La revue de recherche de l’Enssib Balisages, située à la croisée des SIC et de l’anthropologie des savoirs, lance un appel à articles pour le dossier du numéro 4 « Récit et médiation des collections : comment on raconte l’histoire des bibliothèques », coordonné par Fabienne Henryot (Enssib, Centre Gabriel Naudé – Université de Lyon).
Appel
« Les récits sont l’une des bases de la formation des sociétés, mais aussi des cultures et des identités. Privées de ce pouvoir de se raconter ce qu’elles furent, ce qu’elles sont et ce qu’elles pourraient être, ces dernières se délesteraient du pouvoir de transformer leurs repères inscrits dans la langue et dans l’ensemble du champ symbolique » (Saillant, Lachance, 2012 :7). On peut en dire autant des bibliothèques publiques, institutions en quête de légitimité scientifique, politique et sociale depuis leur émergence au mitan de l’époque moderne.
Ces récits ne relèvent pas seulement de l’histoire, même s’ils lui empruntent linéarité, ruptures significatives et véracité ; ils sont aussi le fondement de la médiation des objets patrimoniaux répondant à une exigence de démocratisation. Or, il n’y a pas de transmission sans récit, les anthropologues et ethnologues le savent bien (Derèze, 1997). Plus encore, « le choix d’un modèle narratif – ou, plus exactement, d’’exposition’ – est aussi celui d’un mode de connaissance » (Revel, 1996 : 33) : le récit rend intelligible et appariable à d’autres histoires (régionale, nationale) l’idée même de bibliothèque dans l’ensemble des instruments culturels déployés par les pouvoirs publics, que cette idée émane du public, des agents des bibliothèques ou des instances politiques elles-mêmes.
Or, le patrimoine est tout autant le produit de procédures administratives qu’un « fait de langage », qui l’inscrit dans l’espace public (Cerclet, 1998 : 90). La médiation des collections et de la bibliothèque comme institution repose sur le ressassement de récits, de « belles histoires » propres à séduire le public et à nourrir des rêveries diverses, non sans s’autoriser des inexactitudes et des stéréotypes qui ont la vie dure, pour mieux correspondre à l’horizon d’attente du public et favoriser « l’identité narrative d’une communauté », selon la formule de Paul Ricoeur (1985 : 446) Cette fictionnalisation de l’histoire des bibliothèques ou des documents, à grand renfort d’effets rhétoriques, de standardisation des personnages (bibliothécaire, donateur, édiles, lecteurs) est pour l’heure laissée dans l’ombre, alors qu’elle explique sans doute une grande part des différents systèmes de représentations dans lesquels les bibliothèques publiques s’inscrivent.
Aussi, et pour se démarquer d’une écriture purement historique ou bibliothéconomique des bibliothèques publiques comme d’une étude de la bibliothèque comme objet littéraire, ce numéro thématique de Balisages entend explorer la place et la forme des récits dans la médiation 1° des objets documentaires, des bibliothèques principalement, mais aussi des archives ou des musées, au moins à titre de comparaison, dans une logique à la fois diachronique (du milieu du XVIIIe siècle à nos jours) et synchronique, en France et ailleurs ; 2° des institutions qui conservent ces collections, ce qui revient à interroger la place des récits dans le discours de légitimation et d’autolégitimation des équipements culturels.
En marge de tout jugement de valeur sur l’écart entre médiation et érudition, ce numéro voudrait mettre au jour, à travers différentes études de cas, le processus qui rassemble les matériaux de cette histoire, la simplifie et la réemploie dans la sphère publique.
Les propositions d’articles devront s’inclure dans un des axes énoncés ci-dessous :
Axe 1 : récit et histoire
Quel est le rapport de ces récits concernant les bibliothèques à l’histoire, qui est elle-même une forme de récit (Chartier, 1994), surtout quand la médiation concerne des collections patrimoniales inscrites dans différentes temporalités ? Quelles distorsions, simplifications, schématisations peut-on observer entre l’histoire savante et les récits supports de la médiation ? Quelles autorités sont convoquées dans la construction de ces récits (archéologues, historiens, architectes, bibliothécaires…) ?
Axe 2 : les ingrédients du récit
Quels sont les invariants et à l’inverse, les éléments discriminants de ces récits ? Est-il possible de reconstituer des « familles » de récits, une typologie des dispositifs rhétoriques à l’œuvre dans ces récits ? Quelle place assignent-ils à la bibliothèque et au patrimoine écrit dans la société ? De quelles valeurs sont-ils porteurs ?
Axe 3 : récit et médiation
Qu’apporte la narrativité à la médiation ? Quelle place y tient l’imaginaire, le sentiment, l’émotion ? Comment est-elle restituée (publication de vulgarisation / savante ; exposition / parcours de visite par exemple) ? Cette dimension mérite d’être rapportée à l’émergence, depuis une dizaine d’années, de bibliothèques-musées où les collections sont scénographiées à l’attention d’un public non-lecteur (Sélestat, Epinal, Troyes, Carpentras, Cambrai…). Qui cette médiation engage-t-elle (agents des bibliothèques, élus, historiens, sociétés savantes…) ?
Calendrier
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Avril 2021 : appel à articles
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28 juin 2021 : date limite de soumission des propositions d’articles (entre 3000 et 5000 signes espaces compris, hors bibliographie)
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15 juillet 2021 : réponse d’acceptation ou de rejet des propositions
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15 novembre 2021 : date limite de réception des articles complets pour évaluation
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17 janvier 2022 : retour des commentaires des évaluations aux auteur.e.s
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21 février 2022 : date limite de réception des versions finales
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Avril 2022 : parution du n°4 de la revue Balisages
Modalités de soumission et d’évaluation
Les contributions peuvent être soumises au choix en français ou en anglais.
Les propositions de soumission doivent comprendre entre 3000 et 5000 caractères (espaces compris, hors bibliographie) et être anonymisées.
Les articles totaliseront quant à eux entre 30 000 et 40 000 caractères (espaces et bibliographie compris) et être anonymisés.
Les auteurs sont invités à respecter les recommandations aux auteurs concernant la qualité de formalisation scientifique, la mise en forme du texte et la normalisation des références bibliographiques.
Les propositions doivent être envoyées au format de leur choix : doc, odt ou md à la coordinatrice de ce numéro thématique, Fabienne Henryot (fabienne.henryot@enssib.fr).
Les textes feront l’objet de deux évaluations, selon une double procédure d’évaluation anonyme, par un comité de lecture, dont les membres seront sélectionnés en fonction de leur domaine d’expertise, à réception des articles.
Comité de lecture
Ses membres sont chargés de la procédure d’évaluation en double aveugle. Le comité est renouvelé à chaque numéro thématique en fonction du domaine d’expertise sollicité
Bibliographie
Bal Mieke (1994), Telling Objects: A Narrative Perspective on Collecting dans The Cultures of Collecting, J. Elsner et R. Cardinal (dir.), Cambridge, Harvard UP: 123-145.