Astroturfing, de l’usurpation à la manipulation du débat public ?

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L’astroturfing fait référence à la création et à l’utilisation de faux mouvements spontanés de citoyens ou de consommateurs pour faire la promotion d’un produit ou d’une idée. C’est le sénateur du Texas Lloyd M. Bentsen qui utilise en 1986 cette expression pour la première fois pour condamner un mouvement citoyen qu’il jugeait « artificiel »(Lits, 2020). En effet, le terme fait référence à une célèbre marque nord-américaine de pelouse artificielle, « AstroTurf », utilisée dans les stades sportifs et qui imite une pelouse naturelle. Cette technique de communication, qui soulève de nombreux questionnements éthiques, consiste essentiellement à commanditer la mise en place de groupes de citoyens qui prendront publiquement position sur un enjeu sans que le commanditaire ne soit ni connu ni mentionné et qui, par leur action, viseront à influencer l’opinion ou à faire pression sur un autre acteur du débat public (Libaert & Allard-Huver, 2014).

Le terme a émergé en opposition aux mouvements grassroot, définis comme des « mouvements locaux nourris par la communauté qui donne son temps et ses ressources pour soutenir une cause spécifique. Leur objectif primaire est donc de gravir les échelons à partir d’efforts collectifs pour supporter une cause sociale ou politique que ces volontaires considèrent significative pour le bien commun de la société. » [traduction libre] (Cho et al., 2011, p. 573). En reprenant les codes d’un mouvement de citoyen « grassroots », le commanditaire d’un groupe astroturf s’assure d’une présence légitime dans l’espace public sans qu’il ne soit mentionné, donnant ainsi un poids et une indépendance plus grandes aux idées véhiculées par des personnes ignorant tout des ficelles derrière le mouvement auquel elles s’associent. D’autres déclinaisons du phénomène se retrouvent aussi sous le vocable astroturf. Le terme peut ainsi faire référence à des « groupes de façades », coquilles vides qui se présentent comme des groupes citoyens mais qui de fait, n’ont pas de membres. Sur le web, l’astroturfing digital consiste enfin à imiter les actions citoyennes « bottom-up », en appui à un projet, une entreprise ou une cause, par l’entremise de dispositifs technologiques (sock puppet ou clik farm, par exemple) ou par le recours à un grands nombres d’individus rémunérés à cette fin.

S’appuyant sur la dissimulation de l’émetteur réel du message et sur le simulacre d’un mouvement citoyen (Boulay, 2012, 2015) l’astroturfing constitue donc une remise en question du dire-vrai et de la crédibilité de la parole dans la sphère publique, qu’elle soit en ligne ou dans la rue (Gilewicz & Allard-Huver, 2013; Lits, 2019). Plus encore, dans un monde de plus en plus polarisé, c’est la posture et l’éthique des communicants et des organisations qui recourent à ce processus qui interroge et qui questionne les rapports de nos sociétés à ces phénomènes (Foucart et al., 2020)

Face à ce phénomène dont l’ampleur est mal connue, le prochain séminaire de l’ACCS, le 17 novembre 2021, sera consacré à la question de l’astroturfing, de l’usurpation à la manipulation du débat public ?

Trois axes ont été privilégiés pour ce séminaire, à savoir les pratiques existantes, la mesure de leur prégnance et leur régulation.  Nous invitons donc les auteurs et autrices à proposer des communications qui correspondent aux orientations suivantes (liste non exhaustive) :

  • Rendre compte de l’état actuel du phénomène
  • Mieux apprécier les cas de « front groups » et de « sockpuppets », les fausses identités individuelles, notamment numériques ;
  • Mieux connaître les outils pouvant être utilisés pour identifier l’astroturfing, une tactique efficace d’astroturfing étant par définition discrète;
  • Analyser la constitution de groupes d’expertise à façade scientifique ;
  • Comprendre les différents types d’astroturfing afin de constituer, de stimuler et de nourrir des mouvements d’influence trompeurs;
  • Évaluer les impacts réels de ces tactiques sur la démocratie, le lobbying et les jeux d’influence autour de cas concret identifiés;
  • Produire un état des lieux sur la réglementation des pratiques professionnelles derrière ces comportements;
  • Interroger les démarches de régulations et la nature des phénomènes dans le cadre des stratégies d’influence au niveau européen;
  • Réfléchir à la manière d’encadrer les pratiques publiques d’influence de groupes citoyens, d’individus, d’entreprises, d’associations, de mouvements idéologiques et de regroupements divers.

