La littérature qui porte sur les questions de gouvernance est abondante. En fonction de l’angle à partir duquel l’on appréhende la gouvernance comme objet d’étude, les résultats auxquels l’on aboutit sont diversement interprétés et porteurs de sens. Comme définition, l’on convient qu’elle (la gouvernance) renvoie globalement à un concept multidimensionnel et multidirectionnel qui concerne la façon dont les décisions sont prises à diverses instances de la société et des organisations/entreprises, mises en œuvre, et évaluées par les acteurs politiques, économiques et sociaux (Kooiman, 2003). Que l’on soit dans le champ des sciences économiques et de gestion, des sciences politiques et juridiques, ou encore dans les sciences humaines et sociales (sociologie, histoire, anthropologie etc.), ou même dans les sciences du langage et les sciences de l’information et de la communication, les problématiques des processus, des normes et des indicateurs, des pratiques et des résultats, la gouvernance soulève des interrogations au niveau de son façonnement et de sa construction ou représentation.
S’il est difficile de dire ce qu’est l’influence (ou alors les influences) sur un objet signifiant social et organisationnel, on se propose de dire qu’il s’agit des mécanismes à partir desquels des acteurs (nationaux ou internationaux, gouvernementaux ou privés, économiques ou sociaux, institutionnels ou médiatiques, corporatistes et même citoyens…) sont en mesure d’impacter sur les décisions d’un système de gouvernance de manière directe ou indirecte à partir des canaux et moyens divers.
Sur le plan historique, les groupes de pression divers et les contingences des discussions nées des formes d’expression de l’espace public ont très souvent contraint les acteurs de la sphère publique et politique à re-penser les mécanismes de la gouvernance au profit d’une quête de paix sociale. À ce niveau, la société civile contemporaine (Habermas, 1962) montre bien comment les prises de parole des intellectuels ont permis l’inscription des citoyens, comme parties prenantes (Freeman, 1984), dans la prise des décisions en Europe et aux États-Unis durant tout le XXème siècle. C’est donc à juste titre que Jürgen Habermas (1962) souligne la place du consensus comme résultat des discussions entre les personnes privées qui devraient faire entendre leurs voix par une sorte de « compromis passés entre des intérêts opposés » (Habermas, 1993) devant les décideurs, mis au devant de leur responsabilité.
Sous un autre angle, les mouvements sociaux (Neveu, 1996 ; 2008), dans leurs formes d’expression (grèves, mobilisations sous formes institutionnelle et non-institutionnelle, revendications ou protestations, re-groupements divers, moyens de propagande et d’information) ne manquent pas toujours d’inciter les décideurs à une prise de conscience à partir du moment où leur rôle se construit, très souvent, dans la tension et les rapports de forces inscrits dans la durée, et en fonction des réponses apportées à leurs doléances. Car à partir de leurs actions au sein des entreprises/organisations, l’objectif est de contester afin de transformer les modèles de société qu’imposent les classes dominantes et les milieux dirigeants dans toutes les sphères d’action de la vie sociale qui touchent à leur épanouissement.
Sur un autre plan, le rôle des médias et d’une presse qui inscrit sa mission de « chien de garde » ont énormément permis la rencontre entre l’opinion publique et la société et les pouvoir publics dans la médiation sociale qui structure les rapports de forces en faveur des prises de décisions qui raisonnent et qui recherchent l’acceptation et le sentiment d’appartenance et d’une illusion qui bouleversent et influent sur la nécessité de rechercher des compromis permanents. Si le traitement de l’actualité publique et les nombreuses articles qui se penchent sur la gestion des entreprises et des organisations semblent pousser les managers à avoir un regard sur les questions abordées par la presse au quotidien, leur impact reste à démontrer pour au moins deux raisons : la relation incestueuse qu’entretiennent la presse et les entreprises d’une part, et d’autre part, les précautions qui empêchent certains journalistes de pousser leurs enquêtes soit par peur des menaces encourues par certains hommes politiques et managers puissants, soit par les freins liés à l’accès à l’information. C’est ainsi que Karen Moris (2013) essaie de montrer qu’en réalité, à travers leurs articles sur la gouvernance des organisations et les entreprises, l’influence des médias est relativement impactante sur le plan qualitatif et finalement néant sur le plan quantitatif sur les transformations souhaitées au niveau des conseils d’administration ou alors sur le système de rémunération des dirigeants.
