Participation et citoyenneté en régime numérique : vers de nouvelles dynamiques de recherche ?

Réponse attendue pour le 15/02/2023

Type de réponse Résumé

Type d’événement Colloque

Dates de l’événement
  • Du au

Lieu de l’événement Journées jeunes chercheur.e.s, Centre Internet et Société, salle de conférences , 59-61 rue Pouchet , Paris 75

L’objectif de ces journées d’études est de faire émerger de nouvelles dynamiques de recherche autour du groupe de travail Participation et citoyenneté du Centre Internet et Société (CIS/CNRS). Il s’agit prioritairement de discuter des recherches en cours et émergentes portées par des doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s. Elles seront l’occasion d’ouvrir un espace de dialogue interdisciplinaire entre différentes communautés de chercheur.e.s qui analysent les formes de participation et de citoyenneté reconfigurées par les technologies de l’information et de la communication numériques (TICN) et plus particulièrement par les logiques de plateformisation qui conduisent différentes activités à s’appuyer sur des plateformes numériques et leur puissance de calcul pour optimiser l’appariement dans la fourniture de biens, services et informations (Bigot et al., 2021).

De fait, le recours aux TICN interroge plusieurs aspects du rapport à la politique, à l’engagement et à la citoyenneté (Monnoyer-Smith, Wojcik, 2014) : évolution des conditions de production de l’information et des modalités de sa circulation (Rebillard et Smyrnaios, 2010, 2019 ; Pignard-Cheynel et Van Dievot, 2019) ; émergence de nouvelles formes de constitution et d’organisation des collectifs (Bennett et Segerberg, 2014) ; amplification des capacités de diffusion idéologique ; brutalisation et essentialisation des échanges (Badouard, 2017) ; participation militante prise en étau entre hyper-individualisation (Da Silva, 2022) et encadrement par les structures partisanes et associatives (Despontin Lefèvre, 2022 ; Stephan, 2021), plus ou moins contrarié (Greffet et Wojcik, 2018), sur les différents réseaux sociaux numériques qui conduisent à des formes de rationalisation de l’action militante.

Saisir l’ampleur de ces transformations implique de potentiellement renouveler les concepts et outils d’analyse en complément des méthodes et outils traditionnels de manière à adapter la recherche aux contraintes imposées par les transformations de nos environnements numériques.

Les propositions pourront s’inscrire dans l’un ou l’autre des quatre axes proposés, non exhaustifs.

Axe 1 : Penser la participation à partir des plateformes

La montée en puissance des plateformes dans l’espace public numérique est progressivement en train de modifier la manière dont les internautes s’expriment et discutent. Ce phénomène contribue à une réorganisation de la logique de production et distribution des industries culturelles, médiatiques et économiques autour des plateformes numériques (Nieborg et al., 2019 ; Rebillard et Smyrnaios 2019). En conséquence, les Platform Studies ont globalement été marquées par une sur-représentation des approches informatiques, commerciales, économiques ou culturelles. A contrario, les recherches inscrites dans une approche sociotechnique qui donne aux usagers – ici des individus ou des petits groupes – la place d’acteurs-innovateurs, actifs et créatifs dans leur parcours d’usage (Akrich 2006) sont pour le moment sous-représentées.

Ainsi, les recherches inscrites dans ce premier axe auront pour objectif de contribuer à repenser les concepts utilisés pour analyser les formes de participation politique et d’action collective dans ce contexte de plateformisation. A la suite des travaux de Noortje Marres (2012) ou de Chris Kelty et Seth Erickson (2018), il s’agira de contribuer à faire émerger de nouvelles approches conceptuelles destinées à mieux comprendre les pratiques qui se développent dans ces espaces. Cet axe sera notamment l’occasion de discuter les cadres disponibles pour analyser les tensions entre la tentative de standardisation des pratiques imposée par les plateformes et leur possible subversion par les usages militants. Qu’est-ce que ces contraintes font à la notion de participation ? Selon quelles conditions et quelles modalités se forment les collectifs dans ce contexte ?

