Crise ! Quelle crise ?

Faire dialoguer des approches et des pratiques communicationnelles quand la crise devient l’ordinaire

Réponse attendue pour le 05/02/2024

Type de réponse Résumé

Type d’événement Colloque

Coordinateurs

  • Ivan Ivanov, Université d’Ottawa
  • Aris Somda, Université d’Ottawa
Dates de l’événement
  • Du au

Lieu de l’événement Université d’Ottawa, , Canada

Le colloque « Crise ! Quelle crise ? Faire dialoguer des approches et des pratiques communicationnelles quand la crise devient l’ordinaire » se tiendra dans le cadre du 91ème Congrès de l’ACFAS à l’Université d’Ottawa. L’appel à contributions est lancé. Les résumés sont attendus pour le 5 février 2024.

Consulter l’AAC en pdf

Présentation

Les crises se suivent, se superposent et coexistent, mais ne disparaissent jamais définitivement. Les dangers de catastrophes nucléaires ravivés par les conflits militaires récents ; les conséquences des pandémies mondiales ; la menace terroriste internationalisée et généralisée ; l’influence de l’intelligence artificielle (IA) sur la transformation des métiers, des économies et des marchés mondiaux ; les effets du réchauffement climatique sur la destruction de l’environnement et la vie sur la Terre… Les crises occupent une place de plus en plus importante dans les débats scientifiques (Spradley, 2021) et médiatiques, et invitent les chercheurs de disciplines et d’horizons différents à les étudier dans toute leur complexité.

Épisodes cosmologiques et chaos

L’étude des crises n’est pas l’apanage d’une seule discipline académique ni d’un seul paradigme ou courant de pensée. Les études traditionnelles de gestion et de communication de crise (Coombs, 2023) abordent la crise comme une série d’événements imprévisibles qui affectent durablement les organisations et les sociétés. Ses conséquences sont potentiellement graves, tant pour les publics que le fonctionnement et l’image des organisations (Ulmer, Sellnow, & Seeger, 2015). Toutes les sphères et activités professionnelles se trouvent ainsi désorganisées (Munro, 2001). La crise marque une discontinuité dans la vie organisationnelle et met en péril ses objectifs, ses routines, son fonctionnement et sa légitimité sociale et économique. La crise est donc un événement extraordinaire, un basculement… un épisode cosmologique dans le sens de Karl Weick (1993) : une destruction soudaine de sens, qui secoue les routines et qui nécessite la reconstruction collective du sens perdu afin d’agir face à l’inconnu.

Stratégies, pratiques et prise de décision

Un des rôles les plus importants portés par les technologies numériques et les objets techniques en situation de crise est d’appuyer la démarche de decision making utilisée pour agir face aux dangers imminents (Khalid et al., 2020). Elle permet de déterminer les risques probables et de trouver rapidement des solutions satisfaisantes avant d’agir. Cette démarche est encore aujourd’hui largement priorisée par les approches traditionnelles de gestion de crise, car la prise de décision s’appuie sur l’analyse d’éléments disponibles permettant d’élaborer sans délai des scénarios ainsi que de choisir la première solution jugée a priori pertinente pour agir. La communication contribue ici à la prise de décision à travers la coordination et la coopération entre l’organisation et les parties prenantes (Hatchuel, 1996). La prise de décision est appuyée par des informations disponibles qui alimentent les discussions autour des meilleures stratégies possibles et contribuent au retour rapide « à la normale ».

La crise « ordinaire »

Pourtant, les crises mondiales comme celles provoquées par la SARS-CoV-2 et l’invasion russe en Ukraine ne peuvent pas être totalement considérées comme des ruptures et des déviations censées revenir « à la normale ». Si la crise est « une suite de ruptures qui obtiennent la continuité des cours d’action à travers de continuelles discontinuités » (Latour, 2013, p. 393), elle est non seulement omniprésente dans les organisations, mais surtout incorporée dans les structures historiques, culturelles, linguistiques, symboliques, identitaires, institutionnelles, politiques et religieuses les plus profondes des sociétés. De nombreux exemples tirés d’expériences de terrain (Ivanov, 2021 ; Matte & Cooren, 2015 ; Matte & Ivanov, sous presse) démontrent que malgré la multiplication des démarches de gestion rigoureuses, le développement réel d’une crise ne répond que rarement à la logique rationnelle de planification stratégique et ne suit pas nécessairement des trajectoires décisionnelles projetées. Les tensions aiguës qu’elle engendre ne peuvent pas toujours être éliminées et leur gestion s’avère souvent compliquée, car elles constituent un aspect insoluble de la vie organisationnelle (Ashcraft, 2006). Un des constats les plus persistants dans la gestion de crise est le paradoxe de vouloir anticiper, gérer et éviter un phénomène qui n’est que rarement prévisible et planifiable, particulièrement dans un contexte des risques généralisés (Beck, 2006).

