Ethnographier les pratiques en régime numérique : enjeux et méthodes

Réponse attendue pour le 10/07/2021

Type de réponse Résumé

Type d’événement Journée d’étude

Coordinateurs

  • Alfonso Castellanos, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Stéphane Costantini, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Maël Péneau, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Aube Richebourg, EHESS, Centre Georg Simmel, Centre Maurice Halbwachs
Dates de l’événement
  • Du au

Lieu de l’événement École Normale Supérieure , 45 rue d'Ulm , Paris 75, France

Le développement rapide de l’Internet haut-débit et des technologies 3G et 4G ces dix dernières années a conduit à une multiplication des travaux de recherche autour du numérique, souvent considéré comme un facteur de transformation des modèles économiques, politiques, et socioculturels (Beckouche, 2017 ; Sadin, 2015 ; Loukou, 2013). La compréhension des usages numériques depuis le terrain pose cependant des difficultés, en particulier sur ce que chacun entend et investit derrière la notion même de « numérique » (Miller & Horst, 2013). Une orientation de la recherche a consisté à spécialiser l’anthropologie numérique en une sous-discipline.

Pour embrasser la complexité des défis lancés à l’enquête empirique en régime numérique, cette journée d’étude entend déplacer le regard des objets numériques eux-mêmes (tout objet ou système construit sur une logique binaire) vers les acteurs qui les manipulent, le sens et les valeurs qu’ils donnent à leurs usages, sans négliger la réflexion épistémologique et méthodologique sur le positionnement du chercheur par rapport à son enquête et son objet d’étude (Waisbord & Mellado, 2014). La prise en compte des contextes sociaux, économiques, politiques et culturels au sein desquels s’inscrivent les acteurs, l’accessibilité des données, le degré de familiarité aux outils ou encore la position du chercheur vis-à-vis des enquêtés ainsi que des outils manipulés, seront autant de thématiques traitées au cours de la journée d’étude. Ainsi, plutôt que d’enclaver les pratiques du numérique dans des sous-disciplines, l’ambition de la journée d’étude sera au contraire de les exposer aux cadres analytiques de l’enquête empirique en anthropologie et en sociologie.

La première thématique de cette journée portera sur les différentes formes de transformation, d’adaptation, et de détournement d’outils et de contenus numériques par les producteurs comme par les usagers dans le domaine culturel (Grimaud et al., 2017). Bien que les études consacrées aux pratiques culturelles en régime numérique se focalisent majoritairement sur les pays du Nord (Beuscart & Flichy, 2019 ; Lamy, 2019 ; Bastard et al., 2012 ; Butler, 2014), un nombre croissant de chercheurs explore aujourd’hui ces problématiques sur des terrains situés dans le reste du monde (Battaglia 2018 ; Paulhiac 2014 ; Boëx 2013 ; Andrieu & Olivier 2017 ; Boudreault-Fournier 2017 ; Clark 2014 ; Olivier, 2017). La généralisation de l’usage des technologies numériques à l’échelle mondiale a d’abord été perçue comme la cause d’un effacement progressif des particularités culturelles (Virilio, 1993). D’autres travaux ont cependant entrepris de restituer aux sociétés et aux individus leur capacité créative face aux technologies, en mettant en évidence des processus de résistance (Ginsburg, 1991), de braconnage culturel et d’inventivité du quotidien (de Certeau, 2010). Entre la tentation d’homogénéisation portée par des modèles globalisés (Appadurai, 1996) et des dynamiques s’appuyant sur des imaginaires sociaux, politiques ou culturels plus localisés, se négocient des pratiques qu’il s’agit donc d’examiner en explorant la pluralité des usages, des productions, et des questions soulevées par la rencontre entre une diversité de sociétés et de cultures et des technologies développées au Nord (Mattelart et al., 2015).

Dans la deuxième thématique, il s’agira de répertorier les dispositifs d’enquête ethnographique qui peuvent être mobilisés par le chercheur pour appréhender des pratiques souvent difficiles d’accès, que ce soit en raison des configurations technologiques (comment rendre compte de ce qui se joue sur l’écran d’un ordinateur ou dans les écouteurs d’un téléphone mobile ?), ou du positionnement des utilisateurs de ces technologies vis-à-vis de leurs données (confidentialité, propriété intellectuelle ou communs).

Une troisième thématique portera sur le rapport à l’objet sous l’angle de l’apprentissage, de la maîtrise et de l’expertise. Souvent négligée, la dimension physique du rapport à l’objet (Sudnow, 1983) est un champ d’exploration pour les enquêtes empiriques, tandis que les écarts de langage et de maîtrise des outils entre individus, au sein d’un même groupe ou dans la relation d’enquête, révèlent le large spectre qui compose l’expertise numérique.

