Télévision

Télé-réalité et réseaux socio-numériques : un couple médiatique gagnant ?

Réponse attendue pour le 15/06/2022

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Télévision

Coordinateurs

Argumentaire

Loana, Steevy, Jean-Édouard… En 2001, les lofteurs apparaissaient sur nos écrans de télévision et s’invitaient par là même dans notre quotidien. Pour la première fois en France, des inconnus étaient filmés en continu et M6 retransmettait, dans nos salons, la vie de ces jeunes d’une vingtaine d’années. Pour les 20 ans de la télé-réalité, un certain nombre d’émissions « best of » ont été programmées.

Aujourd’hui, ce sont Nabilla, Illan, Jazz, Moundir et tant d’autres « stars » de télé-réalité qui investissent les réseaux socio-numériques dans une forme de complémentarité avec les émissions linéaires au sein desquelles ils cherchent l’amour (La Villa des cœurs brisés, Mariés au premier regard…), se confrontent en équipe (Les Marseillais, La bataille des couples…) ou encore montrent leur vie de parents (Mamans et célèbres, JLC Family…), sans oublier les émissions d’aventure (Koh-Lanta, Pékin Express…).

Ancrée dans l’actualité médiatique, la proposition de ce numéro de Télévision vise à apprécier le virage que connaît ce genre télévisuel à l’heure où la grande majorité des candidats sont très présents sur les réseaux socio-numériques. Les vedettes de ces émissions ne sont aujourd’hui plus uniquement mises en lumière par le biais de la programmation linéaire mais sont au quotidien « en story », sur le « feed » ou dans les « reels » d’Instagram, Snapchat ou encore TikTok. Bien plus qu’un « service après-vente » des émissions, les candidats utilisent les médias sociaux, d’une part, comme un espace d’expression et de mise en scène de soi où ils donnent à voir leur vie, leur relation, leur famille au quotidien et, d’autre part, comme un espace professionnel lucratif où sont livrés des « codes promo » issus de leurs partenariats. Les réseaux socio-numériques offrent ainsi une latitude que ne permet pas la grille de programmation, ne serait-ce qu’en termes de temporalité des prises de parole. Finalement, la télé-réalité a-t-elle encore besoin de la télé ?

Quatre axes – non-exhaustifs – sont proposés pour investiguer ce phénomène, au cœur des préoccupations médiatiques et communicationnelles actuelles, autour des mutations récentes de la télé-réalité et la prégnance des réseaux socio-numériques dans son développement.

Perspective multi-médiatique et déploiement des temporalités télévisuelles

Dans les années 2000, la télé-réalité donnait à voir de nouvelles individualités lors d’émissions inscrites dans une temporalité imposée par la programmation, la grille, la saison. Cette forme de télé-réalité semble aujourd’hui s’être essoufflée pour laisser place aux croisements de narrations dans une perspective multi-médiatique. En effet, en plus de rythmer la vie des candidats, les réseaux socio-numériques jouent un rôle crucial pour les développements du genre et dans les récits médiatiques qui s’y déploient. On peut, par exemple, penser aux lives Instagram proposés par l’animateur ou les candidats de Koh-Lanta à la suite de la diffusion d’un épisode, ou évoquer la manière dont certains commentent les émissions sur leur compte lors de la diffusion. La récente diffusion de Championnes : familles de footballeurs sur TFX en 2021, en même temps que la compétition de football de l’UEFA Euro 2020 est également un bon exemple de cette promotion croisée. Par ailleurs, toujours selon cette idée de concomitance médiatique, les émissions mettent de plus en plus en scène les candidats en train de réaliser leurs « stories », téléphones à la main. Ces images que l’on retrouve parallèlement sur les médias sociaux donneraient le sentiment que la télévision devient leurs coulisses. Ainsi, pourraient-ils devenir le canal principal d’une nouvelle forme de « télé »-réalité ? Enfin, les émissions linéaires doivent dorénavant composer avec les ethos des candidats construits sur les réseaux socio-numériques et cette fabrique quotidienne des personnages, hors de la programmation télévisuelle. Dans la même idée, il y a 20 ans, la presse people permettait de continuer à suivre hors d’antenne celles et ceux qui devenaient des célébrités sous les rets des lignes éditoriales de ces types de journaux. Il semble que cet acteur médiatique a perdu de son importance, les candidats prenant directement en main, à travers leurs propres comptes, leur visibilité numérique sur les réseaux socio-numériques, qui deviennent la caisse de résonnance médiatique privilégiée. La proposition de ce numéro de Télévision invite donc les contributeurs à penser les mutations de la télé-réalité en s’appuyant sur une historicisation du genre et à évaluer les effets de la multi-médiatisation.