Objectifs

L’objectif général de ce colloque est de comprendre les enjeux sociaux et organisationnels contemporains à travers lesquels les crises redessinent l’ordre mondial. Il souhaite ainsi faire dialoguer des théories, des approches et des études de cas interdisciplinaires, internationales et variées dans le domaine de la communication, de la gestion de crise et des disciplines connexes (l’information, le marketing, les relations publiques, la sociologie, la psychologie, la criminologie, les sciences politiques, le droit et l’administration parmi d’autres). Le colloque vise à faciliter les débats portant sur les approches novatrices ou peu explorées jusqu’à présent ainsi que de dévoiler, juxtaposer et croiser des terrains, des cadres d’analyse et des méthodes de recherche innovants ou renouvelés. Le colloque fera ainsi dialoguer les travaux francophones et internationaux issus des courants traditionnels, post- modernes, post-humanistes, critiques et constitutifs, tant au niveau des problématiques que des approches, des méthodologies, des terrains de recherches et de leur application dans différents contextes et études de cas. Pour ce faire, le colloque s’organisera autour de trois axes.

Axes thématiques

Axe 1 Des épisodes cosmologiques aux crises « ordinaires » : diversité, uniformité et complémentarité des terrains, des cas et des approches de gestion et de communication de crise

Les crises sont souvent perçues et vécues comme des événements extraordinaires et non routiniers, qui font basculer les sociétés et les organisations dans le chaos. Elles agissent comme des épisodes cosmologiques qui se produisent lorsque l’univers n’est plus ressenti comme un système rationnel et ordonné. Ce qui rend de tels épisodes si bouleversants, c’est que le sens de ce qui se passe et les moyens de reconstruire ce sens s’effondrent simultanément. Une crise vue comme un épisode cosmologique ressemble à vu jàdé — le contraire de déjà vu : je n’y suis jamais allé auparavant, je ne sais pas où je suis, et je ne sais pas qui peut m’aider (Weick, 1993). Lorsque des épisodes cosmologiques se produisent, la gestion et la communication de crise prennent le devant de la scène.

De l’autre côté, l’internalisation et la généralisation des cirses (Ivanov, 2021) et leur développement diachronique, qui ne suit plus les phases classiques (précrise, phase aiguë, post- crise), appellent à une révision des fondements ontologiques des phénomènes de crise. Le concept de la crise « ordinaire » met en avant l’idée de Bruno Latour (2013) que le sentiment de chaos provoqué par les crises est tout à fait normal et suppose existence de désordre dans l’ordre, et vice-versa. Les crises seraient donc inhérentes à la vie sociale et organisationnelle et non pas des facteurs externes qui se manifestent sous forme d’accidents et qui ont nécessairement des conséquences négatives.

Ces différentes manières de concevoir les crises soulèvent plusieurs questions. La crise est- elle un événement extraordinaire ou bien un fait social « normal », omniprésent dans les organisations ? Comment l’interdisciplinarité et la complémentarité des terrains et des cas étudiés permettent-elles de mieux répondre à la complexité inextricable des crises ? Quel est le rôle de la communication dans l’élaboration/la reconstitution du sens lorsque la crise est vécue comme un « événement cosmologique » ? Quelles approches de gestion et de communication de crise prioriser ou éviter lorsque le retour « à la normale » n’est plus possible ? Comment les perceptions des publics et des parties prenantes changent-elles face à la « normalisation » et la « banalisation » des crises dans les organisations et les sociétés ? Est-ce que les crises « ordinaires » ont influencé la manière de concevoir et d’appliquer des stratégies de communication ?

Axe 2 Les crises entre rupture et continuité, entre désorganisation et organisation : élaboration et transformation « en train de se faire » des stratégies et des pratiques organisationnelles

La crise est un état exceptionnel de rupture et de désorganisation, mais aussi un moment ordinaire de réorganisation et de reconstitution des moyens, des règles et des ressources. En situation de crise, l’état désorganisé — associé à la perte de moyens et de ressources pour atteindre et réaliser les objectifs organisationnels — et la désorganisation, qui reflète le processus d’affaiblissement et de destruction de ces moyens, sont liés et imbriqués (Cooren & Caïdor, 2019). Cette dualité est typique de chaque crise, parce que l’organisation et la désorganisation sont les deux faces du même processus, puisque chaque (re)organisation et transformation d’état repose sur la refonte, l’amélioration ou l’abolition d’anciennes procédures et lois. Pour assurer le changement organisationnel (Grosjean, Matte & Ivanov, 2018), la destruction de certaines règles existantes s’avère nécessaire afin de faire place aux nouvelles règles qui seront plus adaptées à l’évolution de la situation de crise.

