Revue Française des Sciences de l'Information et de la Communication

Penser les processus de plateformisation de la culture en direction des jeunes 

Réponse attendue pour le 15/07/2022

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Nom de la publication Revue Française des Sciences de l'Information et de la Communication

Éditeur SFSIC - OpenEdition Journals

Coordinateurs

Contexte 

Alors que les adolescents ne constituaient qu’une cible marginale pour la télévision, les industries numériques depuis une dizaine d’années s’adressent de façon privilégiée aux jeunes, adolescents et préadolescents, et se livrent une concurrence sans merci sur cette cible. Plateformes de jeux, réseaux socionumériques, plateformes de streaming développent des techniques de captation des jeunes, des interfaces faciles à prendre en main et des fonctionnalités susceptibles de les intéresser, de les divertir, de les mettre au travail (Facebook, Instagram, Snapchat, Tiktok, Netflix, YouTube, jeuxvideo.com, Amazon, Steam, Twitch, Roblox, Discord, pour les principales). Les plateformes YouTube, TikTok et Roblox sont même devenues un terrain de jeu pour de très jeunes influenceurs et influenceuses.

Les pratiques culturelles des adolescents de 12-17 ans occupent de ce fait une place de première importance dans l’économie numérique qui joue un rôle déterminant dans l’économie mondiale. Elles sont également transformées par les dispositifs socio-techniques que ces plateformes leur proposent pour créer, diffuser des contenus et les monétiser.

La mise en visibilité de stratégies commerciales inscrites dans les dispositifs computationnels à travers le « web affectif » (Alloing, Pierre, Allard, 2017), les révélations des anciens employés des industries du numérique quant à leurs intentions manipulatoires donnent de nouveaux outils pour saisir les enjeux de l’industrialisation de la culture (Bouquillion, 2013 ; Moeglin, 2016 ; Bullich et Schmitt, 2019) pour les jeunes, ceux de l’instrumentalisation de leurs émotions (Martin Juchat, Staii, 2016), et ceux de l’éducation critique aux médias (Jehel, Saemmer, 2020, Petit, 2020).

Les ressources du design persuasif sont particulièrement développées dans les applications destinées aux adolescents qui collectent massivement des données sur les mineurs comme le révèlent les condamnations en 2019 par la Federal Trade Commission (USA) de YouTube et de Facebook ou celle de WhatsApp par l’Irlande en 2021.

Le procédé de la plateformisation est dans le même temps particulièrement complexe à comprendre pour les jeunes usagers. Sans pour autant faire l’objet d’une définition consensuelle (Casilli, 2019), les plateformes numériques peuvent néanmoins être définies comme des entreprises, qui organisent à travers des infrastructures computationnelles la mise contact de plusieurs parties, dans un fonctionnement de marché multiversants. La plateformisation se trouve ainsi insérée dans des logiques d’industrialisation et de marchandisation (Bullich, 2018), mais aussi d’opacification. Elle correspond à une modalité de gouvernance qui cache les différents niveaux d’interrelation entre les usagers, et entre les usagers et les contenus recommandés, à partir des modalités de profilage et d’algorithmisation. Les plateformes développent, à travers le design de leurs interfaces et leurs discours marketing, des politiques émotionnelles par lesquelles elles cherchent à contrôler et à stimuler les activités des utilisateurs et leurs expressions sur les espaces numériques, pour mieux capter et calculer les traces affectives qu’ils y déposent (Jehel, 2022).

Quelles sont les pratiques des adolescents et les adolescentes sur ces plateformes ? Comment vivent-ils les injonctions à aimer, publier, jouer, sourire, partager et monétiser les contenus qu’ils créent ? Mettent-ils en œuvre des stratégies de « résistance » à de telles injonctions ? Quelles mobilisations collectives les jeunes de 12 à 17 ans peuvent-ils y construire ? Quelles représentations se font-ils de la plateformisation ? Comment les mutations d’accès aux savoirs chez les jeunes apprenants peuvent permettre de repenser la dimension communautaire des plateformes d’apprentissage ?

Comment les adolescents usagers précoces de ces plateformes peuvent-ils comprendre les enjeux croisés de la surveillance commerciale qu’elles exercent face aux services qu’elles procurent ? Comment peuvent-ils saisir la nature des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux, la convention internationale des droits de l’enfant, le règlement européen pour la protection des données personnelles ? En tant que mineurs, le droit du numérique protège à plusieurs titre le traitement et la conservation des données personnelles des jeunes. Le RGPD prévoit plusieurs dispositions qui viennent actualiser les droits de l’enfant : droit à l’effacement des données, autorisation parentale, quelles représentations les enfants ou les adolescents peuvent-ils s’en faire ?

