Les Cahiers du journalisme et de l’information

Le journalisme face aux défis environnementaux

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Réponse attendue pour le 30/01/2022

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Nom de la publication Les Cahiers du journalisme et de l’information

Éditeur Presses de l'École supérieure de journalisme de Lille

Coordinateurs

Présentation

L’objectif de ce dossier, à paraître dans le numéro d’automne 2022 des Cahiers du journalisme et de l’information, est de proposer une vision globale des implications pour les médias d’information et pour les journalistes du défi sociétal que constitue la question environnementale, documentée par les scientifiques du GIEC et objet de recherches en sciences humaines et sociales.

Aux côtés des acteurs sociaux et publics, aux effets de cadrage pressants sur cette question, les médias sont appelés à réagir et à devenir parties prenantes. La question a d’ailleurs fait l’objet du thème des dernières Assises internationales du journalisme en octobre dernier « Urgence climatique et responsabilités journalistiques ». Récemment, The Guardian titrait « We’re all climate journalists now : how the weather took over everything ». Le prestigieux quotidien britannique expliquait « Ici, 10 journalistes du Guardian décrivent comment la crise climatique change leur travail ». À l’occasion de la COP 26, ce sont près de 60 journalistes spécialistes de l’environnement de 34 nationalités différentes, sous l’égide de Reporters sans frontières, qui lancent un appel solennel pour le respect du droit d’informer sur les questions environnementales. L’appel est sans équivoque : « Urgence Climatique, urgence informationnelle ». Il est pris au sérieux par le Global Investigative Journalism Network GIJN, le réseau international de journalisme d’enquête, qui propose d’accompagner les journalistes d’investigation pour conduire des « enquêtes sur le changement climatique »

Les initiatives se multiplient et témoignent d’une appropriation de la thématique qui n’est pas seulement éditoriale. Elles traversent tout l’écosystème médiatique, des modèles d’affaires (retrait du paywall chez Bloomberg Green et au Financial Times pendant la COP 26) aux modèles éditoriaux comme au design d’information et jusqu’à la fabrication écoresponsable du journal.

Bien au-delà d’événements comme la COP 26 qui rendent vif le sujet, la question environnementale est devenue un véritable enjeu pour les médias. En effet, leur médiatisation interroge en retour les médias et les pratiques journalistiques, dépassant le simple rapport des faits. Il paraît difficile de séparer la médiatisation de ces enjeux et le rapport qu’entretiennent les journalistes à leur endroit. En tant qu’acteurs du débat public et, plus pragmatiquement, d’une industrie de l’information qui s’avère elle aussi polluante, journalistes et rédactions interrogent leurs pratiques, représentations, organisations en fonction des enjeux environnementaux auxquels ils se trouvent directement confrontés. Comme d’autres secteurs d’activités, le journalisme n’échappe pas aux injonctions des questions écologiques, aux répertoires des bonnes pratiques, à des formes culturelles émergentes éco-centrées, à de nouveaux imaginaires, à de nouveaux ethos (Hoang, Mellot, Prodhomme, 2021), bref à ce que Régis Debray désigne comme le « changement d’englobant » (Debray, 2020). Cet appel propose d’explorer les pratiques journalistiques au prisme des normes, valeurs et représentations des médias et de leur rôle face aux enjeux environnementaux.

Des travaux en sciences de l’information et de la communication ont développé une approche historique du traitement médiatique des questions de nature et d’environnement (Ambroise-Rendu, 2015), ainsi qu’une analyse de la constitution de rubriques « environnement » dans la presse (Comby, 2009), jusqu’à l’émergence au début du XXIe siècle en France de véritables journalistes spécialisés en environnement, en sortant des profils militants nés dans les années 1970 (Reinert, 2020). D’autres travaux interrogent aussi le rôle des journalistes dans la médiatisation de problèmes publics et de controverses sur l’environnement (Comby, 2015 ; Allard-Huver, 2021). Ce dossier ambitionne de contribuer à cette réflexion à partir de recherches originales sur le journalisme. L’objectif est d’associer les approches centrées sur la médiatisation des questions environnementales et climatiques à celle des pratiques des professionnels de l’information. Pour permettre une vision globale de ces enjeux, l’appel est organisé en trois parties dont chacune fait résonance avec ce que « l’entrée dans l’ère écologique » (Morin, 2020) peut faire au journalisme : nouvelles pratiques, nouveau design (formats, typographie…), nouveaux processus de fabrication, nouvelles pratiques d’enquêtes, nouvelles médiatisations.