Ce séminaire ACCS, prévu actuellement en format virtuel compte tenu de la situation sanitaire, est organisé en partenariat avec la Chaire de relations publiques et communication marketing de l’Université du Québec à Montréal.

Modalités de soumission d’une proposition et dates clés

Les chercheurs et chercheuses intéressés à proposer une communication correspondant à une présentation de 15 minutes sont invités à envoyer une proposition au plus tard le lundi 28 juin 2021. Si besoin des relances seront effectuées.

Le format de la proposition sera de 500 mots maximum, plus une courte bibliographie et cinq mots clés (format PDF svp avec titre, nom et coordonnées sur une page de garde, page suivante avec titre et texte mais anonyme). Les communications retenues et présentées pourront faire l’objet d’une publication sous forme d’actes du séminaire.

Les propositions de communication devront être envoyées simultanément aux quatre personnes suivantes :

François Allard – fr.allardhuver@gmail.com

Valérie Lehmann – lehmann.valerie@uqam.ca

Thierry Libaert – thierry.libaert@uclouvain.be

Bernard Motulsky – motulsky.bernard@uqam.ca

Courant juillet 2021, les auteurs recevront les commentaires émis par les membres du comité scientifique du séminaire ACCS 2021. Le programme définitif du séminaire sera établi au cours du mois de septembre en fonction des communications acceptées.

Si besoin de plus d’informations, les auteurs intéressés à soumettre une proposition peuvent communiquer par courriel avec l’une des quatre personnes citées plus haut. Merci.

Comité scientifique du séminaire ACCS 2021

  • Christophe Roux-Dufort, Professeur Université Laval, Québec
  • Flore Tanguay-Hébert, Chargée de cours Université du Québec à Montréal, Québec
  • Winni Johansen, Professeure Université Aarhus, Danemark
  • Andrea Catellani, Professeur Université Catholique de Louvain, Belgique
  • Béatrice Jalenques-Vigouroux, Maitre de Conférence, INSA Toulouse, France
  • Arnaud Mercier, Professeur Panthéon Assas, France
  • Stéphanie Yates, Professeur, Université du Québec à Montréal, Québec
  • Valérie Lehmann, Professeure, Université du Québec à Montréal, présidente du Comité scientifique de l’ACCS

Bibliographie de référence

Boulay, S. (2012). Exploration du phénomène d’astroturfing : Une stratégie de communication usurpant l’identité citoyenne dans l’espace public. Communiquer. Revue de communication sociale et publique, 7, 61‑84. https://doi.org/10.4000/communiquer.487 SMASH

Boulay, S. (2015). Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public : Astroturfing, communication et démocratie. Presses de l’Université du Québec.

Cho, C., Martens, M., Kim, H., & Rodrigue, M. (2011). Astroturfing Global Warming : It Isn’t Always Greener on the Other Side of the Fence. Journal of Business Ethics, 104, 571‑587. https://doi.org/10.1007/s10551-011-0950-6 SMASH

Foucart, S., Horel, S., & Laurens, S. (2020). Les gardiens de la raison : Enquête sur la désinformation scientifique. La Découverte.

Gilewicz, N., & Allard-Huver, F. (2013). Digital Parrhesia as a Counterweight to Astroturfing. In Online Credibility and Digital Ethos : Evaluating Computer-Mediated Communication (p. 215‑227). IGI Global. https://doi.org/10.4018/978-1-4666-2663-8.ch012 SMASH

Libaert, T., & Allard-Huver, F. (2014). La communication sur les sujets sensibles au prisme des sciences de l’information et de la communication. Communiquer. Revue de communication sociale et publique, 11, 81‑100. https://doi.org/10/ggq5cq

Lits, B. (2019). Astroturf lobbying in the EU : The case of shale gas exploration. Networking Knowledge: Journal of the MeCCSA Postgraduate Network, 12, 3‑18. https://doi.org/10.31165/nk.2018.112.521 SMASH

Lits, B. (2020). Astroturfing. In Publictionnaire, Dictionnaire encyclopédique et critique des publics,. http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/astroturfing/

Lock, I., P. Seele & R. L. Heath. 2016. Where Grass Has No Roots: The Concept of ‘Shared Strategic Communication’ as an Answer to Unethical Astroturf Lobbying. International Journal of Strategic Communication 10 (2)

McNutt, J. G., & Boland, K. (2007). Astroturf, technology and the future of community mobilization: Implications for nonprofit theory. Journal of Sociology and Social Welfare, 34(3), 165–178.

Sisson, D. C. (2017). Inauthentic communication, organization-public relationships, and trust: A content analysis of online astroturfing news coverage. Public Relations Review, 43(4), 788‑795.