Ce dossier de la revue Réseaux vise à accueillir des articles prenant pour objet l’information en continu et à interroger l’hypothèse qu’elle constituerait une pratique de plus en plus répandue dans le champ journalistique, au point de devenir la nouvelle norme professionnelle du journalisme, participant à l’évolution des définitions légitimes du métier et des hiérarchies professionnelles. Ce faisant, ce numéro s’inscrit dans la continuité des numéros de Réseaux consacrés à la production de l’information journalistique (n°111, 157-158, 160-161)
L’« information en continu » est l’imbrication, au sein d’une rédaction, des activités de production, d’édition et de diffusion ininterrompues de contenus journalistiques. Alors qu’elle était cantonnée, jusqu’au début des années 2000, à une offre éditoriale de médias spécialisés en radio et TV sur le câble et satellite, l’information en continu est devenue une pratique répandue dans le champ journalistique. On l’observe, dans des formes variées, sur les chaînes d’information en continu, mais aussi dans la presse écrite nationale ou locale (avec le développement de fils d’actualité « live » sur leurs sites internet), les agences de presse, les médias militants ou la presse spécialisée (sportive notamment).
La montée en puissance de la pratique de l’information en continu oblige à questionner ses conditions de possibilité. Elle est indissociable de la transformation numérique des médias. Les innovations techniques favorisent un renouvellement des formats de la presse écrite, mais également un affranchissement des contraintes temporelles de bouclage et d’impression. La création des premiers live-blogs de suivi en continu de l’actualité marque l’entrée de la presse écrite dans cet univers. La demande pour ce type d’information croît avec l’équipement des individus en appareils nomades (notamment en smartphones) et le développement d’une offre d’information apparemment gratuite. Mais ces changements techniques ne peuvent être isolés de leurs conditions socio-économiques. La montée en puissance des canaux de diffusion de l’information en ligne va de pair avec le déclin des ventes de la presse écrite et de l’audience de la télévision. Les années 2000 se caractérisent par le renforcement du pôle commercial du champ journalistique. Confrontés à un recul constant de leurs audiences payantes et à une fragilisation de leurs revenus publicitaires, les journaux régionaux comme nationaux entament aussi la diversification de leurs modes de diffusion, notamment via les applications et notifications push. Alors que la compétition pour la primeur s’est longtemps jouée au sein de chaque catégorie de média (entre chaînes de télévision généralistes, entre stations de radio, ou entre titres de la presse imprimée d’information généraliste ou spécialisée) et dans des créneaux horaires spécifiques (journaux télévisés de mi et fin de journée, matinales des radios, et sorties en kiosques), les capacités de diffusion permanente offertes par les nombreux canaux numériques dont se sont dotées les rédactions favorisent le renforcement de luttes concurrentielles entre toutes les rédactions et à tout moment de la journée. L’extension de l’information en continu est aussi liée aux politiques publiques qui participent de la structuration du secteur des médias. Le développement de la Télévision numérique terrestre (TNT) à partir de 2005 s’est traduit par la multiplication de chaînes. Parmi ces nouveaux entrants, on compte désormais quatre chaînes d’information en continu, qui contribuent à la production et à la circulation des normes professionnelles émergentes interrogées dans cet appel.