Axe 2 : Transformation de l’engagement militant et partisan

La communication en ligne (Mabi et Theviot, 2014) constitue un impératif des mobilisations qui doivent désormais s’adapter aux logiques algorithmiques de visibilité et s’incarnent dans des sites dédiés (Lefèvre, 2020), ou, massivement, dans des réseaux sociaux numériques et plateformes au degré de publicité variable tels que Facebook (Bouté, 2022), Twitter mais aussi WhatsApp ou Telegram. Si certains travaux mettent en avant la très forte professionnalisation du militantisme numérique (Schradie, 2019 ; Despontin Lefèvre, 2022), les plateformes et application contribuent également à cadrer le potentiel expressif (Badouard et al., 2016) des militant.e.s « ordinaires » ainsi que leur capacité à faire collectif. Cet encadrement peut d’ailleurs être questionné au regard des prétentions de certains mouvements comme En Marche ! (Dolez et al., 2019) ou la France Insoumise (Cervera-Marzal, 2021) de promouvoir un modèle engagement, en « quelques clics », pour leurs membres. Cet axe sera l’occasion de discuter la variété des formes d’engagement offertes par les partis et mouvements dont le fonctionnement même dépend des technologies numériques..- Quels sont les différents régimes d’engagement auxquels ces outils numériques donnent accès ? Si l’engagement est présenté comme facilité, qu’en est-il de son maintien et des modalités de désengagement ? Comment appréhender les transformations de l’engagement partisan, mais également associatif et militant ?

Parallèlement, les institutions ont multiplié ces dernières années les expériences de participation variées, certaines associant mini-publics et débats numériques et d’autres reposant sur un dispositif numérique entièrement – consultations ou pétitions -, ou partiellement – budgets participatifs (Mabi, 2021). Les publics de ces initiatives demeurent mal connus. La prise de parole via de tels dispositifs, est-elle constitutive d’une forme d’engagement citoyen inédite, de nature à réduire les inégalités qui grèvent traditionnellement les formes habituelles de participation ? Comment s’articule-t-elle avec d’autres modes plus ou moins conventionnels de participation politique ?

Axe 3 : Nouvelles cultures du débat public et débats « à bas bruit »

Cet axe s’intéresse particulièrement aux nouvelles formes du débat public en prenant en compte les aspects sociotechniques et politiques de ces échanges. Premièrement, nous cherchons à explorer la manière dont l’usage de différentes plateformes numériques et de leurs fonctionnalités modèle la plus ou moins grande visibilité des manifestations, mouvements et causes collectives, les acteurs diversifiant dès lors les modalités de présentation de leur activité et d’interaction (Cardon, 2008). Les services de messagerie comme WhatsApp, Signal et Telegram constituent par exemple des espaces cryptés et privés et qui peuvent devenir des outils collectifs et pluriels, contribuant à renouveler les modalités de débat public. Certains espaces moins attendus -à l’image de la plateforme Github– peuvent également être mobilisés (Bouté et Mabi, 2021).

Deuxièmement, nous envisageons les modalités d’engagement « à bas bruit » en tant que choix politique. entre Ainsi, certains acteurs cherchent à évoluer « à la marge » de l’espace politique, médiatique et économique (Downing et al., 2001), en s’organisant dans des espaces numériques fermés ou en ayant recours à des indicateurs de performance faibles (abonnés, vues, commentaires, mentions j’aime), ce qui peut être le résultat de négociations complexes. De fait, dans certaines communautés ou groupes politiques, les utilisateurs préfèrent rester dans un “entre-soi” qui manifeste le souhait de faire évoluer ses revendications sans courir le risque de voir Ces deux perspectives d’analyse interrogent donc les formalismes du débat public – en matière d’influence et d’autorité, par exemple – car ici la participation et le collectif se constituent par l’extrapolation de l’usage personnel et le décloisonnement des espaces individuels (Da Silva, 2020).

Axe 4 : Les verrous méthodologiques de la participation en ligne

Ces nouvelles dynamiques de participation et de mobilisation en contexte numérique invitent par ailleurs à interroger avec réflexivité l’appareillage méthodologique mis en place pour construire son parcours de recherche. Quels terrains observer ? De quelle manière y accéder et conduire son enquête ? Faut-il développer des méthodes nativement digitales ou digitaliser les méthodes d’analyse pour reprendre la distinction établie par Rogers (2013) ? La redistribution des méthodes en sciences sociales dans l’environnement numérique est plurielle (Marres, 2012), ce qui interroge la nécessité, ou non, d’un renouvellement de l’épistémologie des sciences sociales (Bottini et Julliard, 2017 ; Boullier, 2015 ; Cointet et Parasie, 2019). En particulier, les enquêtes en terrain numérique se sont pour le moment largement questionnées sur les logiques d’association d’approches à la fois qualitatives et quantitatives (Cointet et Parasie, 2019 ; Compagno, 2017 ; Julliard, 2015 ; Rebillard, 2011 ; Smyrnaios et Ratinaud, 2013).

