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Lieu de l’événement École nationale supérieur d’architecture , 83 rue Aristide Maillol , Toulouse 31000, France
Depuis une trentaine d’années, le numérique en architecture s’est largement imposé dans les pratiques pédagogiques et professionnelles, mais également dans le cadre de recherches en architecture. Ces évolutions autour du numérique et des images en architecture doivent être, en permanence, repensées, car « les nouveaux médias suscitent régulièrement de nouvelles utopies, qui peuvent être très similaires entre elles. Régulièrement, on nous annonce qu’une révolution médiatique […], est en cours et qu’elle a le potentiel de changer le monde en profondeur. […] C’était le cas de la radio, de la vidéo, d’Internet et des médias sociaux. Et c’est encore le cas aujourd’hui ». (Zeitschrift für Medien-und Kulturforschung 10/2/2019, p. 5).
Aujourd’hui un nouveau tournant numérique émerge et se manifeste par de très nombreuses applications gérées par l’intelligence artificielle générative. Rapidement adoptées par un public large, mais également par le monde des métiers de la conception et plus spécifiquement de l’architecture, l’impact de ces images issues des IA génératives interroge. Déclenchent-elles aujourd’hui un changement majeur, ou bien se placent-elles dans un enchaînement, de révolutions et hivers numériques, ponctué par l’avènement du paramétrique, la 3D, le BIM, la réalité virtuelle immersive, la réalité augmentée, la synthèse et l’analyse d’images (reconnaissance de formes), le traitement algorithmique de photographies (maquettes numériques 3D), la restitution de bâtiments remarquables et l’aide à la conception, représentation des connaissances (sémantique formelle de l’espace) ? Autrement dit, en dépit de l’affolement médiatique, économique et politique, faut-il pour autant considérer cette IA générative comme un changement inédit pour l’architecture ou bien s’insère-t-elle dans une évolution plus complexe ?
Ce colloque s’intéresse spécifiquement aux images numériques en architecture, leurs usages, leur place dans les processus de conception et de communication, les interactions ainsi que les influences réciproques entre l’image numérique et l’architecture, leur histoire, leur impact, leur évolution, leurs spécificités. Quelle influence et quel sens émergent des images architecturales, urbaines et paysagères produites par le numérique, et notamment par l’IA générative ? Quelle différence constate-t-on avec d’autres outils, du dessin analogique à la photographie ? Comment ces images s’insèrent-elles dans un processus de conception formé par de nombreux acteurs, humains et non humains (Latour, 2012). Autrement dit, « En quoi un projet conçu par une machine peut-il faire preuve d’une intention de nature architecturale ? » (Picon, 2024 : 20) et comment ces processus de conception et de communication de l’architecture sont-ils visualisés à travers une pensée par l’image numérique ?
Thématique 1 : Évolution de l’instrumentation vers le numérique
Les systèmes d’intelligence artificielle constituent une évolution récente des techniques symboliques. Dans cette perspective, ils s’inscrivent dans le temps long de l’histoire des techniques de représentation des connaissances. Le langage, l’écriture, les gestes, la musique, les signes, ou encore les édifices (…), illustrent des types de matérialisation de la connaissance qui sont les supports et les vecteurs de nos interactions, de nos compréhensions du monde, de nos capacités d’agir. Ces techniques ne sont pas neutres et l’organologie générale (Stiegler, 2014) envisage, dans une perspective pharmacologique, une description des interactions entre les organes biologiques, les organes techniques et les organes sociaux. Nos représentations se révèlent à travers d’étroites interactions entre savoir et savoir-faire, entre outils, instruments et machines. Des allers-retours s’établissent entre nos représentations internes et leurs externalisations. Il existe une longue phylogénèse des machines à dessiner, du pantographe aux intégraphes en passant par la grille de repérage de Robert Fludd, pour n’en citer que quelques-unes, ces instruments accompagnent et orientent notre regard sur le monde. Aujourd’hui, les logiques informatiques structurent nos contenus culturels et portent en eux un réservoir de potentialités spécifiques. Ces dernières années, ce sont les fournisseurs de technologie qui déterminent les conditions de transformation de la société, et la compréhension du milieu de l’IA (Crawford,2022 ; Alombert, 2023) se révèle être une nécessité pour envisager la cocréation de ces systèmes. Quelles pourraient être les contributions des disciplines de la création pour participer à l’invention et à la mise au point de ces modalités d’instrumentation génératives ? Quelles possibilités les techniques numériques génératives ouvrent et limitent ? Comment celles-ci pourraient constituer un réservoir de potentialités ? Comment pourraient-elles accompagner un processus exploratoire, inventif et créatif ?