Si l’information en continu est une pratique de plus en plus répandue, elle est aussi reconnue comme une pratique légitime. Désormais, informer en temps réel, en live sur un événement majeur semble relever de la mission première du journalisme. Mais c’est aussi une norme en fonction de laquelle chaque rédaction ou chaque journaliste doit se situer. On peut faire l’hypothèse, par exemple, que cette norme pèse indirectement, par une sorte d’effet de champ, sur les médias qui ne la pratiquent pas et qui trouvent dans le rejet d’une information appauvrie la justification de leur existence (et leur prix). La constitution de l’information en continu comme nouvelle norme professionnelle interroge aussi les mutations de la valeur de l’information journalistique (newsworthiness). L’opposition entre slow information et fast information a-t-elle remplacé celle entre hard et soft news ? Deux conceptions de la valeur de l’information semblent aujourd’hui s’opposer. D’un côté, la nouveauté et la rapidité de publication sont devenues les valeurs fondamentales d’une information. Intensifiant l’ancienne course au scoop, cette définition de la valeur de l’information conduit à modifier tout au long de la journée, sur la plateforme et les réseaux sociaux, les publications pour intégrer une nouvelle information. D’un autre côté, la valeur de l’analyse peut prendre plusieurs formes. Elle peut renvoyer à un journalisme volontairement désindexé du rythme de l’actualité pour produire ses propres informations, dont Médiapart ou Les Jours sont l’incarnation. Elle peut se réaliser aussi dans la pratique des « rebonds », c’est-à-dire la production d’informations en réponse à une première information (souvent une déclaration).
Qu’ils soient monographiques ou comparatifs, les articles attendus placent la focale sur les pratiques, ce qui impose une méthodologie faisant appel à des entretiens ou des observations, éventuellement étoffés par des analyses de contenu. Ils doivent être attentifs aux trois axes de réflexion suivants.
En premier lieu, poser la question de l’emprise de cette norme sur les pratiques professionnelles implique de ne pas l’essentialiser : elle s’exerce selon des modalités et une intensité différentes d’une rédaction à une autre, d’un service, voire d’un journaliste à un autre. Il est donc attendu que les articles empruntent une perspective d’analyse relationnelle permettant d’interroger les formes variées que prend cette norme dans différents sous-champs du journalisme. À partir d’enquêtes empiriques portant sur des spécialités et des organisations médiatiques situées dans des positions diverses dans l’espace professionnel, il s’agit par exemple de décrire ce qu’est l’information en continu dans les agences, les chaînes d’information, les médias locaux, la presse spécialisée ou militante.
Le deuxième axe prend pour objet les processus de production et la division du travail au sein de rédactions inscrites dans des rythmes d’édition d’information en continu. On pourra par exemple montrer comment ont évolué les relations entre les différents postes et spécialités (chefs d’édition, présentateurs, JRI, programmateurs, home page editors, livers…), ou comment les invitations d’expert·es se sont multipliées à la faveur de l’augmentation du temps d’antenne accordé aux émissions de plateau. Les articles pourront montrer les conséquences de ces transformations dans les rapports aux sources d’information (et plus généralement aux univers sociaux médiatisés) ou sur les cadrages de l’information ainsi produite.
Enfin, un troisième axe analyse les liens entre la norme professionnelle de l’information en continu et les trajectoires professionnelles des journalistes. Par exemple, l’extension du travail de desk ouvre des opportunités d’entrées dans la carrière pour de jeunes journalistes issus de formations moins légitimes. Parallèlement, le travail de reporter peut perdre de son attractivité en étant réduit à la production d’images d’illustration.
Calendrier prévisionnel
Nous vous demandons d’adresser au secrétariat de rédaction (aurelie.bur@enpc.fr) pour le 26 janvier 2026, des intentions (2 pages présentant objet, question de recherche, inscription dans la littérature, méthodologie et résultats).
La soumission de la première version des articles retenus (65 000 signes, notes et espaces compris) est attendue fin mai 2026, la publication du dossier est prévue début 2027.
Vous trouverez plus d’informations, notamment les consignes aux auteurs sur le site de la revue : https://www.revue-reseaux.fr/wp-content/uploads/sites/34/2019/10/Reseaux-consignes-aux-auteurs-VF-BAP-01-2023.pdf
Notes
1 Pauline AMIEL, École de journalisme et de communication de l’université d’Aix-Marseille, IMSIC
Jérémie NOLLET, Sciences Po Toulouse, LaSSP
Mots-clés
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- information
- Journalisme