Sociétés Plurielles

Des sciences exactes vers les sciences sociales et des sciences sociales vers les sciences exactes. Emprunts et cloisonnements

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Réponse attendue pour le 25/09/2025

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« Sciences molles » et « sciences dures », « sciences de la nature » et « sciences de l’homme et de la société », « sciences exactes » et « sciences sociales », ces binômes sont largement utilisés aujourd’hui et structurent le paysage scientifique, en France comme sur le plan international. Et ce malgré la critique de la notion de « discipline » parfois tenue pour une réalité construite et historiquement située (Boutier et al.). Il ne s’agira pas ici de contester le partage disciplinaire actuel, ni la grande coupure que la terminologie en usage atteste, mais au contraire d’en prendre acte. Ainsi, l’objectif de cet appel à contributions vise à interroger l’emprunt des méthodes et des concepts d’un bord à un autre de cette grande coupure. Et, ce faisant, on sera amenés à interroger la nécessité d’un cloisonnement et la défense de méthodes spécifiques en adéquation avec la spécificité de l’objet d’étude.

Le sens de circulation qui part des sciences de la nature vers les sciences sociales est bien balisé. On donnera ici seulement l’exemple des « sciences économiques », à la fois représentatives du débat épistémologique actuel et moins connues. Dès le XIXe siècle, l’économiste Léon Walras élabore une théorie de l’équilibre général, inspirée de la mécanique classique et des principes de Newton. L’individu rationnel, comme le marché, sont conduits inexorablement vers un équilibre stable. L’usage du langage mathématique apporte une grande rigueur à cette construction théorique tout en soulignant le caractère universel des « lois » de l’économie. Le modèle Arrow-Debreu (1954) ira encore plus loin dans la formalisation mathématique, démontrant l’existence de cet équilibre sous certaines conditions. Aujourd’hui, une grande partie des travaux académiques dans cette dernière discipline s’inscrivent implicitement dans ce paradigme cartéso-newtonien. Plus récemment, l’utilisation du concept de « transition vers l’économie de marché », au début des années 1990, pour qualifier le changement de systèmes économique et politique en Europe centrale et orientale, témoigne une nouvelle fois de la mobilisation de concepts issus des sciences exactes, avec l’idée d’un retour à un équilibre naturel, d’une trajectoire déterministe d’un état stable connu à un nouvel état stable connu (Chavance, 1990). D’autres économistes ont choisi des emprunts différents, qui les ont menés dans d’autres directions. On peut citer notamment les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen (1971). Ce dernier s’est aussi appuyé sur la physique, en particulier sur la deuxième loi de la thermodynamique et le concept d’entropie. Contrairement au paradigme précédent, qui suppose une croissance illimitée fondée sur la substitution des facteurs, l’approche bioéconomique de Georgescu-Roegen soutient que tout processus de production suppose l’extraction de matières et d’énergie à faible entropie (ressources naturelles) et le rejet de déchets à haute entropie (pollution, chaleur perdue). L’économie est donc fondamentalement dépendante d’un stock fini de ressources et soumise à des limites bio-physiques. Cette vision, qui intègre l’irréversibilité du temps et des processus de changement (Hodgson, 1993 ; Koleva et Magnin, 2017), a influencé les courants de l’économie écologique et de la décroissance qui remettent en cause la soutenabilité du modèle productiviste traditionnel.

En partant de ces éléments de réflexion, nous attendons des propositions d’articles qui s’intéressent au caractère actuel de ces débats. Quel est aujourd’hui l’emploi et la justification épistémologique des méthodes quantitatives ou mécanicistes ? Assistons-nous à un tournant dans ce domaine ? Ou, au contraire, à une méfiance voire à une résistance face à ce transfert conceptuel et méthodologique ? Comment les humanités numériques et les sciences humaines computationnelles participent-elles du brassage conceptuel et avec quelles conséquences pour l’objet d’étude lui-même – la société ?