Axe 1 : La médiatisation de la question environnementale : mise en conflictualité et objet désirable

Cet axe vise à accueillir des articles sur la médiatisation des enjeux environnementaux, dans la presse régionale française (Gassiat et Verger, 2016) ou dans des presses nationales, écrites ou audiovisuelles. Les contributions pourront se situer dans une perspective historique (depuis quand en parle-t-on dans les médias ? Quelles évolutions peut-on observer sur cette thématique depuis les années 1970-80 ?) ou discursive en interrogeant, par exemple, la matérialité discursive des formules « transition écologique », « développement durable » (Krieg-Planque, 2010), « urgence climatique » ou encore « sobriété numérique » comme agents de neutralisation ou d’exacerbation des conflictualités. Des travaux qui établissent des comparaisons entre supports pour mettre à l’épreuve des médiatisations distinctes de mêmes faits seront les bienvenus. La comparaison peut aussi être internationale entre supports comparables d’un pays à l’autre. Sont attendues aussi des monographies de la médiatisation de tel ou tel support médiatique, de différents types de presse (presse spécialisée, engagée, grand public, à public cible spécifique telle la presse jeunesse ou féminine, etc.)

L’objectif est d’aider à éclairer les modalités d’appropriation de la thématique des enjeux environnementaux par les médias d’information, avec présence ou non de jugements de valeurs, de dramatisation ou pas, d’excès de couverture ou encore de minimisation. Assiste- t-on à une éditorialisation forte de cette question, qui conduirait des rédactions à prendre explicitement position sur cet enjeu majeur pour l’avenir de la planète, en faisant fi de tout principe de neutralité, en s’engageant pour la cause et en relayant les actions et discours des militants ?

Axe 2 : Adaptation des rédactions et (nouveaux) formats éditoriaux

Un deuxième axe de réflexion pour lequel des propositions sont attendues concerne les réflexions sur la manière dont les rédactions se sont adaptées ou pas, ou sont en cours d’adaptation, afin de couvrir différemment le phénomène, en lui consacrant potentiellement plus d’espace. Un travail qui documenterait le refus d’une rédaction de s’adapter serait tout aussi utile qu’une monographie montrant comment une rédaction a modifié sa ligne éditoriale.

On peut songer notamment :

  • à la création d’un média spécialisé sur ce sujet ; d’une rubrique dédiée dans un média existant (Newsletter Vert1, le site franco-allemand NOWUproject.eu2, le magazine en ligne Pebble3, à titre d’exemples) ;
  • au recrutement de journalistes spécialisés (quid des profils et compétences requises ?)4, au profil plus scientifique, pour suivre les débats et en vulgariser les résultats ;
  • à l’extension de l’espace éditorial consacré à ces sujets via la création d’émissions dédiées, de numéros spéciaux, de compléments éditoriaux ; comme Future Planet5, à l’invention d’un espace ouvert aux interrogations des publics avec conseils pratiques ;
  • à la mise en place d’une logique de journalisme de solutions dédié à la cause environnementale afin de convaincre les citoyens de s’impliquer dans la réduction de leur empreinte carbone, la modification de leurs modes de vie, la sobriété numérique ;
  • à l’apparition d’un traitement privilégié, dans la logique du renouveau de la vérification de faits (fact checking), de la question de la négation du réchauffement climatique et de son cortège de fake news ;
  • à l’ouverture des « coulisses » des médias de l’information dans le cadre d’une stratégie de conquête des jeunes publics particulièrement acquis à la cause environnementale.

Notes

1. Le site d’information créé par plusieurs journalistes de la presse quotidienne nationale se donne pour objectif d’aborder « l’écologie au sens large dans un format minimaliste » afin de « mieux saisir les enjeux de la crise climatique et à entrevoir des solutions », consulté le 22 novembre 2021.

2. Le site lancé par France TV et WDR en septembre 2021, s’adresse aux jeunes européens et vise à « faire découvrir un nouveau contenu sur l’urgence environnementale et les solutions pour y faire face », consulté le 16 novembre 2021.

3. Pebble se définit comme « Votre guide pour un mode de vie élégant et durable. De la mode éthique à l’éco- voyage, tout est sur Pebble » consulté le 16 novembre 2021.

4. Le site d’informations Mediapart diffusait une offre d’emploi « Journaliste Pôle écologie » au 1er décembre 2020. Le descriptif du poste précisait : « Décrypter comment est adressée la question du climat dans les cercles
de pouvoir : politique (gouvernement, haute administration, commissions parlementaires, institutions européennes…) et économique (CAC 40, Bercy, Medef, cercles d’influence, lobbies…), Révéler, à travers des informations exclusives, les blocages, conflits d’intérêts, et autres jeux d’influence qui entretiennent le statu quo en matière de lutte contre le changement climatique, en France et à l’international, Traiter les mesures concrètes de transition écologique, à l’œuvre ou à venir, Collaborer également en alternance avec ses collègues du pôle « Écologie » à la rédaction d’une newsletter régulière donnant le ton de l’écologie dans les colonnes de Mediapart et de son Club, Travailler activement avec le reste de l’équipe éditoriale, dans l’esprit de transversalité qui caractérise la rédaction de Mediapart, avec l’idée de renforcer l’importance des questions écologiques dans l’ensemble du journal. »

5. « What is Future Planet ? », une nouvelle section du blog BBC Future, « où vous trouverez des histoires sur les personnes confrontées à des défis environnementaux urgents dans le monde ».