Lorsqu’on porte un regard sur la gouvernance d’entreprise, aussi bien au plan économique qu’au plan managérial, les mouvements syndicalistes et les crises diverses en entreprise contribuent énormément aux changements organisationnels. Que ce soit au niveau du respect des normes de gestion (comptable et managériale) ou encore au niveau des rapports de force qui structurent l’entreprise dans son processus de production, on est tenté de relever la place des pressions diverses qui impulsent une gouvernance d’entreprise qui rassure et qui respecte les parties prenantes de la chaîne de production : meilleurs conditions des travailleurs, prise en compte des recommandations comptables exigées par les acteurs de la surveillance économique et d’audit, respect des normes imposées par l’État comme régulateur de l’environnement économique, respect des indicateurs liés à la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), attention particulière sur la gestion de la relation client (Grönroos, 1996), etc.
Si les influences peuvent venir du dehors pour influer les logiques de gouvernance d’entreprise, il est à signaler que les entreprises publiques ou privées peuvent également mobiliser les stratégies similaires pour influencer – en leur faveur – la réglementation et les politiques économiques à partir des lobbies qui leur permettent très souvent de façonner les politiques gouvernantes à l’effet de contribuer aisément à leur performance. Les cas des grandes entreprises comme Google, Facebook, Instagram, Tik Tok et les grands groupes influents des divers secteurs en sont la preuve. L’entreprise ne se concentre plus seulement à produire des biens et services et à faire du profit, elle s’engage également à co-construire les règles à travers l’influence qu’elle exerce sur l’économie.
Toujours en matière de gouvernance d’entreprise, la performance, variable managériale portée par les résultats, commande l’observance d’un ensemble de normes et de contraintes que d’aucuns peuvent assimiler à des formes de pressions qu’on associerait aux logiques d’une gouvernance qui tire sa démarche dans l’attention que les managers prêtent aux logiques du dedans (pressions conjoncturelles de type institutionnel et macro-économique par exemple) et du dehors (pressions personnelles et professionnelles). Ainsi, les différentes reformes des entités publiques et privées (Ondoua Biwole & Tcheuwa, 2018), les normes prudentielles communautaires qu’exigent les organisations sous-régionales, régionales, continentales et internationales de régulation, les nouveaux paradigmes de gouvernance impulsés par les recherches innovantes et les sociétés savantes sur la performance d’entreprise (publique et privée)… sont de nature à influer sur les modes de gouvernance, aujourd’hui et demain. On note qu’en France par exemple, c’est à cause, des fraudes comptables et financières du début des années 2000 que va naître et prendre corps un certain nombre de lois ou des codes dits de « bonne gouvernance » (Wirtz 2005, 2008 ; Aguilera et al. 2008)
Avec l’avènement des réseaux socionumériques, on observe bien comment ce qu’il convient d’appeler les lanceurs d’alerte, par leur rôle cri d’alarme et de révélation d’un certain nombre d’injustice et de discrimination divers réussissent à s’ingérer faire plier les décideurs et les leaders dans les changements et les transformations dans les manières de gouverner (Ngodji Tcheutou, 2020). Quand il ne s’agit pas des prises de conscience des acteurs sociaux, il s’agit des impacts dans les prises de décision et de résolution (diligente) des problèmes qui travaillent la société et les organisations dans une perspective de transparence, d’accountability, d’équité et de respect des normes pour le bien-être de tous. C’est par exemple le lieu de rappeler qu’au lieu d’être des acteurs passifs devant la vague des manipulations de l’opinion, liés aux fakenews et aux rumeurs susceptibles de porter atteinte à leur réputation, une bonne gouvernance préventive et proactive, transparente et équitable, peut être un adjuvant pour les gouvernements et les entreprises privées. Il est donc admis que l’influence des acteurs des réseaux sociaux n’est pas neutre dans la prise de décision des entreprises. Ran Ju (2022) se concentre sur la façon dont les influenceurs à Hong Kong Chine (HK) opèrent en tant qu’agents/médiateurs de la gouvernementalité et comment la « gouvernementalité » se produit sur et à travers les influenceurs de style de vie en tant que sujets citoyens responsables, productifs et autodisciplinés sur la plus grande plateforme chinoise de partage de style de vie – Xiaohongshu (Red). C’est également le cas d’Alkım Yalın (2024) qui explore les vlogs de quarantaine sur YouTube afin d’examiner la production culturelle des influenceurs pendant les premiers jours de la pandémie de Covid-19. Cheryll Ruth et Fatima Gaw (2022) interrogent la gouvernance et la responsabilité des plateformes face au rôle croissant des influenceurs dans l’inconstruction des discours politiques.