Thématique 2 : Pratiques créatives et innovations technologiques
Les processus de création d’images numériques par l’IA sont multiples, ouvrant de nouveaux passages entre le langage et l’image comme les applications Text-to-image (prompts) Text-to-video ou bien Image-to-image. De nombreux modèles génératifs et outils logiciels sont déjà proposés (GANs, Diffusion Models, Transformers,…), leur performances évoluant en permanence, appliqués à des objectifs de retouches, d’améliorations/adaptations d’images entièrement créées ou basées sur des images existantes qu’elles soient de nature photographique, des dessins ou des esquisses (upscaling, inpainting, outpainting, de transferts de styles, de mises en situation, d’enrichissements photoréalistes scénarisés, de remplacements automatiques, etc). Certains permettent la génération d’images animées (vidéos) ou proposent des projections dans d’autres espaces (génération de formes tridimensionnelles, immersion dans des espaces panoramiques ou interactifs tridimensionnels,…). Des approches hybrides récentes proposent d’entremêler automatiquement l’utilisation de modèles de vision VLM (Vision Language Model), permettant la description sous forme textuelle du contenu des images, aux méthodes génératives d’images.
Certes innovantes, ces fabrications d’images correspondent simultanément à des pratiques et des gestes somme toute assez anciens, comme “détecter, reconnaître et classer les objets, les corps et les visages contenus dans les images et (…) générer et modifier les images » (Somaini 2025).
S’agit-il alors « d’une simple affaire de logiciels offrant des solutions à bas prix » (Grefen, 2025) ou bien d’une force créatrice concurrente aux artistes, architectes et designers ? Anthony Masure (Masure 2023) et de très nombreux colloques, publications et articles, issus du monde de la création et de la conception accompagnent ces réflexions. Parfois inquiets, ils posent la question de la singularité de l’acte de la conception et de la création. Que reste-t-il de la créativité, de la capacité à projeter et à concevoir, si une machine s’approprie (ou fait semblant) cet acte, pensé jusqu’alors comme un privilège, voire même une spécificité humaine ? Quelle est la place de l’usage de ces approches d’IA génératives dans le cadre de la création de ces images, qu’elles soient symboliques, proches de la réalité, ou encore fonctionnelles, qu’elles s’inscrivent dans un processus de création ou bien de conception pour l’architecture, l’urbain ou le paysage ? Comment évaluer le niveau de créativité, l’utilité et l’efficacité de ces productions de l’IA générative quand elles restent conditionnées par la capacité à être en mesure de les réinterpréter ? Par ailleurs, comment des images générées par l’IA critiquent-elles la technologie qui les crée ? Et comment définir d’ors et déjà ce lien perturbé au réel, autour du faux et de la simulation, des pistes déjà soulevées par Jean Baudrillard (Baudrillard 1981) qui semble émerger massivement actuellement ?
Thématique 3 : Approches pédagogiques
Loin d’être étanche à la numérisation croissante de notre cadre vie, les pratiques architecturales, urbaines et paysagères ne cessent de faire évoluer leurs méthodes et outils de travail. Il convient toutefois de rappeler que la médiation instrumentale technologique (Rabardel, 1995) n’est jamais neutre. Elle aura des implications bien au-delà de la sphère purement technique (ou procédurale), en impactant également les dimensions artistiques, cognitives, sociologiques et psychologiques. Dans ce contexte, les usages (potentiels ou effectifs) de l’intelligence artificielle interrogent ce cadre de médiation instrumentale numérique et invite, entre autres, à opérer un regard critique sur ses implications dans les approches pédagogiques, l’acquisition de compétences et les dialogues interdisciplinaires. Comment les usages de l’IA peuvent-ils amplifier ou tout au contraire réduire les compétences dans le domaine de l’architecture, l’urbanisme et le paysage ? L’IA générative nous délivre parfois des images d’architecture que l’on pourrait qualifier de surréalistes et qui prêtent parfois à sourire de par l’incongruité de certains paysages. Ces images vont-elle remplacer les représentations classiques (documents techniques, perspectives, rendus, photographies,…) dans l’imaginaire des étudiants concepteurs ? Si oui, il faut que la recherche et la pédagogie en architecture s’attellent à décrypter les ressorts d’une telle « source d’inspiration ».