Le phénomène inverse, à savoir l’existence d’emprunts opérés par les sciences dures/exactes/naturelles, est bien moins attesté ; il est d’ailleurs moins intuitif. L’idée d’une antinomie entre, d’un côté, des notions comme l’imagination, la subjectivité, le relativisme, l’approximation et, de l’autre, celles de précision, d’objectivité, de régularité, de généralisation, est à interroger comme une sorte d’« obstacle épistémologique » à une acclimatation théorique ou méthodologique des concepts.

Nonobstant, l’histoire des sciences n’est pas totalement dépourvue d’exemples : citons seulement la mise à l’épreuve de l’imagination (voir le démon fictif de James Maxwell) et la prise en compte du sujet dans le dispositif expérimental et d’observation. L’exemple le plus révélateur est peut-être celui signalé par Robin G. Collingwood dans son classique The Idea of Nature. L’auteur met en exergue la mutation intervenant au XIXe siècle dans la manière de concevoir la nature et de la penser sur le modèle de l’histoire : « By then historians had trained themselves to think, and found themselves able to think scientifically, about a world of constantly changing human affairs in which there was not unchanging substrate behind the changes, and no unchanging laws according to which the changes took place. History had, by now, established itself as a science, that is, a progressive inquiry in which conclusions are solidly and demonstratively established. It had thus been proved by experiment that scientific knowledge was possible concerning objects that were constantly changing. Once more, the self-consciousness of man, in this case the corporate self-consciousness of man, his historical consciousness of his own corporate doings, provided a clue to his thoughts about nature. The historical conception of scientifically knowable change or process was applied, under the name of evolution, to the natural world. » (p. 13)

Si la démarche historienne fut jadis fondatrice de la connaissance de la nature, quelle est aujourd’hui l’étendue, et la portée, de ce brassage conceptuel ? Trouve-t-on dans les sciences naturelles contemporaines des références explicites à des dispositifs euristiques des sciences sociales (par exemple la reconstitution, la stratigraphie, l’analogie, l’approximation, le fait unique ou le cas exceptionnel, l’exemplarité, etc.) ?

Conditions de soumission

Dates

  • envoi des propositions d’articles avant le 30 septembre 2025
  • et envoi du texte complet des articles le 30 avril 2026.
  • Adresse : programmesp@gmail.com

Évaluation des articles en double aveugle.

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  • Éric Magnin (Université de Paris, LADYSS)
  • Delphine Pagès-El Karoui (INALCO, CERMOM)
  • Patrick Renaud (Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, CLESTHIA)
  • Thomas Szende (INALCO, PLIDAM)

Références

Arrow K. J., Debreu G. (1954), « Existence of an Equilibrium for a Competitive Economy », Econometrica, 22, p. 265-290.

Bryon-Portet C. (2010), « Sciences humaines, sciences exactes. Antinomie ou complémentarité ? », Communication. Information médias théories pratiques, 28, p. 243-264.

Boutier J., Passeron J-Cl., Revel J. (éds) (2006), Qu’est-ce qu’une discipline ?, EHESS, Paris.

Collingwood R.G. (1960), The Idea of Nature, Clarendon Press, Oxford (orig. 1940)

Chavance B. (1990), « Quelle transition pour quelle économie de marché dans les pays de l’Est ? », Revue Française d’Economie, vol. 5, p. 83-104.

Hodgson G. (1993), Economics and Evolution. Bringing Life Back into Economics, Polity Press, Cambridge.

Koleva, P., Magnin E. (2017), « Économie et discordance des temps. L’exemple de la transition post-socialiste en Europe centrale et orientale », Multitudes, 69, p. 82-90.

Kornai J. (1971), Anti-Equilibrium : On economic systems theory and the tasks of research, North-Holland Publishing Company, Amsterdam & Oxford.

Mirowski P. (1989), More heat than light. Economics as social physics : Physics as nature’s economics, Cambridge University Press, Cambridge.

Veblen T. (1919), The Place of Science in Modern Civilisation and Other Essays, Huebsch, New York.