Les crises entraînent donc des ruptures organisationnelles (Munro, 2001) et engendrent des changements abrupts et indésirables comme l’altération des opérations, l’interruption des activités routinisées ou, encore, l’arrêt, voire la destruction complète, de l’organisation. En même temps, ces ruptures tissent le pont entre le passé ordonné, le présent désordonné et le futur transformé. La continuité dans la crise est engendrée par les itérations permanentes des processusorganisants et désorganisants, qui s’alternent de façon séquentielle à tout moment et tout au long d’une crise. Les stratégies et les pratiques de gestion et de communication de crise sont donc à la fois des états stables (le fruit de la gestion des risques et de la planification stratégique) et des processus évolutifs, « en train de se faire » (Ivanov, 2013) au moment même du développement de la situation.

Ce constat soulève plusieurs questionnements. Quelles pratiques souples ou rigides de gestion de crise permettent-elles de maintenir/rebâtir les activités et les opérations organisationnelles lorsque la crise les a brusquement interrompues ? Dans quels cas et contextes les stratégies et les pratiques émergentes et non planifiées sont-elles mieux adaptées à la complexité des crises et à l’impératif d’une gestion efficace et rapide ? En quoi la communication permet-elle de rendre les organisations en situation de crise plus organisées et structurées, ou vice-versa, plus chaotiques et désorganisées ? Quelles sont les marges de manœuvres et d’ajustement des stratégies, des pratiques et des méthodes testées et préapprouvées de gestion et de communication de crise lorsqu’elles ne s’avèrent plus adaptées ? Quelles techniques communicationnelles de prise de décision et de gestion sont mieux adaptées pour (re)organiser et rebâtir l’ordre social et organisationnel ?

Axe 3 Objets techniques, technologies numériques et intelligence artificielle : sources, accélérateurs ou panacées des crises ?

L’utilisation de technologies et d’objets techniques dans la gestion de crise n’est pas récente (Jin, Liu & Austin, 2014). Les organisations s’appuient sur la communication par le recours aux outils techniques, comme les technologies numériques et mobiles (Ash, Lupton & Michael, 2021). Les satellites, les ordinateurs, les téléphones portables, les web médias, les plateformes de réseaux sociaux, les technologies connectées et tous les autres objets mis à disposition des experts et des gestionnaires sont conçus et mobilisés pour optimiser la communication et mener à bien la résolution des crises. Ces objets sont déterminants pour la réussite des opérations tant dans les organisations à haute fiabilité (Weick & Roberts, 1993) que dans d’autres types d’organisations partielles (Ahrne & Brunsson, 2011). Ils sont élaborés et utilisés pour endosser des missions et des fonctions déterminées en lien avec les objectifs et le contexte organisationnels. Les objets peuvent être améliorés, diversifiés ou bien remplacés par les gestionnaires s’ils ne sont plus jugés utiles ou opérationnels.

Les innombrables innovations technologiques comme la réalité virtuelle (Ivanov & Rejeb, 2018) et l’IA (Tzachor et al., 2020) intéressent rapidement les organisations pour appuyer leurs démarches de gestion et de communication de crise. Pourtant, leur complexité et la rapidité de leur développement posent souvent plus de problèmes aux organisations qu’elles n’en résolvent. Par exemple, l’émergence de deepfakes pose un défi important à chaque étape de la gestion de crise, car la détection de ces manipulations sophistiquées n’est pas encore une pratique bien établie. L’IA, qui est en train de redessiner toutes les sphères de la vie organisationnelle, fait actuellement l’objet de plusieurs questionnements éthiques et sécuritaires (Bertoncini & Serafim, 2023), qui constituent des défis supplémentaires pour les gestionnaires de crise. Les technologies numériques, dépendamment des cas et des situations étudiés, sont donc à la fois des sources, des accélérateurs/décélérateurs et des moyens de solutions aux crises.

Quels usages de technologies numériques à l’ère de l’IA viennent appuyer la gestion des crises locales, internationales et durables ? En quoi l’usage de ces technologies constitue-t-il une nouvelle norme dans la gestion et la communication de crise ? Comment les organisations gèrent- elles les risques éthiques, sécuritaires et informationnels qui découlent de l’utilisation de l’IA dans la gestion et la communication de crise ? Dans quels cas l’utilisation de l’IA permet-elle de faciliter la gestion et la résolution des crises et dans quels autres cas de la complexifier et rendre inefficace ? Quelles activités communicationnelles et discursives soutiennent, augmentent ou contredisent les messages organisationnels générés par l’IA en gestion de crise ? Il est important de répondre à ces questionnements pour de mieux comprendre l’influence des technologies numériques et de l’IA en gestion et communication de crise.

Fichier(s) attaché(s)

Mots-clés