Revue d’histoire des sciences humaines

Nommer, classer, exposer : les collections et musées de sciences humaines

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Nom de la publication Revue d’histoire des sciences humaines

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Depuis deux décennies, les musées d’ethnographie – envisagés ici au sens large comme musées d’ethnologie des hommes actuels et fossiles pour reprendre la terminologie de Paul Rivet – occupent une place grandissante dans l’espace public. La question très médiatisée des restitutions (Sarr & Savoy 2018), ou les projets de décolonisation (Lee 2022, Vergès 2023) plus ou moins opportunistes, ont pris le relais des débats sur les changements de noms des musées (Caldwell 2000, Stallabras 2014 ; plus largement Stocking 1971). Cette actualité publique et médiatique cache le fait que ces musées ont fait depuis longtemps (Stocking 1985) et continûment l’objet d’enquêtes d’historiens et d’historiennes, mais aussi – l’ethnographie étant une discipline qui valorise la réflexivité – d’ethnographes (par exemple Gonseth, Hainhard, Kaehr 2002) et d’associations professionnelles des musées (Deutscher Museumsbund 2021).

Cette importante production, entre autres historiographique, a permis d’explorer de très nombreuses dimensions de ces institutions. En se limitant aux publications les plus récentes, deux axes peuvent être distingués. D’une part, la dimension coloniale des musées ethnographiques – et l’expression du souhait de leur décolonisation – est désormais très documentée, avec plus ou moins de finesse (par exemple : Bennett et al. 2016, Turner 2020, Hicks 2020). Il en va de même des travaux qui examinent la contestation par les populations locales des savoirs élaborés au musée (Larson 2015, Glass 2018) ou les musées hors du Nord global (Berthon 2018, Bondaz, Frioux Salgas 2022). D’autre part, de très nombreux travaux ont étudié les musées comme centres de traduction et lieux d’accumulation de matériel (Brydon 2019, Mushynsky 2023), ce qui a conduit à analyser les modes de collecte, de transfert et de mise en écriture des collections (voir Gonseth, Hainard, Kaehr 2002, Gonseth, Knodel, Reubi 2010, Smetzer 2015, Petrou 2016, Brusius 2017, Achim, Deans-Smith Rozental, 2021), voire à s’interroger sur la pertinence des partages (institutionnels, thématiques, chronologiques) établis entre les objets par les institutions muséales et pouvoirs publics (Delpuech 2018). Enfin, les recherches sur l’histoire des institutions elles-mêmes sont aujourd’hui nombreuses et proposent des approches croisées comme en témoignent, entre autres, les travaux les plus récents sur le musée d’Ethnographie du Trocadéro, le musée de l’Homme (Blanckaert 2015, Conklin 2015, Loyau 2022) ou le Muséum national d’histoire naturelle (Hurel, Blanckaert 2022).

Dans ce paysage dense, la Revue d’histoire des sciences humaines souhaite élargir la perspective en examinant les musées des disciplines de l’anthropologie générale (ethnographie, préhistoire, anthropologie physique et linguistique) et des disciplines voisines (histoire de l’art, folklore, sociologie), y compris celles qui ne s’appuient que rarement sur les institutions muséales (géographie, psychologie), voire des institutions hybrides, sur le plan du fond disciplinaire et du projet muséologique, du type écomusées et autres centres d’interprétation (Debary 2002, Corrias, Le Foll, Möello 2020). À travers cet objet et sa prise en compte appréhendée par l’historiographie à hauteur des acteurs (Bergeron, Debary, Mairesse 2020) et en portant une attention soutenue aux pratiques et à leur matérialité scientifique et muséologique, les éditeurs de ce numéro appellent les contributeurs à se concentrer sur trois dossiers peu documentés.

1. Le nom comme étendard

Dans la suite des programmes lexicographiques de George Stocking ou Claude Blanckaert et du dossier « Nommer les savoirs » de la Revue d’histoire des sciences humaines (n° 37, 2020), les éditeurs de ce volume appellent de leurs vœux des travaux sur l’histoire des noms donnés aux musées de sciences humaines ainsi qu’aux espaces qu’ils hébergent et jusqu’aux objets de leurs collections. Les termes choisis au moment de la fondation des musées signalent en effet des arrière-plans que l’historiographie a parfois oubliés. On pense aux musées d’ethnographie et de géographie commerciale, mais aussi aux requalifications qui effacent le terme « ethnographie » (musée de l’Homme, en 1937, mais surtout la longue et récente série des « nouveaux » anciens musées (MQB, Humboldt Forum, Museum der fünf Kontinente, etc.). Le rôle des acteurs et actrices scientifiques, politiques ou militants, pourra y être examiné, ainsi que les modalités spécifiques de l’invention et de la circulation de terminologies nouvelles, les rythmes partagés ou au contraire particuliers de ces mouvements. On pourra aussi s’interroger sur les requalifications apparemment inoffensives (musées d’ethnographie ou musée ethnographique, collection de préhistoire ou collection préhistorique, Museum für Ethnografie ou Völkerkundemuseum…). De même, seront bienvenues les contributions portant sur les disciplines dont le nom n’apparaît jamais au frontispice des musées (sociologie, psychologie, linguistique, géographie) alors qu’elles y sont traitées. Les noms donnés aux différents espaces d’une institution (département, auditoire, salles, ailes, bibliothèque…) ont également connu des transformations régulières qui ont suscité réserves, oppositions et parfois indifférence. Ces noms, marqués par la stabilité même ou par des dénominations changeantes, contribuent, comme celui donné à l’institution, à façonner l’imaginaire symbolique, scientifique et politique associé aux musées et pourraient également faire l’objet d’enquêtes. On pourra aussi s’intéresser aux tutelles ministérielles qui chapeautent un musée et dont les choix orientent ses missions et son identité. Enfin, la question de la modification du nom d’un objet ou d’une catégorie d’items pour des motifs savants ou profanes occupe les musées depuis longtemps. Leur renouvellement actuel (von Oswald 2023) constitue l’occasion de s’interroger sur les usages, voire l’utilité du musée (lieu de documentation de pratiques savantes passées, lieu de production et de transmission de savoirs contemporains).

