies, vol. 12, n°1, 2009
Le Diberder Alain, La nouvelle économie de l’audiovisuel. Paris, La Découverte, « Repères », 2019
Lovink Geert and Niederer Sabine, Video Vortex Reader : Responses To You Tube, Institute of Network Culture, 2008
Péquignot Julien (dir.) « Audiovisuel et commentaires en ligne : nouveau champ, nouveaux paradigmes ? », Communiquer, n° 27, 2019
Calendrier prévisionnel
- 23 juillet 2021 : date-limite de l’envoi des propositions d’articles (2000 signes maximum espace compris)
- à partir du 30 juillet 2021 : notification aux auteurs
- 30 octobre 2021 : réception des articles (de 35 000 à 45 000 signes espaces compris) avec résumé et biographie
- 30 novembre 2021 : retour aux auteurs des évaluations en double aveugle
- 3 janvier 2022 : réception de la version définitive des articles après corrections (avec résumé et biographie)
- Publication prévue fin mars-début avril 2022
Envoyer les propositions à :
- Marie-France Chambat-Houillon : marie-france.chambat-houillon@sorbonne-nouvelle.fr
- Virginie Spies : virginie.spies@univ-avignon.fr
- François Jost : francois.jost@sorbonne-nouvelle.fr