Communication & Management

La communication des organisations en contexte de numérisation généralisée au prisme des disciplines et des épistémologies

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Réponse attendue pour le 20/12/2021

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Communication & Management

Éditeur ESKA

Coordinateurs

Présentation

Selon les époques, les théoriciens de l’organisation ont porté un intérêt plus ou moins prégnant et direct à la communication. Son étude en tant qu’objet et réalité observable apparaît dans la littérature académique anglo- saxonne dans les années 1940. L’ouvrage d’Heron (1942) marque la naissance aux États-Unis d’une pensée sur le « discours entrepreneurial » et « la communication industrielle ». Les recherches des années 1950, axées sur les savoir-faire et les outils de communication, se destinent principalement aux dirigeants d’entreprises avec des visées prescriptives ou normatives. Dans les années 1960, les recherches acquièrent, particulièrement en économie, un statut scientifique affirmé. L’« organizational communication » est enseignée pour la première fois comme matière principale dans une université. L’International Communication Association crée une division propre, une revue scientifique est éditée (Journal of Business Communication) et des ouvrages appréhendent la communication de manière originale (par exemple Katz, Kahn, 1966). Dans les années 1970, ceux de Goldhaber (1974) et de Farace, Monge et Russel (1977) fondent le champ qui se formalise dans les années 1980 avec des synthèses (par exemple Putnam, 1982), une généralisation des sections dédiées dans des organisations de chercheurs (Academy of management…) et une multiplication des colloques. Au Canada, les travaux de James Taylor (1993) ouvrent un courant de communication organisationnelle qui, inscrit dans une perspective interprétative et pragmatique, fait le lien entre les recherches francophones européennes et anglophones, notamment nord-américaines (Cordelier, 2016). En France, Le Moënne et Gallot (2015) identifient des publications scientifiques sur la communication des organisations dès les années 1960 : dans la revue Économie et humanisme du Celsa (Paris IV – Sorbonne) ; un chapitre de Moles et Duguet sur les communications dans l’entreprise dans l’Encyclopédie de l’entreprise moderne en 1966 ; un ouvrage de Weiss sur la presse d’entreprise (1971) et un autre de Le Moigne sur les systèmes d’information des organisations (1973). Il faut attendre l’émergence d’une communauté de chercheurs – notamment via des groupes d’étude et de recherche tels « Langage et travail » en 1989 et « Org&Co » en 1994, ainsi qu’une revue dédiée en 1991 (Communication & organisation) – pour observer les premières convergences thématiques, l’apparition de programmes de recherche ainsi qu’une certaine institutionnalisation (Giordano, 2001). Aujourd’hui, les définitions et appréhensions de l’organisation et de la communication sont diverses, les paradigmes, socles théoriques et méthodologiques sont variés (Delcambre, 2008), les problématiques de recherches nombreuses, les postures différentes et les références diversifiées (d’Almeida, Andonova, 2006).

Dans le champ de la communication des organisations – dite aussi organisationnelle – face à « une pluralité quasi-infinie d’objets » (Gryspeerdt, 2004), le numérique constitue depuis plus de vingt ans un thème de recherche à part entière que ce soit en économie, sociologie, sciences de gestion, sciences politiques, sciences du langage ou encore en sciences de l’information et de la communication. L’importance du numérique a donc donné naissance à un courant de recherche interdisciplinaire, appelé Internet Studies (Dutton, 2013), qui s’intéresse autant à Internet en tant qu’objet de recherche qu’aux technologies digitales de l’information et de la communication mises en place. L’environnement technologique a en effet vu l’émergence dans les années 1990, puis la généralisation dans les années 2000, des « technologies numériques » et notamment des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic devenues Tic). Les évolutions ont été importantes tant en matière d’ordinateurs, de terminaux mobiles (tablettes, smartphones, portables…), de réseaux (5G, wifi max, hot spot, fibre…) que d’Internet des objets ou encore d’applications. L’actuelle « numérisation généralisée » de la société influence plus que jamais les organisations (Barlatier, Burger-Helmchen, 2019). Le numérique agit sur les activités et les relations en modulant les contraintes d’espace et de temps (Carayol, Laborde, 2019). Il favorise par exemple le travail en réseau, la flexibilisation de la relation de travail, la constitution de communautés de pratiques, la production et la diffusion de savoirs. Il change également les pratiques professionnelles des acteurs dont celles informationnelles (pour tracer, stocker, diffuser) et communicationnelles (Coutant, Domenget, 2015 ; Galibert, Cordelier, 2017). Des données massives produites, distribuées et partagées par une diversité de dispositifs (inter)connectés participent d’une évolution des métiers, des rôles et statuts, des espaces relationnels et des modes d’interactions avec une diversité de parties prenantes.