2. Répartir les collections

Comme l’ont montré, entre autres les travaux de Ventkateswaran (2020), les collections ne sont pas liées pour l’éternité aux institutions qui les hébergent pour un temps. Elles circulent parfois, d’un musée à l’autre, voire au sein de l’institution elle-même au fil des reconfigurations institutionnelles et disciplinaires, d’un pays à l’autre ou d’un type d’institution à un autre. C’est particulièrement vrai des disciplines des sciences humaines, parfois intimement, institutionnellement ou politiquement liées les unes ou autres (ethnographie, archéologie, préhistoire, folklore, linguistique, géographie, histoire de l’art, etc.). Elles peuvent aussi se rapporter à plusieurs systèmes de représentations et les objets qui s’y rattachent peuvent basculer d’un domaine à l’autre et même, comme le montrent différentes propositions sur le transfert de collections auprès des populations sources, reprendre hypothétiquement le cours de la vie de l’objet d’avant le musée. Les éditeurs porteront un intérêt particulier aux propositions portant sur la répartition des objets d’une même collection entre plusieurs musées, mais aussi sur la circulation de collections inter et intra-institutionnelle, tout comme sur la relation entre l’espace muséal, la collection et le discours savant (Mandressi, 2007). Inversement, le maintien de collections, de naturalia, de restes humains, de collections préhistoriques, égyptologiques, linguistiques dans un musée d’ethnographie constitue un contre-exemple instructif d’une pérennité d’agencements originels ne prenant pas en compte de nouvelles configurations scientifiques ou muséales. Les contributions s’appuyant sur l’examen de la matérialité des objets (palimpseste, para-objets, technologie de papier, etc.) seront privilégiées. À l’échelle institutionnelle, l’histoire de la répartition des collections au moment de la constitution de musées disciplinaires à partir de musées généralistes permet de retracer le mouvement et les relations des disciplines ou spécialisations. Hors du domaine des musées, le jeu entre centres d’artisanat traditionnel, développés dans les « nations nouvelles » des années 1960, et musées, ou entre institutions religieuses, communautaires et scientifiques donne également l’occasion de suivre la biographie des objets et des collections après le musée.

3. La muséologie comme science humaine

Dans le paysage des sciences humaines, la muséologie fait office de nouvelle entrante et l’historiographie a pu avoir tendance à examiner l’histoire des musées au prisme seul de la discipline qui les occupe. Des revues comme Museums Journal (1902) Museumskunde (1905), ou Mouseion (1927) signalent pourtant qu’elle connaît une profondeur historique et une diversité géographique importantes, qui ont pu influencer ces pratiques scientifiques particulières que sont les pratiques muséales. Elle présente également des variétés disciplinaires mal connues que les musées en sciences humaines contribuent à saisir. Partagée entre exigences spécifiquement disciplinaires, sciences de la scène, sciences de la conservation, droit, architecture (d’intérieur), programmes scientifiques et politiques, pédagogie, la muséologie constitue une discipline de fusion, qui a parfois été assimilée à un programme interdisciplinaire et qui mérite d’être mieux connu que les quelques enquêtes ponctuelles existantes (p. ex. Gorgus 2003, Berkowitz & Lightman 2017). La constitution de ces savoirs, leurs circulations transdisciplinaires et transnationales – on pense ici, entre autres, aux rôles de l’Institut de coopération intellectuelle de la Société des nations, à celui de l’International Council of Museums puis de l’International Committee for Museology –, l’identification de leurs acteurs (scientifiques, techniques, politiques, …), l’organisation de leurs modes de transmission, mais aussi les modalités de leurs faveurs, puis de leurs échecs, les caractéristiques de leur mise en œuvre pratique, les difficultés techniques ou didactiques qui sont rencontrées, la variété de leurs productions (exposition, expositions temporaires, catalogue, publications, …) ou encore l’invention des ancêtres opératoires pourront constituer autant de points d’entrée pour éclairer l’histoire des objets, des collections et des musées.

Consignes

  • Nous prions les personnes intéressées à soumettre un titre et un résumé de 500 mots, accompagnés d’une courte biographie, et de les adresser avant le 1er mars 2024 à arnaud.hurel@mnhn.fr et serge.reubi@mnhn.fr.
  • La revue publie des articles en anglais et en français, de 40 000 à 60 000 signes (espaces comprises).
  • Les consignes éditoriales sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/rhsh/1273

Bibliographie

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