Revue des Sciences Sociales

La fabrique de l’inclusion numérique des personnes âgées

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Informations éditées à partir d’une annonce Calenda.

Réponse attendue pour le 01/03/2022

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

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Argumentaire

L’âge ou l’appartenance à une génération donnée (par exemple, celles des millenials ou de la génération Z) est souvent donné comme une explication évidente du rapport au numérique, de la dextérité et de la facilité d’usage dont feraient preuve les jeunes générations qui sont nées avec ou, inversement, de la difficulté à se l’approprier pour des personnes âgées qui y sont confrontées sur le tard. De fait, chez un grand nombre de personnes âgées, l’usage du numérique ne va pas de soi même s’il faut également rappeler que certains seniors sont fortement investis dans sa découverte et en font un usage actif et positif. Face à une société qui se numérise de plus en plus, cette distance au numérique des personnes âgées apparaît comme une préoccupation de premier plan afin de pallier au risque « d’exclusion », « de sentiment d’abandon » ou de « fracture numérique », 27 % des personnes de plus de 60 ans n’utilisant jamais internet (Petits Frères des Pauvres, 2018). La place du numérique dans les sociétés contemporaines et ses usages est aujourd’hui une interrogation relativement commune. Elle se décline en de nombreux dispositifs : sous forme de scripts (Akrich 1986) déposés dans les objets, d’une organisation de leur design ou de leurs propriétés ergonomiques mais aussi, du côté des usagers, sous la forme d’un travail plus ou moins diffus des dispositions, des usages et des gestes qui peut être réalisé par des institutions ou associations, des professionnels mais aussi des proches. Dans cette perspective, l’inclusion apparaît comme une nécessité incontournable, une valeur ou un principe supérieur commun qui guident aussi bien l’action publique, ses dispositifs et professionnels que les acteurs ordinaires lorsqu’ils cherchent à faire accéder au numérique (par exemple, en offrant un téléphone mobile à un proche), à faire faire (en lui envoyant, à distance, un lien) ou à aider à faire (en lui montrant comment envoyer un texto).

Dans la perspective de cet AAC, nous proposons d’appréhender le numérique comme une « révolution sociotechnique », imposant un format nouveau à un grand nombre de pratiques. Des réseaux sociaux aux sites de rencontre, du e-commerce (ou « drive ») aux administrations dématérialisées (impôts, CAF, retraite etc.), de l’usage d’un moteur de recherche à la gestion de ses données personnelles, de l’usage du mobile pour prendre et envoyer des photos / MMS à l’usage de la visio pour échanger avec des proches, du smartphone au robot et aux dispositifs de santé, on peut en effet avancer que la logique du numérique contient en même temps qu’elle dépasse ses usages spécifiques et se déploie dans de nombreux dispositifs (des sites et des bornes), des opérations pratiques (déclarer / payer ses impôts) et des objets (smartphones, ordinateurs etc.). L’inclusion numérique au grand âge, telle que nous l’entendons, se conçoit non comme un état ou une propriété fixe, mais comme une activité sociale portant notamment sur le travail de médiation ou d’intermédiation, en vue d’accompagner les personnes âgées dans leur « mise au numérique ».

Axes thématiques

Cet AAC s’inscrit dans la continuité des réflexions et présentations animées par le groupe thématique « Nouvelles technologies et société inclusive », lors du 6e colloque international du REIACTIS de 2020 « société inclusive et avancée en âge ». Les contributions attendues devront s’inscrire dans l’un des trois axes ci-dessous :