Dans cet axe, nous proposons d’interroger dans cet axe les « bricolages » contemporains déployés pour saisir les dynamiques de participation et de mobilisation en contexte numérique. Plus particulièrement, nous souhaitons que les travaux s’inscrivant dans cet axe se focalisent sur les nouvelles manières d’enquêter dans un contexte transplateforme où les acteurs peuvent intervenir tout autant dans des espaces à la fois visibles, aisément accessibles pour le chercheur (Twitter, groupe Facebook publics…) et des espaces moins visibles dont l’accès est conditionnel (conversations de groupes sur Messenger, Whatsapp, Telegram, Discord…) (Despontin Lefèvre, 2021), et des espaces hors ligne (Kavada et Poell, 2021). Nous souhaitons également interroger ce que cela implique que d’observer des phénomènes sociaux dans un environnement où les observables sont conditionnés par des algorithmes dont les logiques de fonctionnement nous restent relativement insaisissables.

Démarche de participation

Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 15 février 2023 aux organisateurs :

 

  • Une proposition de 3 000 signes maximum (espaces compris), comportant titre, cadre théorique et, le cas échéant, méthodologie, précisant le ou les axe(s) dans le(s)quel(s) elle s’insère ;
  • Une brève biographie
  • En cas d’acceptation de la proposition, le texte complet est de 30 000 signes et devra être envoyé au plus tard le 15 mai 2023.

Comité d’organisation

  • Édouard Bouté (COSTECH, Université de Technologie de Compiègne)
  • Jaércio Da Silva (IFP/Carism, Université Paris-Panthéon-Assas)
  • Irène Despontin Lefèvre (Carism, Université Paris-Panthéon-Assas ; Cemti, Université Paris 8)
  • Clément Mabi (COSTECH, Université de Technologie de Compiègne)
  • Gaël Stephan (Carism, Université Paris-Panthéon-Assas)
  • Stéphanie Wojcik (Céditec, Université Paris-Est Créteil)

