Itinéraires. Littérature, Textes, Cultures.

La performance au prisme du langage dans les arts

Réponse attendue pour le 25/09/2023

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Itinéraires. Littérature, Textes, Cultures.

Éditeur OpenEdition Journals

Coordinateurs

Le mot « performance » peut désigner à la fois l’utilisation que les locuteur·rices font des structures grammaticales d’une langue (Chomsky, 1965) ; un genre discursif et artistique (Bauman, 1972 ; Nachtergael, 2020) ; une métaphore utilisée par les chercheur·ses pour parler du monde en tant que théâtre (Goffman, 1956) ; et enfin une action ritualisée sous un certain nombre de contraintes que l’on associe ou que l’on rapproche souvent à une notion voisine, celle de performativité (Greco, 2021 ; Marignier, 2021)1. La performance, en tant que genre artistique, peut se définir comme une action se déroulant une fois pour toutes, pour et avec un public ; une « manifestation artistique dans laquelle l’acte ou le geste de l’exécution a une valeur pour elle-même » (Daniel, 2010) et dans lequel l’expérience corporelle et sensorielle des performeur·ses et du public en constitue un trait central. Par conséquent, il demeure pertinent d’interroger « comment cette forme d’art travaille directement sur cette frontière où l’œuvre et le corps fusionnent comme opérateurs du savoir, mais aussi comme instrument d’interaction avec le social, le public et l’environnement » (Bertron Halimi, 2020). Le terme est souvent utilisé en opposition à une vision du théâtre ancrée dans l’idée d’un personnage à incarner et racontant une histoire devant un public. De ce fait, la performance est irréductiblement expérientielle et transformatrice (Turner, 1987), elle interroge radicalement les dichotomies classiques « scène vs coulisse », « acteurs vs public » et elle est fortement ancrée dans les pratiques sociales, voire langagières et multimodales (verbales, visuelles, tactiles, motrices…), des participant·es. Face à la performance, nous sommes confronté·es non seulement à une multiplicité de repères historiques, années 1970, années 1950-1960, début du siècle passé avec les avant-gardes artistiques, et peut-être même plus avant (Goldberg, 1999, 2001), mais aussi à un florilège lexical. En effet, ce type de pratiques peut être décrit dans la littérature et par les artistes mêmes avec des termes différents, mais renvoyant néanmoins au champ sémantique de l’action : action, happening, event, performance… (Brit & Meats, 2014). Malgré ces différences lexicales et les nuances sémantiques qui y sont associées (faisant référence entre autres paramètres à la durée, au degré de structuration de l’événement, au rôle accordé au public…), la critique et les chercheur·ses en Performance Studies (Schechner, 2006), mais également les artistes, pourront désigner ces pratiques, à différents moments de leur trajectoire, de « performances » acquérant ainsi le statut d’un terme générique.

Dans le champ des pratiques artistiques contemporaines, les imbrications entre art, langage et performance peuvent être pensées, par exemple, au prisme du dialogical art (Kester, 2004). Dans ce cadre, mais on peut aussi penser au collectif britannique “Art & Language” inspiré par ailleurs par la linguistique et la philosophie du langage2, les artistes présentent des performances ou situations qui s’articulent autour d’un échange discursif, conversation, débat, dialogue, tout en faisant œuvre à partir d’une pratique langagière donnée. Cette perspective considère l’art au prisme de la conversation (« art conversationnel », voir Bhabha, 1998) avec un public. C’est notamment grâce à cet échange que l’acte se construit dans une logique performative et que l’œuvre rencontre son public, et « construit sa communauté d’interprétation » (Bhabha, 1998). Les projets artistiques dialogiques se développent en effet à travers des processus d’interaction performative complexes, et invitent à interroger une expérience esthétique singulière comme celle de l’écoute, susceptible de produire chez les participant·es de nouvelles formes de connaissances sur notre relation au monde social et politique.

Depuis la publication de Gender trouble de Judith Butler en 1990, le concept de performance a connu un succès retentissant dans les études de genre et dans l’ensemble des sciences humaines et sociales et il est devenu un outil extrêmement fécond pour l’appréhension du genre en tant que processus et en tant qu’accomplissement langagier. Néanmoins, la focalisation autour du genre, et de toute catégorie sociale, en tant que « faire », « pratique », « routine » ou son appréhension par le langage est antérieure aux travaux de Butler. Elle fait notamment écho aux travaux menés en sciences sociales avec les travaux pionniers de Gurvitch (1956) et de Goffman (1956) jusqu’aux travaux les plus récents sur la performance en milieu queer et féministe3 (Munoz, 1999 ; Preciado, 2000 ; Lorenz, 2012 ; Greco & Kunert, 2021) en passant par les recherches de Garfinkel (1967) et de West et Zimmerman (1987) sur le genre en tant qu’accomplissement quotidien et langagier et de Turner (1987) en anthropologie. Erving Goffman, sociologue et figure emblématique dans le champ des travaux sur l’interaction, attribue à la performance un rôle central pour l’étude de l’interaction et de la présentation de soi. Tout en proposant une vision dramaturgique de la vie sociale, il définit la performance comme une activité sociale dans laquelle les actions des un·es influencent ou déterminent les actions des autres.

La mise en parallèle entre performance et pratiques langagières sera par la suite travaillée dans le champ de l’anthropologie linguistique et tout particulièrement dans celui de l’art verbal et des pratiques oratoires (Finnegan, 1998). Dans ce domaine, la performance est appréhendée comme un genre discursif, un mode de communication dans lequel les compétences oratoires de la locutrice ou du locuteur sont évaluées par un auditoire (Bauman, 1984).