 

Cette journée d’étude s’inscrit dans la continuité de l’atelier « Ethnographie des pratiques culturelles en régime numérique » animé durant l’année 2020-2021 à l’EHESS. Elle vise à organiser et à mettre en cohérence les questionnements soulevés lors de l’atelier, afin de constituer un jalon dans une réflexion qui nécessite d’être encore menée sur les méthodes et les enjeux de l’ethnographie du numérique. Il s’agira également d’élaborer une réflexion originale sur l’articulation entre culture et technologie numérique, qui place la connaissance empirique au cœur de l’analyse. Les communications devront présenter les résultats d’analyse de matériaux originaux issus d’enquêtes empiriques ou une discussion théorique originale mettant en dialogue des travaux menés au sujet de l’ethnographie du numérique. Il est prévu que cette journée d’étude donne lieu à une publication collective consacrée aux avancées les plus récentes de l’ethnographie du numérique.

Pour proposer une communication :

Doctorant.es et chercheur.ses sont invité.es à envoyer leurs propositions de communication à l’adresse : JE.ethno-num@protonmail.com pour le 10 juillet 2021 au plus tard en un seul document PDF comprenant les éléments suivants :

  • Nom, prénom
  • Rattachement institutionnel, fonction (pour les étudiants, préciser le niveau d’étude)
  • Titre et résumé de 300 mots maximum en français ou en anglais
  • Notice biographique (100 mots maximum)

Les participants retenus seront informés fin juillet.

Comité d’organisation :

  • Alfonso Castellanos, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Stéphane Costantini, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Maël Péneau, EHESS, Centre Georg Simmel, ANR AFRINUM
  • Aube Richebourg, EHESS, Centre Georg Simmel, Centre Maurice Halbwachs

Bibliographie

Andrieu, S. & Olivier, E. (Eds.). (2017). Création artistique et imaginaires de la globalisation. Hermann.

Appadurai, A. (1996). Modernity at large : Cultural dimensions of globalization. Univ. of Minnesota Press.

Bastard, I., Bourreau, M., Maillard, S., & Moreau, F. (2012). De la visibilité à l’attention : Les musiciens sur Internet. Réseaux, n° 175(5), 19–42.

Battaglia, G. (2018). The Digital Turn ? Technological transformations in the history of documentary cinema in India. Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 277(1), 39–66.

Beckouche, P. (2017). La révolution numérique est-elle un tournant anthropologique ?. Le Débat, 193(1), 153-166.

Beuscart, J.-S., & Flichy, P. (2019). Présentation. Réseaux, n° 213(1), 9–15.

Boëx, C. (2013). La grammaire iconographique de la révolte en Syrie : Usages, techniques et supports. Cultures & Conflits, 91/92, 65–80.

Boudreault-Fournier, A. (2017). The Fortune of Scarcity : Digital Music Circulation in Cuba. In L. Hjorth, H. Horst, A. Galloway, & G. Bell (Eds.), The Routledge Companion to Digital Ethnography.

Butler, M. J. (2014). Playing with something that runs : Technology, improvisation, and composition in DJ and laptop performance. Oxford University Press.

Clark, M. K. (2014). The Role of New and Social Media in Tanzanian Hip-Hop Production. Cahiers d’études Africaines, 216, 1115–1136.

de Certeau, M. (2010). Arts de faire (L. Giard, Ed. ; Nouvelle éd). Gallimard.

Ginsburg, F. (1991). « Indigenous Media : Faustian Contract or Global Village ? », Cultural Anthropology, 6(1), 92-112.

Grimaud, E., Tastevin, Y. & Vidal, D. (2017). Low tech, high tech, wild tech. Réinventer la technologie ?. Techniques & Culture, 67(1), 12-29

Heinich, N. (2012). De la visibilité : excellence et singularité en régime médiatique. Gallimard.

Horst, H. A., & Miller, D. (Eds.). (2020). Digital anthropology. Routledge.

Lamy, J. (2019). Fablab à la campagne : Régimes d’actions et articulations des investissements. Sociologies pratiques, N° 38(1), 49–58.

Loukou, A. (2013). Les techniques d’information et de communication (TIC) et l’évolution de l’économique africaine : vers une hybridation des activités. Les Enjeux de l’information et de la communication, 14/1(1), 103-116

Mattelart, T., Parizot, C., Peghini, J., & Wanono, N. (2015). Le numérique vu depuis les marges. Journal des anthropologues. Association française des anthropologues, 142–143, 9–27.

McLuhan, M., (1967). War and peace in the global village. Gingko Press.

Olivier, E. (2017). Les opérateurs téléphoniques comme nouveaux opérateurs culturels.  Politiques de la musique au Mali. Politiques de communication, hors série 1(HS), 179-208.

Paulhiac, J. (2014). La scène musicale de la champeta face à Internet. Volume !, 10:2(1), 131–149.

Sadin, E. (2015). La vie algorithmique : critique de la raison numérique. L’échappée

Sudnow, D. (1983). Pilgrim in the Microworld. New York : Warner Books

Virilio, P. (1993). L’art du moteur. Galilée.

Waisbord, S., & Mellado, C. (2014). De-westernizing Communication Studies : A Reassessment. Communication Theory, 24(4), 361–372.

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