Axe 3 : Les initiatives en faveur d’un journalisme écoresponsable

Cet axe interroge le développement de pratiques durables et responsables dans le processus de fabrication des supports matériels d’information, dans le prolongement de travaux sur le « sustainable journalism » (Maxwell, Miller, 2017), certains allant jusqu’à affirmer que « le journalisme a besoin d’une nouvelle éthique pour faire face à cette crise écologique » (Miller, 2015).
Il s’agit ici de rendre compte des initiatives en faveur d’un journalisme responsable au sein des groupes de presse. Le journalisme, comme toute activité industrielle, repose sur des pratiques et des infrastructures consommatrices en énergie et en produits plus ou moins polluants. Les éditeurs de presse s’emparent-ils de cette préoccupation ? Ces perspectives sont-elles soulevées en interne par des journalistes fléchés environnement alors qu’ils sont en butte aux réticences ou à l’incompréhension de leur hiérarchie ? À quels impératifs (d’image de la marque média, de gestion des ressources, de rationalisation des coûts) certains médias obéissent-ils ? À toutes les étapes de la fabrication d’un journal, des choix peuvent être faits pour réduire l’empreinte carbone : choix d’un papier recyclé ou provenant de forêts labellisées, choix d’alternatives aux encres conventionnelles offset (encre végétale, encre biosourcée, encre dite blanche), disparition ou pas d’un film plastique pour le routage, choix d’imprimeurs bénéficiant de labels écoresponsables. La question se pose aussi pour les sites internet, car le numérique est aussi énergivore et il est trop simpliste d’opposer presse papier et numérique.

Certains médias ont initié une réflexion de fond sur leur empreinte carbone. C’est le cas en Grande-Bretagne où l’université de Bristol a annoncé par un communiqué de presse le 13 janvier 2020 le début d’une « collaboration entre des informaticiens de l’Université de Bristol et neuf grandes sociétés de médias, dont ITV et BBC, pour aider l’industrie des médias à comprendre et à gérer les impacts carbone importants du contenu numérique. […] L’objectif est de créer un calculateur de carbone en ligne, DIMPACT, accessible à toute entreprise proposant des produits et services numériques ». Malmodin & Lundén (2018) proposent également de calculer l’empreinte carbone des secteurs Information and Communication Technology (ICT) and Entertainment & Media (E&M).

Dès lors, le désir de prendre en considération la mesure de l’empreinte environnementale des médias contribue-t-il à restreindre les pratiques professionnelles existantes ou à en développer de nouvelles, plus respectueuses de l’environnement ? Plusieurs initiatives émergent, à l’instar du Monde qui quantifie l’impact carbone des vidéos de sa série « Plan B » consacrée à la transition écologique (Bresson, 2020). L’utilisation du numérique dans la pratique du journalisme et le développement de formats reposant sur la vidéo (stories, live streaming, etc.) posent frontalement la question de la limitation du coût carbone des usages du numérique par leurs journalistes ou par le public.

Les contributions pourront donc rendre compte et interroger ce questionnement tel qu’il se pose dans les médias, à travers par exemple les modes de calcul de leur empreinte carbone, ainsi que les réflexions et débats que ceux-ci impliquent sur l’évolution des pratiques journalistiques. Comment les médias définissent-ils leur équilibre entre un journalisme responsable (donc plus sobre) et un journalisme reposant sur des infrastructures énergivores ? Au-delà des initiatives responsables portées par les services de communication des groupes d’éditions qui en font un argument de marque média, il s’agira de définir dans quelle mesure les journalistes peuvent s’en faire les acteurs. L’objectif consiste donc à interroger l’impact du journalisme responsable sur les pratiques professionnelles des journalistes. La réflexion pourra porter sur la réduction de l’empreinte carbone à travers les transports utilisés pour se rendre sur le terrain (substitution du train à l’avion, restrictions de déplacements, le développement d’un slow journalism), ou encore la rationalisation de productions en ligne gourmandes en bande passante ou en stockage sur des serveurs.