D’une part, la performance en tant que genre discursif est traditionnellement associée à des pratiques cérémonielles, magico-religieuses, politiques comme les mariages, les funérailles, les rites d’initiation ou les discours politiques face à une audience (Bornand & Leguy, 2013 ; Masquelier, 2011). D’autre part, elle a la tendance aujourd’hui à devenir parfois synonyme de toute pratique langagière s’accomplissant devant et pour un public. Dans ce cas, une part importante est consacrée au rôle de l’auditoire dans la coconstruction du message et aux compétences oratoires déployées par les performeur·ses pour convaincre, attirer l’attention de son public (Goodwin, 1990).

La focalisation autour des pratiques quotidiennes y compris celles plus langagières comme la conversation dans l’accomplissement de la performance relève aussi des arts plastiques (Greco, 2017). Pour Kaprow (1993), lecteur de Goffman et du linguiste anthropologue Birdwhistell par ailleurs, il s’agit de performer les plus banales des conduites sociales comme « se serrer la main », « saluer quelqu’un », « se brosser les dents », etc. L’intérêt que ces pratiques revêtent consiste en une prise de conscience des cadres invisibles du fonctionnement social en rendant étrange la plus familière des pratiques. Si d’une part, avec Kaprow, le changement de regard contribue à la transformation d’un objet quotidien en objet esthétique ; d’autre part, ce qu’il se passe avec l’attention d’un Goffman sur des pratiques quotidiennes telles que par exemple la marche sur un trottoir, attribue à celles-ci le statut d’objet scientifique doté d’une organisation et d’une grammaire qui lui sont propres.

À l’intersection entre pratiques quotidiennes, formes artistiques et pratiques langagières, et au croisement des sciences sociales et des études de genre (Berger, 2013), la performance peut se révéler également un puissant instrument politique dont les minorités peuvent s’approprier pour occuper l’espace public (Borghi, 2014 ; Bourcier, 2017 ; Castaing & Lignon, 2020 ; Bertho, Desgranges & Le Lay, 2021), faire entendre une parole autrement silenciée et proposer des formes interstitielles dans lesquelles le corps, l’action politique et la dimension plus strictement théâtrale ou langagière sont proposées (Mieli, 2019 ; Starhawk 2016). Dans ce cadre, la performance peut prendre les formes les plus diverses – drag, travestissement, occupation d’un lieu, chant, danse, incantations magiques – et faire partie d’un répertoire d’action de résistance.

Dans ce numéro, nous proposerons une approche à la performance permettant à la fois de considérer les pratiques artistiques au prisme du matériau langagier, dans leur accomplissement langagier, interactionnel (Kreplak, 2018), et d’appréhender les pratiques langagières, comme par exemple la conférence (Boisson, Corbel, Creissels & Noûs, 2020), à la fois en tant que matière plastique et esthétique, une véritable ressource de travail pour les artistes, mais aussi en tant que médium pour parler des œuvres d’art et de la performance en particulier (Houssais, 2020).

À partir d’une journée d’étude que nous avons organisée en mars 20234 et dans laquelle un dialogue s’est instauré entre artistes et chercheur·ses en sciences humaines et sociales autour de la performance et du langage en tant que matériau esthétique, nous comptons prolonger les échanges en donnant corps à un numéro spécial ouvert à des propositions qui pourraient rencontrer les questions suivantes (la liste n’est évidemment pas exhaustive) :

  • Quel est le rôle joué par les pratiques langagières dans l’accomplissement des performances et/ou d’actions artistiques proches comme les happenings, les events, les statements, etc. ? ;
  • comment l’art contemporain considère le langage comme une ressource esthétique à la fois dans l’histoire de l’art et dans les pratiques des artistes ? ;
  • comment le langage est utilisé par les artistes et les militant·es dans les performances d’inspiration féministes, queer ? ;
  • comment les méthodes qualitatives issues du champ des sciences humaines et sociales (enquête ethnographique, entretien, enregistrement et transcription de pratiques langagières) sont utilisées, intégrées dans les performances ? Et de quelles façons les chercheur·ses en sciences humaines et sociales considèrent leurs travaux, les objets sur lesquels iels travaillent comme des objets esthétiques, relevant des arts plastiques ou pouvant s’entrecroiser avec la performance artistique ?

Notes

1 On peut aussi renvoyer à Sormani (2019) pour une critique lucide sur l’usage abondant du qualificatif « performatif » aussi bien dans l’art contemporain que dans les Performance Studies.

2 “The territory of linguistics and philosophy of language was vieved as a terrain of empirical investigation” (Harrison, 1991, p. 76).

3 Pour une analyse du genre en relation aux avant-gardes artistiques du début du siècle passé comme par exemple le futurisme ou le surréalisme, nous renvoyons à Bridet et Tomiche (2012).

4 http://crem.univ-lorraine.fr/recherche/evenements/la-performance-au-prisme-des-arts-et-du-langage.

Informations pratiques

Modalités de soumission

Calendrier

  • 25 mai 2023 : lancement de l’appel à contribution
  • 25 septembre 2023 : date limite de réception des propositions
  • 24 novembre 2023 : retour du comité de coordination, sélection des propositions
  • 15 juin 2024 : date limite réception d’article V1
  • Rentrée 2024 : retour des évaluations
  • Automne-Hiver 2024-2025 : révision des articles et envoi V2
  • Publication prévue : 2025

Mots-clés