Générer des images d’architecture par IA dans une école d’architecture n’est donc pas une entreprise anodine. Il faut s’interroger sur la facilité (quelques mots.. et une image apparaît, légèreté d’usage qui n’encourage pas un effort de réflexion préliminaire), sur la validité, pertinence des données d’apprentissage (que l’utilisateur ne maîtrise ni même ne connaît pas), sur la conformité des objets tridimensionnels représentés (objets parfois impossibles à réaliser dans un espace 3D tangible)… Afin de participer au développement d’une telle approche critique, les contributions attendues pourront traiter, entre autres, des aspects suivants : éléments pour la constitution d’une charte IA pour les écoles d’architecture (actuellement en développement au sein du réseau Architecture Culture Conception Numérique) ; études de cas et retours d’expériences sur des pratiques d’enseignement (architecture, design, art) ; quels critères d’interprétation et de légitimation des images générées ? quel modèle utilisateur de l’IA générative pour l’étudiant : en boîte noire (on ignore le fonctionnement interne du système), en boîte grise (on connaît certains principes de fonctionnement, réseau de neurones, apprentissage,…) ou en boîte de verre (on génère une IA spécifique à travers un processus d’apprentissage, long mais très pédagogique…) ?
Thématique 4 : Enjeux éthiques et place du concepteur
Comme le mentionne le “Règlement sur l’intelligence artificielle – Eur-Lex” [2024], le groupe d’experts de haut niveau sur l’intelligence artificielle (GEHN IA), constitué par la Commission européenne dès 2018, a élaboré “sept principes éthiques non contraignants pour l’IA, qui sont destinés à contribuer à faire en sorte que l’IA soit digne de confiance et saine sur le plan éthique. Il s’agit des sept principes suivants : action humaine et contrôle humain ; robustesse technique et sécurité ; respect de la vie privée et gouvernance des données ; transparence ; diversité, non-discrimination et équité ; bien-être sociétal et environnemental ; et responsabilité”.
Au-delà de ces questionnements fondamentaux, et l’élaboration de toutes ces réglementations, l’évolution récente des pratiques de l’image numérique intégrant des images générées, modifiées, et interprétées par des modèles d’intelligence artificielle nécessite ainsi une nouvelle série de réflexions permettant d’identifier et d’intégrer les enjeux éthiques et la place du créateur ou concepteur, au-delà même des aspects purement techniques.
Les contributions développées au sein de cette thématique pourront s’intéresser à répondre à certains questionnements. Confidentialité et protection des données, propriété intellectuelle, droit d’auteur et droit à l’image, consentement et contrôle ? Problématique environnementale et sociale des usages de l’IA ? Biais potentiels des résultats générés ? Impacts et solutions autour de l’orientation par les algorithmes, des stéréotypes, de l’homogénéisation, ou de la réduction esthétique ? Encadrement, responsabilité et gouvernance de l’IA ? Vers une IA responsable et/ou souveraine ? Place de la réglementation et du cadre juridique de l’IA ? Une “Charte de l’IA” en relation avec la production par les praticiens d’images de projets, sur le modèle de la “Charte d’éthique de la 3D” pour la synthèse et l’usage de représentation 3D “virtuelles” des modélisations 3D territoriales, est-elle nécessaire et envisageable ? Quelles propositions pour une réappropriation, une décentralisation, et une autonomie créative ? Rôle du concepteur/créateur au sein des écosystèmes de l’IA ? Une IA en Open-data et licence ouverte (outils, modèles, données) est-elle une solution ?
Modalités de soumission
Les propositions, d’environ 2500 caractères espaces compris sont attendues pour le 31 octobre 2025, assorties d’une courte bio-bibliographie précisant le titre, le nom, le prénom et le rattachement institutionnel, à l’adresse : image-archi-ia@toulouse.archi.fr
- Les actes du colloque feront l’objet d’une publication en 2026.