En écho au développement d’un journalisme entrepreneurial, des initiatives promeuvent un rapport plus sobre et raisonné au numérique et son empreinte environnementale. C’est le cas du développement de newsletters qui reposent sur un mode de diffusion moins massif que celui des réseaux sociaux numériques, en envoyant des contenus textuels par courriel à une sélection d’abonnés. En parallèle, la transition numérique des médias s’accompagne d’un intérêt grandissant pour la valorisation de pratiques responsables dans les rédactions et peut donner l’occasion de produire ou renouveler les chartes dédiées (rédactionnelles ou déontologiques). Les pratiques d’éco-conception, de design éthique et low-tech attirent l’attention d’acteurs responsables du numérique dans les médias dans une démarche d’innovation responsable et même de labellisation.

Calendrier et normes de composition

Format des propositions

L’approche défendue par cet appel recouvre des pratiques nouvelles et émergentes, qui concernent toutes les parties du monde et tous les formats des médias d’information. Ce dossier pourra accueillir des recherches exploratoires, des monographies, des articles présentant des problématiques originales, ainsi que des retours réflexifs de professionnels.

Les articles peuvent être rédigés en anglais et en français.

Propositions

Les auteurs doivent faire parvenir une proposition au format PDF (entre 2000 et 4000 signes) avant le 30 janvier 2022, aux trois adresses6 ci-dessous :
arnaud.mercier@u-paris2.fr magali.prodhomme@uco.fr vincent.carlino@uco.fr
Si la proposition est acceptée, ils devront faire parvenir avant la date indiquée, un texte anonymisé en francais comptant entre 25 000 et 50 000 signes, précédé de résumés en francais et en anglais (600 à 900 signes espaces compris, soit environ 80 à 130 mots), aux formats Word (.doc ou .docx).
Ils veilleront à respecter attentivement les normes typographiques de la revue ainsi que ses règles spécifiques de citation des ressources en ligne.

Note

En revanche, les propositions et questions concernant les sections non thématiques de la revue (articles pour la section « Débats », articles de recherche autonomes, notes de recherche et recensions d’ouvrages) doivent toujours être adressées à : editeurs.cahiers@pressetech.org.

Calendrier

30 janvier : réception des propositions
7 février : retour aux contributeurs sur les propositions acceptées
30 mai : réception des articles
27 juin : fin d’évaluation des articles et envoi aux auteurs pour corrections 13 juillet 2022 : retour des articles définitifs par les auteurs

 

Références

Allard-Huver, F. (2021). « Ce que les SIC font aux controverses environnementales, ce que les controverses environnementales font aux SIC », Revue française des Sciences de l’information et de la communication, 21, en ligne.

Ambroise-Rendu, A.-C. (2018). « La catastrophe écologique de Tchernobyl : les régimes de fausseté de l’information », Le Temps des médias, 30, p. 152-173.

Bresson, V. (2020). « Ces médias qui veulent réduire leur empreinte environnementale ». La Revue des médias. En ligne.

Comby, J.B. (2015). La question climatique : genèse et dépolitisation d’un problème public. Raisons d’agir.

Comby, J.B. (2009). « Quand l’environnement devient « médiatique ». Conditions et effets de l’institutionnalisation d’une spécialité journalistique », Réseaux, 157-158, p. 157-190.

Debray, R. (2020). Le siècle vert. Un changement de civilisation. Tracts Gallimard. Gassiat, A. et Verger, M. (2016). « Le changement climatique et la presse quotidienne

régionale », L’Espace géographique, 45(3), p. 249-264.

Hoang, T., Mellot, S. et Prodhomme, M. (à paraître 2022), « Le numérique à l’épreuve de l’écologie : la fabrique de la « sobriété numérique » comme nouvelle norme ? », Revue Interfaces numériques, XI (1).

Krieg-Planque, A., (2010) « La formule “développement durable” : un opérateur de neutralisation de la conflictualité », Langage et société, 134), p. 5-29.

Malmodin, J. et Lundén, D. (2018), « The Energy and Carbon Footprint of the Global ICT and E&M Sectors 2010-2015 ». Sustainability, 10(9).

Maxwell, R. et Miller, T. (2017), « Making journalism sustainable/sustaining the environmental costs of journalism », in Berglez, P., Olausson, U. et Ots, M. (eds), What Is Sustainable Journalism ? Integrating the Environmental, Social, and Economic Challenges of Journalism. Peter Lang, p.19-37.

Miller, T. (2015). « “Unsustainable Journalism », Digital Journalism, 3(5), p. 653-663. Morin, E. (2020). L’entrée dans l’ère écologique. Éditions de l’Aube.

Reinert, M. (2020). « Environmental journalism in France at a turning point », In Sachsman, D., Valenti, J. (eds), Routledge Handbook of Environmental Journalism. Routledge, p. 203-211.

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