1 – L’action publique et la fabrique de l’inclusion numérique

Loin d’être une question méconnue et ignorée, l’inclusion est au centre de nombreux dispositifs d’action publique qui, sous des formes diverses, se proposent d’accompagner les personnes dans ce qui est, incontestablement, une transformation majeure des sociétés contemporaines. Malgré ses limites (Boullier 2016), c’est aussi ce que rappelle l’expression très utilisée dans l’action publique et le monde politique de « fracture numérique » : la question du numérique devient d’autant plus cruciale que les administrations en France connaissent une dématérialisation, que le commerce en ligne se développe (ce qui n’est pas sans conséquence parfois sur le commerce local), que les réseaux qui font la sociabilité ordinaire s’entretiennent désormais souvent par le truchement des réseaux sociaux. C’est par exemple ce que relève le Défenseur des Droits qui, dans son rapport de 2019, s’insurge contre « l’enfer numérique » de la dématérialisation des services publics. Conscients du besoin de réduire cette fracture numérique, les pouvoirs publics multiplient depuis 10 ans les recommandations et les plans d’actions pour assurer l’inclusion des personnes âgées. Ainsi, en 2011, le livre blanc « Seniors et tablettes interactives » conseille d’accompagner l’usage grâce au développement de dispositifs spécifiques. Au côté d’une approche ergonomique, le rapport du Conseil National du Numérique (CNNUM) « Citoyens d’une société numérique » en 2013 et la stratégie numérique de 2015 préconisent tour à tour de renforcer la formation et la médiation numérique pour accompagner l’usage, reconnaissant la marginalisation sociale, culturelle et économique des non-connectés.

Sur ce premier axe, l’AAC attend des contributions qui pourraient interroger aussi bien la manière dont l’action publique problématise et construit la question de la « fracture numérique » ou de « l’inclusion numérique » que les réponses qui lui sont apportées par des acteurs locaux sous forme de dispositifs (médiation et intermédiation numérique). Un intérêt particulier sera porté aux contributions interrogeant les relations entre la dématérialisation des administrations et l’inclusion par le numérique.

2 – Le numérique au prisme de l’avancement en âge

Ce second axe vise à interroger les manières dont le numérique, sous ses différentes formes, prend place dans la vie des personnes, vient accompagner les moments clés de leurs parcours et s’inscrire dans leur écosystème de vie. Ainsi, plutôt que de renvoyer les usagers du numérique à une forme de passivité face à des objets et leurs usages à des affinités et à des compétences fixes, les articles attendus peuvent décrire les manières dont les usagers se saisissent de ces outils, intègrent ou déplacent leurs usages par rapport à des situations et contextes d’usage ou des moments clés de leur existence. Selon Bobillier Chaumon et Ciobanu (2009), quatre facteurs sont à l’œuvre pour expliquer l’adoption des TIC chez les seniors : l’importance du réseau social, la valeur utilitaire attribuée aux dispositifs numériques, les facteurs personnels et expérientiels permettant d’inscrire les pratiques numériques dans un projet de vie. Parallèlement, la sociologie du non-usage, après avoir cherché à profiler les statuts des non-usagers, tend à investiguer sur l’écoute de ce que les personnes ont à dire de leur « non-pratique », à savoir les systèmes de représentations, les modèles, les références construits et mobilisés qui sous-tendent les décisions et les actions (Boutet, Trémembert 2009).

On peut ainsi penser que la situation de confinement liée à l’épidémie récente de Covid-19 a, par exemple, conduit à un usage accru des réseaux sociaux et de la téléphonie mobile de même que l’on peut avancer que l’usage des technologies numériques est susceptible de varier à différents moments de l’existence (Caradec 1999) non seulement au regard des épreuves proprement personnelles et identitaires, mais aussi au regard des changements dans la vie des proches, et nécessitant une reconfiguration des usages pour maintenir le lien.

Les travaux attendus pourraient ainsi s’intéresser à la place prise par le numérique dans le « processus de réaménagement de la vie » (Clément, Mantonvani 1999), opérant à des moments clés de celle-ci ou en réponse à un contexte de transformation de l’environnement (fermeture de commerces, confinement, absence ou départ de proches etc.). Une attention particulière sera portée aux travaux s’intéressant au contexte d’usage, mésusage et non usage (renoncement) ainsi qu’aux appuis apportés par les proches (enfants, petits-enfants) pour convertir au numérique et/ou accompagner ses usages familiaux (TIC), utiles (e-commerce) ou bureaucratiques (démarches en ligne).

Les « dernières années de longue vie », sont pour beaucoup marquées par le passage du troisième au quatrième âge, celui des pertes, déficiences et développement de polypathologies (Lalive d’Épinay, Guilley 2004). Les articles pourront ainsi également porter sur la manière dont les personnes âgées en situation de fragilité ou de dépendance sont amenées à faire usage (ou mésusage / non-usage) des technologies numériques pour la santé et l’autonomie (télésoins, téléassistance, consultations à distance, etc.), en appui notamment à leur « travail de malade » (Strauss et al., 1982) ; ainsi qu’à la façon dont elles y sont accompagnées par les professionnels de l’aide et des soins ou des proches, selon la même perspective de « fabrique de l’inclusion numérique ».