- Date de clôture des propositions : 31 octobre 2025
- Réponse du comité de sélection : le 30 novembre 2025
- Dates du colloque : le 19 et 20 mars 2026 à École nationale supérieure d’architecture de Toulouse
Comité scientifique
- Serge Faraut, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Sophie Fétro, Paris 1, Panthéon Sorbonne, ACTE Arts, créations, théories, esthétique (dir. adjointe).
- Jean-Pierre Goulette, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Kévin Jacquot : ENSA Lyon, Laboratoire Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine culturel — MAP
- Dominique Longin, IRIT, Institut de recherche en informatique de Toulouse (dir. adjoint).
- Philippe Marin : ENSA Grenoble, Laboratoire Méthodes et Histoire de l’Architecture — MHA (dir. scientifique)
- Sandra Marques, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Gabriele Pierluisi, ENSA Versailles, laboratoire LéaV
- Andrea Urlberger, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
Comité d’organisation
- Serge Faraut, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Jean-Pierre Goulette, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Philippe Marin : ENSA Grenoble, Laboratoire Méthodes et Histoire de l’Architecture — MHA (dir. scientifique)
- Sandra Marques, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
- Andrea Urlberger, ENSA Toulouse, Laboratoire de Recherche en Architecture — LRA
Bibliographie
Addé L., Faraut S., Goulette J-P, Marques S., Urlberger A., « Quand l’IA rencontre l’architecture » in in Bianchini S., Lejeune G., Longin D., Adam E. (éd.), IA & Création artistique. Bulletin de l’Association Française pour l’Intelligence Artificielle, 125, 2024, Association Française d’Intelligence Artificielle.
Alombert, A., 2023. Penser l’humain et la technique : Simondon et Derrida après la métaphysique. La croisée des chemins. ENS éditions, Lyon.
Baudrillard J., 1981, Simulacres et Simulation, Galilée, Paris.
Campo, del M. (ed.) 2024, Diffusions in Architecture : Artificial Intelligence and Image Generators – éditeur Wiley.
Crawford, K., & Bury, L. 2022, Contre-atlas de l’intelligence artificielle : Les coûts politiques, sociaux et environnementaux de l’IA. Éditions Zulma.
Latour B., 2001, L’espoir de Pandore, La Découverte, Paris.
Picon A., “L’intention architecturale au prisme de l’intelligence artificielle”, in Bianchini S., Lejeune G., Longin D., Adam E. (éd.), IA & Création artistique. Bulletin de l’Association Française pour l’Intelligence Artificielle, 125, 2024, Association Française d’Intelligence Artificielle.
Gefen A., « Penser l’art à l’heure de l’IA », in Antonio Somaini (ed), Une théorie des espaces latents, in Le Monde selon l’IA, catalogue d’exposition, Jeu de Paume, présenté au Jeu de Paume, Paris, du 11 avril 2025 au 21 septembre 2025,, Paris JBE Books,/Jeu de Paume, 2025.
Rabardel, P., 1995. Les hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments contemporains. Armand Colin, Paris.
Somaini A., “Une théorie des espaces latents”, in Le Monde selon l’IA, catalogue d’exposition, Jeu de Paume, présenté au Jeu de Paume, Paris, du 11 avril 2025 au 21 septembre 2025,, Paris JBE Books,/Jeu de Paume, 2025, pp. 31-32, Colloque : Création contemporaine et l’Intelligence Artificielle, 23-24 mai 2025.
Stiegler, B. (éd.), 2014. Digital studies : organologie des savoirs et technologies de la connaissance, Collection du nouveau monde industriel. Fyp éditions, Limoges.zoter
Zeitschrift für Medien-und Kulturforschung 10.02.2019
Règlement sur l’intelligence artificielle (RIA) – IA Act – Eur-Lex – RÈGLEMENT (UE) 2024/1689 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, 2024 https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2024/1689/
Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle – UNESCO https://www.unesco.org/fr/artificial-intelligence/recommendation-ethics
Collectif 3DOK : Charte d’éthique et de déontologie de la 3D.
https://www.3dok.org , 2010. Consulté le 19/07/2024.