Extension des formats télévisuels : entre évolution et résistance

La télé-réalité peut également être l’occasion d’analyser les nouveaux domaines de la télévision. Si son périmètre s’étend aujourd’hui aux réseaux socio-numériques, doit-on considérer ce déplacement comme une reconfiguration de ce type de formats audiovisuels, s’inscrivant dans les mutations plus larges que connaît la télévision en contexte numérique ? On s’interrogera dans cet axe sur l’évolution des formats de télé-réalité et on se demandera si les formats télévisuels, dans une dynamique de résistance, ne s’étendent finalement pas hors du téléviseur. Les « stories » quotidiennes qui empruntent à la fois au rendez-vous télévisuel dans une logique de flux, ne sont-elles pas le signe de persistances des logiques de diffusion linéaires ? Le célèbre « confessionnal » ne se retrouve-t-il pas dans les vidéos enregistrées tous les jours par les « influenceurs » suivant une modalité proche du selfie ? Par ailleurs, si, dans les années 2000, les programmes de télé-réalité proposaient beaucoup de lives lors des émissions quotidiennes et des primes hebdomadaires, il semble que les réseaux socio- numériques récupèrent cette fonction, offrant dès lors un effet de continuité, de permanence et d’immédiateté que les programmes désormais majoritairement enregistrés ne permettent plus. Entre héritages médiatiques et innovations, cet axe permet d’approcher à la fois les transformations et les résistances en matière de production, de programmation, comme de formes de contenus.

Stratégies de production et nouveaux modes de rémunération des candidats

Dans une perspective davantage socio-économique, les nouveaux modes de rémunération des candidats de télé-réalité engendrés par les réseaux socio-numériques nécessitent un éclairage spécifique. Cet axe se propose d’interroger la conversion économique de la notoriété, d’étudier la professionnalisation des amateurs qui sont dès lors entourés par des  » entreprises de E-influenceurs » comme Shauna Events, en charge de représenter des célébrités de l’audiovisuel, de valoriser leur image au travers de partenariats commerciaux. On s’intéressera plus particulièrement à la production de la télé-réalité et au rapport de force actuel entre sociétés de programmes, marques et agents d’« influenceurs ». Il serait par ailleurs opportun d’éclairer le phénomène de renouvellement du vivier. On voit en effet de plus en plus d’émissions qui mobilisent les mêmes candidats ou certains disparus des écrans qui, pourtant, continuent d’exister sur les réseaux socio-numériques. Les Anges de la télé-réalité a sans doute été un programme précurseur dans ce phénomène de mise en avant des vedettes nées de la télé- réalité. On pense également au succès des éditions « all-stars » de Koh-Lanta avec les « héros » des années précédentes, ou encore à la présence de certains candidats dans deux émissions diffusées simultanément, sur deux chaînes différentes. Enfin, la professionnalisation de ces personnalités de télé-réalité invite à réfléchir tout particulièrement aux formes de sensibilisation des consommateurs, aux enjeux éthiques de la publicité sur les réseaux socio-numériques et au renforcement de l’encadrement législatif afférent.