3 – L’utilisateur et son expérience : script et inclusion

Ce troisième axe voudrait amener des contributions décrivant les processus par lesquels des problématiques d’âge sont introduites et prises en compte dans les dispositifs numériques, dans leur conception même ou leur ajustement aux spécificités supposées ou observées de cette population. De manière complémentaire aux axes précédents, il s’agit donc d’interroger les manières dont l’inclusion vise à être réalisée et est embarquée dans les dispositifs numériques.

Les travaux attendus pourraient ainsi s’intéresser aux manières dont le « script » des dispositifs numériques prend en compte leur usage par des « personnes âgées », celui-ci renvoyant à une : « mise en forme technique, par le concepteur, de son point de vue sur les relations nécessaires entre son objet et les acteurs qui doivent s’en saisir se veut une prédétermination des mises en scène que les utilisateurs sont appelés à imaginer à partir du dispositif technique et des prescriptions (notices, contrats, conseils…) qui l’accompagnent » (Akrich, 2006). Outre leur design (téléphones à grosses touches, version simplifiée des OS, etc.) générique, ces contributions pourraient porter sur l’intégration de ces dispositifs dans l’environnement de vie des personnes (ajustement des fonctionnalités, adaptation du domicile ou au corps de la personne) ou les retours d’expériences (forums) dépliant ainsi toute la plasticité qui caractérise l’innovation (Flichy, 2003).

Cet axe vise également à solliciter des travaux traitant de l’appropriation des dispositifs numériques par les utilisateurs. La fabrique de l’inclusion numérique peut également en effet être envisagée comme un processus échappant aux concepteurs, en raison notamment de « détournements d’usage » (Akrich 1998). L’analyse pourra alors porter sur les rapports sociaux construits autour des outils numériques, lesquels peuvent produire ou non de l’inclusion.

Modalités de soumission

Les résumés – 4000 signes maximum, espace compris – des articles proposés sont attendus pour le 1er mars 2022.

Ils doivent être envoyés à l’adresse de la revue : rss@misha.fr, ainsi qu’à celles des coordinateurs du dossier :

  • ggoulinet-fite@france-assos-sante.org
  • chr@gmail.com
  • levilain@univ-lorraine.fr

Ils devront mentionner l’axe dans lequel la proposition s’inscrit, le titre, le cadre théorique, les matériaux empiriques, terrains et méthodologie. Le résumé doit comporter également une bibliographie de référence (en dehors des 4000 signes) et une brève notice bio-bibliographique de/des auteur(e)s. Si la proposition est acceptée, l’article doit être remis avant le 1er septembre 2022 pour une parution au deuxième semestre de l’année 2023.

Évaluation des textes

Les articles seront soumis pour évaluation en double aveugle à deux lecteur·trice·s. Les deux lecteurs rendent des avis séparés. L’exemplaire du texte qui leur est remis ne mentionne pas l’identité de l’auteur, et l’auteur de son côté ne peut se faire communiquer l’identité de ses lecteurs : la décision du comité de rédaction, après avis des lecteurs, lui est communiquée par les rédacteurs en chef dans les meilleurs délais.

Les articles refusés ne sont ni conservés, ni retournés.

Coordination

  • Géraldine Goulinet-Fité, Laboratoire MICA, Université Bordeaux Montaigne
  • Christophe Humbert, PSInstitut / Laboratoire Dyname, Université de Strasbourg
  • Hervé Levilain, Laboratoire 2L2S, Université de Lorraine

Équipe Revue des sciences sociales

Directrice scientifique

  • Nicoletta Diasio (Université de Strasbourg, IUF)

Rédacteurs

  • Vulca Fidolini (Université de Lorraine)
  • Christophe Humbert (Université de Strasbourg)
  • Virginie Wolff (Université de Strasbourg)