Quatre axes thématiques sont proposés à l’analyse, sans être exclusifs d’autres approches :  

  1. Captation de l’attention des jeunes par la gamification des activités.
    Celle-ci peut faire l’objet d’analyse aussi bien des stratégies développées par une plateforme en particulier, ou une stratégie commune à plusieurs plateformes. Elle peut aussi être abordée par l’aval des usages des jeunes. Le rôle des influenceurs pourra être interrogé. Les modalités d’adhésion ou de « résistance » des adolescents à ces dispositifs pourront être explorées.
  2. Plateformisation et moissonnage des données personnelles.
    Quelles précautions sont prises par certaines plateformes vis-à-vis des jeunes, avant 18 ans ? Quelles représentations peuvent s’en faire les jeunes, selon leur age ?
  3. Création, engagement et politisation des jeunes sur les plateformes.
    Certaines plateformes permettent-elles le développement de nouvelles dynamiques de citoyenneté ? Au-delà du formatage des productions, quelles compétences créatives permettent-elles d’explorer ? 
  4. Les usages des plateformes d’apprentissage.
    Modifient-ils la représentation que les jeunes usagers se font du fonctionnement des plateformes ? Comment les plateformes d’apprentissage redéfinissent-elles les principes de médiation et de co-construction des connaissances ?

Recommandations

Les âges de la jeunesse concernés par ces stratégies comme ces usages devront faire l’objet de définition. Une attention sera apportée aux différences genrées des usages numériques. Les plateformes feront l’objet d’une identification précise. La méthodologie des enquêtes de terrain, ou des analyses des interfaces sera décrite soigneusement et justifiée.

Les propositions liées aux travaux en cours dans le cadre du séminaire de la MSH Paris Nord « Les industries du numérique et les jeunes : Expériences esthétiques et émotionnelles, création de contenus et émergence de nouvelles pratiques sociales » seront bienvenues.

Références 

Allard Laurence, Alloing Camille, Le Béchec Mariannig et Pierre Julien, « Les affects numériques », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2017, no 11. [En ligne] < https://journals.openedition. org/rfsic/2870 >.

Alloing Camille et Pierre Julien, Le web affectif. Une économie numérique des émotions, Bry-sur-Marne, INA, 2017.

Benavent, Christophe, Plateformes. Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux… Comment ils influencent nos choix. Limoges, FYP Editions, 2016.

Boubée Nicole, Safont-Mottay Claire et Martin Franck (dir.), La numérisation de la vie des jeunes, Paris, L’Harmattan, 2019.

Bouquillion Philippe, « Socio-économie des industries culturelles et pensée critique : le Web collaboratif au prisme des théories des industries culturelles », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/3A, 2013, p.55-67.

Bullich Vincent , « La « plateformisation » de la formation », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 21 | 2018.

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Domenget, Jean-Claude, Coutant Alexandre, Partir des usages pour analyser les systèmes de recommandation : le cas des médias sociaux, in Chartron Ghislaine, Saleh Imad et Kembellec Gérard (Dir.), Les systèmes de recommandation, p. 43-67, Paris, Hermès science, 2014.

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Guignard Thomas, Données personnelles et plateformes numériques : sophistication et concentration du marché publicitaire ticetsociété [En ligne], Vol. 13, n° 1-2, 1er semestre 2019 – 2ème semestre 2019.

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Jehel Sophie, Saemmer Alexandra (dir.), Education critique aux médias en contexte numérique, Lyon, Presses de l’ENSSIB , 2020.

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Martin-Juchat Fabienne, Staii Adrian (dir.), L’industrialisation des émotions. Vers une radicalisation de la modernité ?L’Harmattan, 2016.

Mœglin, Pierre, Introduction : La question de l’industrialisation de l’éducation, in Pierre Mœglin (dir.) Industrialiser l’éducation : Anthologie commentée (1913-2012) (pp. 9-73). Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 2016.

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Patino, Bruno, La civilisation du poisson rouge – Petit traité sur le marché de l’attention, Paris, Editions Grasset, 2019.

Petit Laurent, L’Education aux médias et à l’information. Repenser l’approche critique , Grenoble, PUG, 2020.

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Wiart Louis, Quand Netflix fait de la diversité son meilleur argument commercial, Nectart, 14, p.72-83, 2022.

Direction du numéro :

Sophie Jehel, MCF HDR Sciences de l’information et de la communication, Univ. Paris 8, Cemti, associée au Carism.

Valérie Inès de la Ville, PU Sciences de Gestion, IAE de Poitiers, Directrice du CEPE – Université de Poitiers, CEREGE.

Nicolas Oliveri, enseignant-chercheur HDR Sciences de l’information et de la communication, IDRAC Business School, SIC.Lab Méditerranée, Université Côte d’Azur.

Calendrier 

15 juillet 2022 : Réception des articles complets (30 000-40 000 signes) aux adresses suivantes :

15 août 2022 : Avis et recommandations aux auteurs

15 septembre 2022 : Envoi de la version définitive des articles à la direction de la revue

1er décembre 2022 : Publication du numéro spécial