Du téléspectateur à l’abonné : les transformations des pratiques spectatorielles de la télé-réalité

La multiplication des espaces de valorisation des candidats de télé-réalité et l’ubiquité des images issues des émissions transforment les pratiques télévisuelles et les habitudes de visionnage des programmes. Comme l’héritage de la télévision de rendez-vous se transpose en certains points aux réseaux socio-numériques, les effets sur les pratiques des téléspectateurs sont une piste à explorer. Comment les abonnés perçoivent-ils la co-présence de la diffusion d’émissions linéaires enregistrées et les contenus proposés sur les médias sociaux ? Ont-ils l’impression que la télévision est à la traîne ou est à rebours de l’actualité des vedettes qu’ils suivent ? Les réseaux socio-numériques ne sont-ils pas finalement suffisants pour certains publics qui désertent les émissions et se contentent de les suivre en ligne ? Enfin, comment les publics ont-ils reçu les rediffusions d’anciennes émissions de télé-réalité comme Les Anges durant les confinements de 2020, rediffusions qui viennent interroger une nouvelle fois l’idée de complémentarité avec Instagram, TikTok et les autres réseaux socio-numériques. 

Voici quelques-uns des questionnements proposés par ce numéro de Télévision qui sera l’occasion d’apprécier les transformations subies par ce genre audiovisuel, aussi bien du point de vue des logiques socio-économiques qu’en termes d’approche sémiologiques des formats, d’analyse de contenus ou de perspectives historiques du genre. Bien entendu, ces orientations ne sont pas limitatives et les propositions pourront s’ouvrir à d’autres problématiques. Toutes les disciplines sont par ailleurs bienvenues, tout comme les textes accueillant la parole des professionnels du secteur. 

Calendrier prévisionnel :

  • 15 juin 2022 : date-limite de l’envoi des propositions d’articles (2 000 signes maximum espace compris, hors bibliographie).
  • à partir du 30 juin 2022 : notification aux auteurs.
  • 15 octobre 2022 : réception des articles (de 35 000 à 45 000 signes espaces compris) avec résumé et biographie.
  • 30 novembre 2022 : retour aux auteurs des évaluations en double aveugle.
  • 8 janvier 2023 : réception de la version définitive des articles après corrections (avec résumé et biographie).
  • Publication prévue début avril 2023.

Les propositions sont à envoyer aux adresses suivantes : 

 

 

 

Bibliographie 

  • ANDACHT Fernando, « Télé-réalité et campagne électorale : le règne de l’index-appeal au Brésil », Télévision, n° 1, 2010, p. 93-110
  • ANTOINE Frédéric, « Le télé-coaching ou la légitimation de la télé-réalité », Télévision, n° 1, 2010, p. 65-78
  • DUPONT Luc, Téléréalité : quand la réalité est un mensonge, Presses Université De Montréal, 2008
  • ESCANDE-GAUQUIÉ Pauline et JEANNE-PERRIER Valérie, « Le partage photographique : le régime performatif de la photo », Communication & langages, vol. 194, n° 4, 2017, p. 21-27
  • ESQUENAZI Jean-Pierre, « Du star system au people », Communication, Vol. 27, 1, 2009, p. 37-53
  • GOMEZ-MEJIA Gustavo, Les fabriques de soi ? Identité et industrie sur le web, Paris MkF Éditions, 2016
  • HUET Armel, ION Jacques, LEFEBVRE Alain, MIÈGE Bernard, PÉRON René, Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, PUG, 1ère édition, 1978.
  • JOST François, L’empire du loft (la suite), Paris, La Dispute, 2e édition, 2007
  • JOST François, Le culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité, Paris, CNRS éditions, 2007
  • JOST François, Télé-réalité. Grandeur et misère de la télé-réalité, Paris, Le Cavalier Bleu, 2009
  • KREDENS Elodie, « De la télé-réalité, du péché et de la culpabilité… », Quaderni, n° 66, 2008, p. 89-95
  • NADAUD ALBERTINI Nathalie, « Faire carrière grâce à la téléréalité : oui, mais comment ? », 14 mars 2018, [En ligne] URL : https://larevuedesmedias.ina.fr/faire-carriere-grace-la- telerealite-oui-mais-comment
  • SEGRÉ Gabriel, « Naissance et apogée des vedettes de la téléréalité. Les lofteurs dans les pages de Gala », Ethnologie française, vol. 41, n° 4, 2011, p. 691-706
  • SPIES Virginie, Télévision, presse people : les marchands de bonheur, Paris, De Boeck Supérieur, 2008