Comité scientifique

  • Isabelle Bianquis-Gasser (Univ. Tours)
  • Chantal Bordes-Benayoun (CNRS Toulouse)
  • Giovanni Gasparini (Univ. Sacro Cuore, Milano)
  • Jose Carlos Gomes da Silva (Instituto Universitario de Lisboa)
  • François Héran (Collège de France)
  • Claude Javeau (Univ. Libre de Bruxelles)
  • Reinhard Johler (Univ. Tübingen)
  • Nicole Lapierre (EHESS/CNRS Paris)
  • Pierre-Joseph Laurent (UCL/Académie Royale de Belgique)
  • Marianne Mesnil (Univ. Libre de Bruxelles)
  • Sonia Montecino (Univ. de Chile)
  • Freddy Raphaël (Univ. Strasbourg)
  • Jean Rémy (Univ. Cath. de Louvain)
  • Dominique Schnapper (EHESS Paris)
  • Martine Segalen (Univ. Paris Ouest Nanterre)
  • Régine Sirota (Univ. Paris Descartes)
  • Alain Tarrius (Univ. Toulouse-Le Mirail),
  • Alain Touraine (EHESS Paris)

Comité de rédaction

  • Virginie Amilien (Oslo Metropolitan University)
  • Alain Ayerbe (Univ. Strasbourg)
  • Maurice Blanc (Univ. Strasbourg)
  • Wolfgang Essbach (Univ. Freiburg)
  • Piero Galloro (Univ. Lorraine)
  • Sandrine Glatron (CNRS Strasbourg)
  • Laurence Granchamp (Univ. Strasbourg)
  • Philippe Hamman (Univ. Strasbourg)
  • Pascal Hintermeyer (Univ. Strasbourg)
  • Salvatore La Mendola (Univ. Padova)
  • David Le Breton (Univ. Strasbourg/IUF)
  • Hervé Marchal (Univ. Franche-Comté-Bourgogne)
  • Juan Matas (Univ. Strasbourg)
  • Ilario Rossi (Univ. Lausanne)
  • Régis Schlagdenhauffen (EHESS Paris)
  • Patrick Schmoll (CNRS Strasbourg)
  • Josiane Stoessel-Ritz (Univ. Haute Alsace)
  • Simona Tersigni (Univ. Paris Ouest Nanterre)
  • Philippe Vienne (Univ. Mons)
  • Virginie Vinel (Univ. Franche-Comté-Bourgogne)
  • Ingrid Voléry (Univ. Lorraine)

Collaborateurs et collaboratrices éditoriaux

  • Anny Bloch
  • Marie-Noële Denis
  • Geneviève Herberich-Marx
  • Patrick Ténoudji

Références

(1) (1998), « Les utilisateurs, acteurs de l’innovation », Éducation permanente, 134, p. 79-90.<https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00082051>

Akrich M. (2006), La description des objets techniques, in Akrich M., Callon M., Latour B. (éds.), Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, Presses de l’école des Mines, p. 253-265. <https://books.openedition.org/pressesmines/1197>

Bobillier Chaumon M.E, Ciobanu R.O. (2009), « Les nouvelles technologies au service des personnes âgées : Entre promesses et interrogations : une revue de questions », Psychologie Française, 54, 3, p. 271-285.

Boullier D. (2016), Sociologie du Numérique, Paris, Armand Colin.

Boutet A., Trémembert J. (2009), « Mieux comprendre les situations de non-usages des TIC. Le cas d’internet et de l’informatique : Réflexions méthodologiques sur les indicateurs de l’exclusion dite numérique », Les Cahiers du numérique, 5, 1, p. 69-100.

Caradec V., « L’usage des technologies par les personnes vieillissantes », Retraite et société, 26, 1999, p. 8-25.

Conseil National du Numérique (2013), Citoyens d’une société numérique : pour une nouvelle politique d’inclusion – rapport. <https://cnnumerique.fr/nos-travaux/inclusion-numerique>

Clément S., Mantovani J., « Les déprises en fin de parcours de vie », Gérontologie et société, 90, 1999, p. 95-108.

Flichy P. (2003). L’innovation technique, Paris, La Découverte.

Lalive d’Épinay Christian, Guilley Edith (2004) « Les dernières années de longues vies. L’incapacité lourde constitue-t-elle aujourd’hui la dernière étape de la vie ? », Gérontologie et société, 27, 110, p. 121-129.

Petits Frères des Pauvres (2018), L’exclusion numérique des personnes âgées – rapport. <https://www.petitsfreresdespauvres.fr/media/332/download/2018_10_01_Rapport_exclusion_numerique_personnes_agees_pfP.pdf?v=2&inline=1>

Strauss A., Fagerhaugh S., Suczek B., Wiener C. (1982). « The work of hospitalized patients », Social Science and Medicine, 16, p. 977-986.