De ces nombreux angles de perceptions heuristiques et épistémologiques sur la question de/des influences en rapport avec la gouvernance, se dégagent un ensemble de questionnements aujourd’hui. D’abord une question fondamentale : À partir d’une société de plus en plus complexe, caractérisée par l’incertain, l’imprévu et l’aléa (Morin, 1990), comment peut-on questionner, avec pertinence, la gouvernance dans une approche de cohabitation et/ou de confrontation avec les différentes formes d’influences qui la sous-tendent et la contraignent aujourd’hui ? Ensuite, naissent d’autres questionnements non moins significatives : la construction et le façonnement de la gouvernance naitraient-ils d’un rapport de forces entre les acteurs ? Si oui, comment se manifesterait un tel rapport de forces si chaque acteur, dans son domaine de prédilection assimile la gouvernance non comme le résultat d’une pression, mais comme une volonté des organisations et des décideurs à impulser par eux-mêmes les modalités qui permettent de construire une communauté de destins (Morin, 1990) ? En contexte d’entreprise, comment, et à partir de quel(s) instances et moments de pressions et de tensions, les managers peuvent se voir contraints à adopter les normes et les recommandations issues très souvent des actions des parties prenantes de l’organisation comme levier de performance ? Quels peuvent être les niveaux d’influence des acteurs de la société civile, des médias et de la « société numérique » dans les transformations et les possibilités d’amélioration de la gouvernance au sein des organisations et des sphères sociales et publiques aujourd’hui ?
Axe 1 : influence(s) et gouvernance : regard des sciences politiques et juridiques
Axe 2 : influence(s) et gouvernance : regard des sciences économiques et de gestion
Axe 3 : influence(s) et gouvernance : regard des sciences humaines et sociales (histoire, sociologie, anthropologie, etc.)
Axe 4 : influence(s) et gouvernance : regard des sciences du langage et des sciences de l’information et de la communication
Calendrier
- 1er février 2025 : publication de l’appel à contribution ;
- 29 juillet 2025 : date butoir de réception des propositions (résumés) des articles ;
- 10 septembre 2025 : information des contributeurs/contributions retenu(e)s ;
- 15 décembre 2025 : date butoir de réception des articles complets ;
- 27 décembre 2025 : envoi des articles à l’expertise ;
- 20 janvier 2026 : retour des expertises et information des contributeurs pour corrections éventuelles ;
- 15 février 2026 : retour des articles corrigés et définitifs ;
- 27 février 2026 : vérifications par le comité éditorial et relectures ;
- avril 2026 : parution et présentation officielle de l’ouvrage.