Dans ce contexte, les recherches en sciences humaines et sociales interrogent cette place grandissante du numérique. Les approches dépassent les « simples » questions techniques en portant intérêt, dans des domaines d’activité variés, aux objets, enjeux, logiques d’usage et pratiques associées, aux rôles et influences des dispositifs numériques… (Barlatier, 2016). Au-delà des mythes, elles déconstruisent, nuancent, parfois remettent en cause certaines idées reçues et/ou discours dominants qu’ils soient technicistes, gestionnaires, managériaux ou étatiques. Dès les années 1990, différents chercheurs (Alter, Crozier, Friedberg, Bernoux…) ont ainsi montré les usages réels (adapté, détourné, rejeté…) d’objets techniques, aussi performants soient-ils. D’autres (Boutary, d’Iribarne, Gadille, Monnoyer…) ont mis en lumière les coûts et inconvénients des Tic quant à la sécurité de l’information, à de potentiels blocages ou perte de temps.

Le présent appel à articles pour la revue Communication & Management, invite à questionner les recherches sur la communication des organisations en contexte de numérisation généralisée au prisme des disciplines et des épistémologies. L’étude critique des processus généraux de constitution des connaissances valables de la science – qu’il s’agisse des postulats, logiques, fondements, méthodes… – permet en effet de déterminer les origines et portées scientifiques et philosophiques des travaux et donc leur valeur (Piaget, 1967). Organisation et communication sont questionnées avec des courants théoriques nombreux et diversifiés qui reposent sur des hypothèses différentes quant à la nature de la société et de la science (Rojot, 2003). En France, en sciences de gestion, la recherche a historiquement eu pour ambition d’expliquer et si possible de prescrire des processus organisationnels afin de guider les actions des dirigeants notamment dans les entreprises. De fait, le fonctionnalisme a d’abord été retenu pour qualifier leurs approches (école classique des organisations, école des ressources humaines…). Mais dans les années 1980, Trujillo et Toth (1987) recensent également la mobilisation de paradigmes interprétatifs et critiques. L’enjeu n’est plus alors forcément l’opérationnalisation pratique et la résolution de problèmes organisationnels mais la proposition de modèles d’explication. L’interprétativisme, emblématique dans les travaux de Weick (1969), fortement mobilisés en gestion comme en communication, est revendiqué dès la conférence d’Alta en 1981 dans l’ouvrage de Putnam, Pacanowsky (1983) qui s’en inspire et aboutit à des développements interdisciplinaires centrés sur l’organisation (Putnam et Nicotera, 2009). En sciences de l’information et de la communication, si les recherches ont d’abord hérité d’un certain nombre de théories positivistes (théorie de l’information, cybernétique…), elles ont exploré dès les années 1990 d’autres épistémologies et ce dans une posture critique en rupture avec les études descriptives ou prescriptives des pratiques professionnelles (Bernard, 2006). C’est ainsi par exemple que l’organisation est appréhendée comme une entité symbolique avec la systémique qualitative inspirée des travaux de l’école de Palo Alto (Mucchielli, 1999) ou que la communication est considérée comme organisationnelle dans une perspective constructiviste avec la théorie conversation-texte (Cooren, Taylor, Van Every, 2006). Plus récemment, Bouillon, Bourdin et Loneux (2008) proposent de caractériser une approche communicationnelle des organisations.

Pour le présent appel à articles, les auteurs et autrices sont invités à contribuer selon trois entrées complémentaires et associables.