Bibliographie

  • Akrich, Madeleine. 2006. « Les utilisateurs, acteurs de l’innovation », dans Sociologie de la traduction, Presses des Mines, p. 253-265.
  • Badouard, Romain, Clément Mabi, et Laurence Monnoyer-Smith. 2016. « Le débat et ses arènes. À propos de la matérialité des espaces de discussion », Questions de communication, n° 30, p. 7-23.
  • Bigot, Jean-Édouard, Édouard Bouté, Cléo Collomb, et Clément Mabi. 2021. « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, n° 40, p. 9‐
  • Bottini, Thomas, et Virginie 2017. « Entre informatique et sémiotique : Les conditions techno-méthodologiques d’une analyse de controverse sur Twitter », Réseaux, vol. 4, n° 204, p. 35- 69.
  • Boullier, Dominique. 2015. « Les sciences sociales face aux traces du big data. Société, opinion ou vibrations ? », Revue française de science politique, vol. 65, n° 5-6, p. 805-828.
  • Bouté, Édouard. 2022. « Police Pixel. Le maintien de l’ordre à l’épreuve des images et des réseaux sociaux numériques pendant le mouvement des Gilets jaunes », Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication sous la direction de Julliard Virginie et Mabi Clément.
  • Bouté, Edouard, Mabi Clément. (2021) “Le code fait-il vraiment la loi ? Analyse de la participation politique sur la plateforme GitHub”. Recherche en Communication, vol 52, https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/article/view/61793
  • Cardon, 2008. « Le design de la visibilité », Réseaux, vol. 152, n° 6, p. 93-137.
  • Cervera-Marzal, Manuel. 2021. Le populisme de gauche : Sociologie de la France insoumise, Paris, La Découverte.
  • Christopher, Kelty, et Seth Erickson. 2018. « Two modes of participation : A conceptual analysis of 102 cases of Internet and social media participation from 2005–2015 », The Information Society, vol. 34, n°2, p. 71-87.
  • Cointet, Jean-Philippe, et Sylvain Parasie. 2019. « Enquêter à partir des traces textuelles du web ». Réseaux, vol. 2-3, n° 214-215, p. 9-24.
  • Compagno, Dario. 2017. « Signifiant et significatif. Réflexions épistémologiques sur la sémiotique et l’analyse des données », Questions de communication 1, n° 31, p. 49‐
  • Da Silva, Jaércio. 2020. « Un concept sur la toile : le “je ” et le “ nous ” des mobilisations afroféministes sur YouTube », Le Temps des médias, vol. 34, n° 1, p. 145-163.
  • Da Silva, Jaércio. 2022. « Un concept sur la toile. Circulation et traduction à bas bruit de l’intersectionnalité », Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas, sous la direction de Cécile Méadel.
  • Despontin Lefèvre, Irène. 2022. « Stratégies de communication et pratiques militantes du mouvement féministe en France au début du 21ème siècle. Étude de cas du collectif #NousToutes (2018-2021) », Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas, sous la direction de Cervulle Maxime et Mattelart Tristan.
  • Despontin Lèvre, Irène. 2021. « Retour sur un objet communicationnel situé », Technologie de l’information, culture & société, n° 129.
  • Dolez, Bernard, Julien Fretel et Rémi 2019. L’entreprise Macron : Sociologie d’une entreprise émergente, Grenoble, PUG.
  • Downing, John D.H. 2001. Radical Media : Rebellious Communication and Social Movements, SAGE, California.
  • Greffet, Fabienne, et Stéphanie Wojcik. 2018. « Une participation politique renouvelée. L’invention de modes individualisés et critiques d’engagement numérique en campagne électorale », Quaderni, vol. 97, n° 3, p. 107-131.
  • Julliard, Virginie. 2015. « Les apports de la techno-sémiotique à l’analyse des controverses sur Twitter », Hermès, La Revue, vol. 3, n° 73, p. 191-200.
  • Kavada, Anastasia et Thomas Poell. 2021. « From Counterpublics to Contentious Publicness : Tracing the Temporal, Spatial, and Material Articulations of Popular Protest Through Social Media », Communication Theory, vol. 31, n° 2, p. 190–208.
  • Lefèvre, Rémi. « LaPrimaire.org : une démarche citoyenne à l’épreuve des règles du jeu politique », Quaderni, vol. 101, no 2, p. 119-138.
  • Mabi, Clément et Anaïs Theviot. 2014. « Présentation du dossier. S’engager sur Internet. Mobilisations et pratiques politiques », Politiques de communication, vol. 3, no 2, p. 5-24.
  • Mabi, Clément. « La « civic tech » et « la démocratie numérique » pour « ouvrir » la démocratie ? », Réseaux, vol. 225, no. 1, p. 215-248.
  • Marres, Noortje. 2012. « The Redistribution of Methods : On Intervention in Digital Social Research, Broadly Conceived », The Sociological Review, n° 60, n° S1, p. 139-165.
  • Marres, Noortje. 2012. Material Participation – Technology, the Environment and Everyday Publics, Palgrave Macmillan, Basingstoke.
  • Monnoyer-Smith, Laurence, et Stéphanie Wojcik. 2014. « La participation politique en ligne, vers un renouvellement des problématiques ? », Participations, vol. 8, n° 1, 2014, p. 5-29.
  • Nieborg David B., et Thomas Poell. 2019. « The Platformization of Making Media », dans Making Media : Production, Practices, and Professions, Amsterdam University Press, Amsterdam, p. 85-96.
  • Pignard-Cheynel, Nathalie, et van Divoet Lara, 2019. Journalisme mobile. Usages informationnels, stratégies éditoriales et pratiques journalistiques, De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve.
  • Rebillard, Franck, et Nikos Smyrnaios. 2019. « Quelle « plateformisation » de l’information ? Collusion socioéconomique et dilution éditoriale entre les entreprises médiatiques et les infomédiaires de l’Internet », tic&société, vol. 13, n° 1-2, p. 247-293.
  • Rebillard, Franck. 2011. « L’étude des médias est-elle soluble dans l’informatique et la physique ? À propos du recours aux digital methods dans l’analyse de l’information en ligne », Questions de communication, n° 20, p. 353-376.
  • Rogers, 2013. Digital Methods, Cambridge, MIT Press.
  • Schradie, Jen. 2019. The revolution that wasn’t : How digital activism favors conservatives, Harvard University Press.
  • Smyrnaios, Nikos, et Pierre Ratinaud. 2013. « Comment articuler analyse des réseaux et des discours sur Twitter », tic&société, n° 2.
  • Stephan, Gaël. « La réinformation : un monde aux frontières du journalisme », Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-Assas, sous la direction de Devillard Valérie.