Soumission des articles
Les contributions complètes en français ou en anglais, qui n’excéderont pas 15 pages Word (marges : 2, 5 ; police : Time New Roman ; taille : 12 et interligne : 1, 15), seront envoyées à l’adresse électronique unique : ouvrage.influence.gouvernance@gmail.com. Chaque contributeur/rice, dans sa proposition, devra mentionner ses noms et prénoms, son intuition ou laboratoire d’attache, son adresse électronique, etc. Les normes bibliographiques à respecter sont celles de l’APA.
Coordination
- Pr Viviane Madeleine Ondoua Biwole (Université de Yaoundé II-Soa)
- Pr Alphonse Joseph Tonyè (Université de Yaoundé I)
- Dr Faty Myriam Mandou Ayiwouo (Université de Douala)
- Dr Léopold Ngodji Tcheutou (Université de Garoua)
Secrétariat technique
- Pr Viviane Ondoua Biwolé (Université de Yaoundé II)
- Pr Armand Leka Essomba (Université de Yaoundé I)
- Pr Yves-Patrick Mbangue Nkomba (Université de Yaoundé II)
- Dr Faty Myriam Mandou Ayiwouo (Université de Douala)
- Dr Léopold Ngodji Tcheutou (Université de Garoua)
- Dr Adeline Chegno (Université de Yaoundé II)
Repères bibliographiques
Aguilera, R.V., Filatotchev, I., Gospel, H., Jackson, G., (2008). « An organizational approach to comparative corporate governance : costs, contingencies, and complementarities », Organization Science, n° 19, pp. 475-492.
Alkım Yalın, (2024), Governing the Resilient Self : Influencers’ Digital Affective Labor
Cheryll Ruth et Marie Fatima Gaw, (2022), Broadcasting anti‐media populism in the Philippines : YouTube influencers, networked political brokerage, and implications for governance, Policy Internet,14:508–524
Freeman, R., R., (1984). Strategic management : a stakeholder approach, Boston : Pitman, 1984.
Grönroos, Ch., (1996). “Relationship Marketing : strategic and tactical implications”, Management Decision. vol. 34, n° 3, pp. 5-14.
in Quarantine Vlogs, social media + Society, April-June 2024 : 1–11.
Kooiman, J., (2003). « Governance and Governability : The Challenge of Complexity in Public Management », SAGE Publications.
Morin, E. (1990), Introduction à la pensée complexe, Paris : ESF (nouvelle édition coll. « Points Essais », 2005).
Moris, K., (2013). Médias et gouvernance d’entreprise. L’influence de la presse sur les dirigeants et la création de valeur, Paris : Vuibert.
Neveu, E., (2008). Comment analyser un mouvement social ?, Paris : La Découverte, 2008.
Neveu, E., (2008). Sociologie des mouvements sociaux, Paris : La Découverte, 2002.
Ngodji Tcheutou, L., (2020). « Grèves des médecins et expression d’un management public suranné au Cameroun : prise en charge des discours dans les réseaux sociaux », in Tassou A., (éd.), Pauvreté et crises socio-politiques en Afrique subsaharienne. Guerres civiles, terrorisme et instabilité sociopolitique. Ngoundéré : Éditions Dinimber et Larimber, pp. 187-218.
Ondoua Biwole, V., & Tcheuwa, J.-Cl., (eds.), (2018). Lois sur les établissements et entreprises publiques au Cameroun : innovations et reculades, Yaoundé : Afrédit.
Ran Ju, (2022), Producing entrepreneurial citizens : Governmentality over and through HongKong influencers on Xiaohongshu (Red), Policy Internet, 14:618–632.
Wirtz, P., (2005). « Meilleures pratiques de gouvernance et création de valeur : une appréciation critique des codes de bonne conduite », Comptabilité-Contrôle-Audit. n° 1, pp. 141-159.
Wirtz, P., (2008). « L’institutionnalisation croissante du discours sur les meilleures pratiques de gouvernance en France : un état des lieux », Working Paper. University of Burgundy.
Mots-clés
- Mots-clés
- Ethique
- Gouvernance
- Influence
- Politique