Les voix des femmes à la radio : parcours et enjeux contemporains

« Organe de l’imaginaire » (Barthes, 1981 : 341), la voix humaine se manifeste à travers des mécanismes vocaux tels que l’intensité, la hauteur, le débit et le timbre (Rondeleux, 1977 : 159), qui façonnent une empreinte sonore unique (Rodero, 2023 : 30). Cependant, considérer la voix uniquement sous l’angle physiologique serait réducteur. Prendre en compte les « matérialités vocales » (Coulomb-Gully, Biscarrat, Sapio, 2022 :8) implique que la voix, en tant que corps sonore, est façonnée par des facteurs sociaux et culturels, dont les relations de genre. Cette approche engage une attention particulière aux conditions de production et de circulation du parler (Bourdieu, 1982 : 165), dans la mesure où elles révèlent la manière dont la voix devient un lieu d’inscription des rapports de pouvoir. L’analyse de la voix ne saurait se limiter à l’acte d’énonciation : sa signification se construit aussi dans la réception, qui mobilise les cadres d’interprétation, les valeurs et les référents culturels des récepteurs (Véron, 1983 : 98).

Ces dimensions prennent une importance particulière lorsqu’on s’intéresse à l’émergence de la prise de parole publique des femmes, qui se manifeste à la fin du XIXe siècle, notamment et ponctuellement à travers leur engagement syndical au sein des mouvements ouvriers en France (Perrot, 1998 : 265) et, aussi, par l’écriture journalistique et littéraire (Perrot, 2006 : 39-48).

Dans cette dynamique d’affirmation des femmes dans l’espace public, il convient d’observer que l’arrivée de la radio, au début du XX siècle, est une modalité inédite d’expression, qui met également en lumière les inégalités existantes et persistantes. Ainsi, les voix féminines y restent largement marginalisées, fréquemment jugées inappropriées en raison de leurs tonalités, souvent considérées comme trop aiguës ou pas assez modulées (McKay 1988 :161). Cependant, malgré ces préjugés, certaines femmes parviennent à s’imposer à la radio et à exceller en tant que présentatrices, animatrices, journalistes et chroniqueuses (Gill 1993 ; Hilmes 1997 ; Michaels & Mitchell 2000), défiant de la sorte les normes en vigueur en matière de genre.

De la radio hertzienne aux podcasts et plateformes numériques contemporaines, la voix féminine s’inscrit dans un espace complexe, traversé par des tensions persistantes : inégalités, marginalisation et assignations genrées. Toutefois, les mouvements sociaux et les avancées technologiques ouvrent la voie à une reconfiguration essentielle, favorisant l’émergence de nouvelles voix et de dynamiques d’autonomisation, ainsi qu’une redéfinition des rôles.

Ce numéro se structure autour de trois axes principaux :

Axe 1 – Les parcours des voix féminines à la radio

Longtemps cantonnées à des rôles secondaires ou stéréotypés : speakerines, animatrices, les femmes ont progressivement pu et su investir l’espace radiophonique (Kris 2005). (Maréchal 2003) en tant que journalistes, expertes, productrices ou figures militantes Cette évolution, parfois conflictuelle, s’inscrit dans un contexte plus large de transformations technologiques, et sociales et politiques : mouvements féministes, ascension au pouvoir des populismes, mobilisations écologistes.

Cet axe propose d’étudier les archives sonores et les pratiques professionnelles pour analyser les parcours des représentantes des voix féminines à la radio : comment les évolutions sociales et politiques ont-elles influencé la présence et aussi la légitimité des voix féminines à la radio ? Quelles continuités, quelles transformations, observe-t-on entre les pratiques vocales historiques des femmes et sa relation avec les supports techniques ?

Axe 2 – Voix féminines à la radio : normes imposées, mécanismes d’exclusion

La radio impose aux femmes des normes vocales fondées sur des critères esthétiques et sociaux tels que la diction standardisée, le timbre modéré, un « phono style » (Fremy 2022 : 11) ou le rejet frontal des accents singuliers, la « glottophobie » (Blanchet 2016), contribuant à la reproduction et pérennisation de stéréotypes de classe et de genre. Ces injonctions participent aussi à l’exclusion des voix perçues comme trop populaires, affectives ou non conformes aux normes. Cet axe propose d’analyser de manière critique les règles régissant la prise de parole des femmes à la radio ainsi que les faits et les circonstances d’interruption masculine et d’usurpation de parole. Quels aspects langagiers, sociaux et techniques façonnent et légitiment les principaux rôles vocaux féminins : maternelle, experte, séductrice et influencent leur réception par les auditeurs ? Peuvent-elles être analysées à partir des conditions de réception ?

Axe 3 – Espaces d’autonomisation (empowerment) et prise de parole féminine

Dates et instructions pour les soumissions

• Proposition initiale : Un résumé de 4 000 signes maximum, incluant le titre, un résumé, 5 à 7 mots-clés, le cadre théorique, la problématique, l’approche méthodologique et des indications bibliographiques à envoyer par e-mail aux adresses suivantes : Isabel Guglielmone isabel.guglielmone@utc.fr et Marta Perrotta marta.perrotta@uniroma3.it

• Date limite de réception de la proposition initiale  : 31 octobre 2025

• Langues acceptées : Français et anglais

• Article final : Environ 30 000 caractères maximum, espaces et bibliographie compris. Date limite : 30 avril 2026

Biographie