  1. La première est dédiée aux épistémologies. Le contexte numérique renvoie « à des contextes d’activité dans lesquels les médias et les technologies numériques occupent une place centrale et constituent une infrastructure essentielle pour les phénomènes, pratiques et interactions sociales sur lesquels porte le recherche » (Millette etal., 2020). Il s’agit dès lors de s’interroger sur l’incidence des technologies numériques sur les méthodes de recherche et les épistémologies. Les travaux pourront dès lors s’interroger sur les apports des digital methods (Rogers, 2013) (i.e, deep learning, google analytics) et des méthodes computationnelles (i.e., intelligence artificielle, neurosciences computationnelles, machine learning et algorithmes) permettant d’exploiter et de visualiser les vastes corpus de données (dites big data) collectés sur le web et les réseaux sociaux dans l’étude de la communication des organisations. En contexte numérique « généralisé », quels sont les modes de construction des connaissances scientifiques dans le champ de la communication des organisations ? Quels sont les objets considérés, les épistémologies adoptées et, par suite, les approches et méthodes retenues ? Quelles ont été les évolutions potentiellement induites par les objets considérés ?
  2. La deuxième entrée vise à questionner les méthodes numériques, digitales ou virtuelles, selon le vocable de préférence, et leurs apports. Les méthodes d’exploration en ligne permettent en effet l’émergence de recherches sur la communication des organisations et de ses parties prenantes mobilisant une perspective ethnographique pour en étudier les phénomènes socio-culturels (i.e., forum de discussion, communauté virtuelle) (Rogers, 2013). Quelles validités et portée éthique de ces méthodes virtuelles quand les observations ont lieu en ligne et parfois sans consentement des personnes observées, cachées le plus souvent derrière des pseudonymes ? Quelle complémentarité de ces méthodes au regard des méthodes plus traditionnelles d’exploration et d’étude de la communication des organisations ? Quel rôle de ces méthodes dans l’identification de nouveaux terrains de recherche portant sur la communication des organisations ?
  3. La troisième entrée invite à penser les recherches sur la communication des organisations en contexte de numérisation généralisée au prisme des disciplines : quelles sont les similitudes et les divergences entre ces dernières ? Comment ces choix d’objets, d’épistémologies, de méthodes… s’inscrivent dans des histoires et des positionnements disciplinaires ? Courbet en 2001 puis Le Bœuf en 2008 constatent de profondes différences sur les plans épistémologiques, ontologiques, théoriques et méthodologiquesentre sciences de gestion et sciences de l’information de la communication. Pourtant les objets d’étude font l’objet d’intersections que chacune de ces disciplines investit et fait mûrir en fonction d’opportunités institutionnelles (Cordelier, 2010). Qu’en est-il aujourd’hui ? Alors que les objets d’étude en sciences humaines et sociales sont nécessairement complexes, multidimensionnels et imbriqués et que les démarches multi-méthodes se développent, quels sont les enrichissements envisageables entre les disciplines ?

Les choix épistémologiques ayant une incidence majeure sur le travail scientifique, ces questionnements sont d’importance. Les articles proposés sont susceptibles de contribuer, d’une part, aux efforts de délimitation et de légitimation scientifiques du champ voire des disciplines et, d’autre part, aux organisation et réorganisation de ce qui pourrait être considéré comme un « désordre » dans les sciences anthroposociales (Berthelot, 2002). Théorie mécanique, école des relations humaines, approches systémique, symbolique, objectiviste ou encore subjectiviste, perspectives structuralistes, instrumentales ou critiques… l’activité scientifique du champ peut en effet apparaître comme une jungle au foisonnement théorique « impénétrable » et « inhospitalier » abritant des « guerres de paradigmes » pour reprendre l’expression de Koenig (2006). En outre, cette situation peut créer une zone de tension épistémologique dans l’articulation organisation / communication, entre le micro et le macro social, l’individu et l’entité collective, l’individualisme et le holisme (Bouillon, 2009). Enfin, les réflexions proposées peuvent favoriser les dialogues constructifs entre les chercheurs de différentes disciplines en dévoilant des logiques structurantes compatibles et/ou complémentaires. En effet, alors que plusieurs disciplines travaillent ce champ, que certains objets et auteurs convoqués sont communs (Weick, Latour, Callon…), le dialogue scientifique demeure limité et les mobilisations mutuelles rares (Laborde, 2005 ; Le Bœuf, 2008 ; Aldebert, Morillon, 2012).

Ce numéro de la revue Communication & Management se propose donc de contribuer à l’enrichissement des travaux sur les épistémologies en sciences humaines et sociales ayant pour objet la communication des organisations. Cet appel est ouvert aux contributions de toutes les disciplines qui travaillent le champ : sciences de gestion, sciences de l’information et de la communication, économie, sociologie, psychosociologie du travail et des organisations…

Bibliographie

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  • Décembre 2022 : parution du numéro