L’attention est souvent captée par des pas de côté : dans le continuum d’un récit, la cohérence d’une démarche, d’un discours, l’anecdote – « récit bref d’un petit fait curieux » – fait événement, arrête le regard, surprend, et stimule la pensée. Toutefois, si elle permet de capter l’attention, parfois de fixer la mémoire, l’anecdote devient rarement le sujet de l’analyse : on s’intéresse à ce vers quoi elle fait signe. Á peine sortie des marges du discours, elle y retourne presque aussitôt.
En contexte scientifique, toutes disciplines confondues, l’usage des anecdotes reste peu étudié. Elles émaillent pourtant nos pratiques professionnelles et sociales, parfois nos textes, souvent nos cours. Présentes dans un très grand nombre des sources, données et supports qui nourrissent les sciences humaines et sociales, elles sont aussi au cœur de nos objets de recherches. En prêtant attention à la place qu’elles occupent dans nos pratiques, on peut distinguer deux régimes : un régime de l’anecdote et un régime de l’anecdotique. Le premier tend à ressasser le connu, à renforcer les positions et les récits dominants. Il autorise et maintient l’ordre. Il fait circuler de petits faits vrais – ou pas – sur ce que l’on sait déjà. Le second produit de l’inédit – c’est d’ailleurs l’origine étymologique du terme anecdote –, qui tend à le rester : ce sont de petits faits pourtant vrais, mais jugés négligeables, sans pertinence, sans intérêt. En les laissant de côté, les disciplines et les communautés marquent leurs frontières.
Mais les épistémologies, les méthodes et les expressions de la recherche changent. Les anecdotes autorisées prennent un air éculé. L’anecdotique ne l’est plus tant que ça. La liberté de ton qui caractérise les anecdotes permet alors à des sujets méjugés d’apparaître, elle remodèle les disciplines et leurs objets d’étude. L’essor de la recherche sur des personnes, des groupes sociaux ou des questions minorisées, doit ainsi beaucoup à la considération portée à ces sources jugées peu fiables que sont le discours rapporté, le commérage, le gossip ou l’anecdote. Du point de vue de l’écriture et de la transmission, le recours à l’anecdote fonctionne presque comme le punctum de Barthes : elle convoque la sensibilité, la mémoire et l’intime, leur fait une place au sein du discours et de la pensée scientifique.
Ce numéro de Communications propose ainsi de voir dans l’anecdote et l’anecdotique des modalités à part entière du travail intellectuel et créatif, d’en établir l’histoire et d’en explorer les effets. Nous voulons mettre en lumière le rôle que ces « petits récits d’un fait curieux » jouent dans le renouveau des disciplines.
Ce projet de publication prolonge deux années d’un séminaire porté par Emmanuel Guy (Education Nationale/ treize) et Déborah Laks (CNRS), hébergé par les Beaux- Arts de Paris, et consacré à l’anecdote et ses usages en art et en histoire de l’art.
Pour cet appel, nous espérons spécifiquement des propositions relevant de l’histoire et de l’actualité de l’art non-occidental, mais aussi des sciences exactes ou d’autres sciences humaines : sciences politiques, histoire, philosophie, sociologie, histoire des sciences, sciences de l’éducation. Certaines historiographies disciplinaires nous semblent en effet avoir fait un usage particulier de l’anecdote : l’étude des migrations (du point de vue politique, historique, sociologique), la philosophie de l’art, l’histoire de la philosophie, la sociologie de la création.
Nous espérons ainsi pouvoir faire résonner une réflexion d’abord menée dans le champ de l’art et de son histoire, avec une réflexion plus large portant sur le potentiel épistémologique, heuristique et politique des choses que l’on raconte et que l’on transmet.
Calendrier :
- Les propositions de contributions sur ce thème doivent être envoyées pour le 31 décembre 2025 sous la forme d’un résumé de 3000 signes environ (document Word), assorti d’une courte bibliographie.
- Elles doivent comporter le nom de l’auteur ou de l’autrice, son affiliation professionnelle et son courriel, et être adressées à revue-communications@ehess.fr avec la mention « Anecdotes » en objet du message.
- Elles seront examinées en double aveugle et feront l’objet d’une réponse au plus tard le 15 janvier 2026.
- Les articles proposés devront être des inédits et être rédigés en français de préférence, sinon en anglais.
- Les articles correspondant aux propositions acceptées (25 000 signes, espaces compris) devront être remis le 30 avril 2026 au plus tard, mis aux normes typographiques de la revue (https://www.revuecommunications.fr/proposer-un-article/instructions-aux-auteurs/) et assortis d’un résumé de 5-6 lignes en français, anglais et espagnol, comprenant le titre traduit ainsi que de 5 mots-clés dans ces trois langues.
Modalités d’évaluation
Elles seront examinées en double aveugle et feront l’objet d’une réponse au plus tard le 15 janvier 2026.
Les modalités de sélection des articles sont disponibles sur le site de la revue Communications : https://www.revue-communications.fr/proposer-un-article/processus-devaluation/
Le comité de lecture est composé des membres du conseil scientifique et du comité de rédaction ainsi que d’experts extérieurs.
Comité scientifique
- Ramon Alvarado (Professeur, Universidad Autonoma Metropolitana-Xochimilco, Mexique)
- Balveer Arora (Directeur, Centre for Multilevel Federalism, Institute of Social Sciences, Inde)
- Vincent Barras (Professeur, Université de Lausanne, Suisse)
- Maurice Bloch (Professeur, London School of Economics, Grande-Bretagne)
- Manthia Diawara (Professeur, New York University, États-Unis)
- Carlo Ginzburg (Professeur, École normale supérieure de Pise, Italie)
- Angela Leung (Professeure, Hong Kong Institute for the Humanities and Social Sciences, Université de Hong Kong)
- Olgaria Matos (Professeure, Université de São Paulo, Brésil)
- Masahiro Ogino (Professeur, Université Kwansei Gakuin, Japon)
- Serge Proulx (Professeur, Université du Québec à Montréal, Québec)
Comité de rédaction
- Michèle Baussant (Directrice de recherche, ISP, CNRS)
- André Burguière (Directeur d’études, CRH, EHESS)
- Claude Fischler (Directeur de recherche, LAP/LACI, CNRS)
- Marie Glon (Maîtresse de conférence, CEAC, Université de Lille)
- Christophe Granger (Maître de conférence, CIAMS, Université Paris-Saclay)
- Claudine Haroche (Directrice de recherche, LAP/LACI, CNRS)
- Sylvain Lesage (Maître de conférence, IRHiS, Université de Lille)
- Sabina Loriga (Directrice d’études, CRH, EHESS)
- Bernard Müller (Professeur, École supérieure d’Art d’Avignon/IRIS)
- Véronique Nahoum-Grappe (chercheure, LAP/LACI, EHESS)
- Bernard Paillard (Directeur de recherche, TEMOS, CNRS)
- Alfredo Pena-Vega (chercheur, LAP/LACI)
- Catherine Perron (Chargée de recherche, CERI, CNRS)
- Martyne Perrot (chercheure, LAP/LACI, CNRS)
- Monique Peyrière (chercheure, CPN, Université d’Évry Paris-Saclay)
- Thierry Pillon (Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
- Philippe Roussin (Directeur de recherche, CRAL, CNRS)
Keywords
- Mots-clés
- Arts
- Récits
- Sociabilité