La RFSIC lance un appel à contributions pour un dossier thématique consacré à « L’intersectionnalité au croisement des regards » sous la direction de Catherine Ghosn, Matina Magkou, Mohamed Sakho Jimbira, Emmanuelle Bruneel.
Présentation
Initialement développé dans les années 1990 par la juriste afro-américaine K. Crenshaw, le concept d’intersectionnalité a été forgé pour cerner les articulations entre les rapports sociaux de genre, de race et de classe en jeu dans les discriminations et amorcer une cartographie des marges (2005). Différentes disciplines abordent la problématique de l’intersectionnalité depuis plusieurs années (droit, sociologie, science politique, etc.). Elles s’accordent à dire que l’approche intersectionnelle prend en compte la complexité des identités et des inégalités sociales en refusant la hiérarchisation de diverses catégories comme le genre, l’âge, l’ethnicité, l’identité sexuelle, la classe, etc.
Cette thématique ayant déjà été traitée par d’autres disciplines, notre dossier vise à réunir des travaux relevant d’une approche essentiellement infocommunicationnelle. Ces travaux peuvent porter sur des approches empiriques, méthodologiques ou encore conceptuelles. Ils peuvent concerner les industries culturelles, l’analyse des images, l’approche sémiotique, l’analyse médiatique, discursive, etc.
Plusieurs axes sont ainsi proposés.
La recherche et les critiques sur l’intersectionnalité dans l’espace francophone
L’intersectionnalité permet d’appréhender « la réalité sociale des femmes et des hommes, ainsi que les dynamiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui s’y rattachent comme étant multiples et déterminées simultanément et de façon interactive par plusieurs axes d’organisation sociale significatifs (Stasiulis, 1999 : 345) » (Bilge 2009 : 71). Si de tels principes sont généralement partagés, la littérature existante sur le sujet met à jour des différences d’analyse, émet des critiques sur le concept et dévoile des angles morts qui mériteraient d’apparaître dans les études.
L’objectif de cet axe vise à appréhender des problématiques intersectionnelles selon un angle infocommunicationnel dans l’espace francophone, au niveau mondial (Canada, Maghreb, Afrique subsaharienne, Europe, etc.). Il se rattache à deux principales thématiques. Il s’agit tout d’abord de l’évolution des théories féministes et genrées (Julliard, 2014 ; Capitaine, 2018), avec notamment les mobilisations féministes (Blondeau, Allard, 2007 ; Jouët & alii, 2017) dans un contexte de représentation et de visibilisation particuliers des corps dans l’espace médiatique. Cet espace médiatique se décline à divers niveaux. Il peut s’agir d’Internet (Bertrand, 2018 ; Bruneel, 2020), de la télévision (Capitaine, 2018 ; Gay, 2020 ; Lapeyroux, 2020), des réseaux sociaux (Despontin, 2019 ; Djavadzadeh, 2020), ou d’autres espaces encore.Les contributions peuvent ainsi porter sur le rôle que les médias jouent dans la visibilisation ou l’invisibilisation des acteurs et des actrices concerné.es (Blandin, Noûs, 2020). L’objectif vise ensuite à étudier les débats, les controverses et les critiques émises sur l’intersectionnalité en sciences de l’information et de la communication (Cervulle, Julliard, 2018 ; Jaunait, 2020 ; Quemener, 2020) afin de dégager la diversité des approches et les différences qui les caractérisent.
Les pratiques médiatiques de résistance et d’empowerment et la réception par les groupes sociaux concernés
Cet axe vise deux objectifs. Le 1er interroge l’usage que font les minorités ethnoculturelles et religieuses d’internet et des « nouveaux » médias en contexte français et étranger. Les membres de ces groupes sont souvent l’objet de représentations altérisantes (Dalibert, 2014, 2020 ; Bruneel et Gomes Silva, 2017 ; Sakho Jimbira et Almeida, 2023 ; Scheibling, 2020, etc.). À cela, viennent s’ajouter des expériences de discrimination imprégnées de stéréotypes, qui entraînent des situations de vulnérabilité, surtout en contexte migratoire (Lépinard et al, 2021). Par ailleurs, ils font également l’épreuve de rapports de pouvoir au sein de leurs collectifs d’appartenance, très souvent sur la base de l’orientation sexuelle, du genre, de l’origine ethnique, religieuse, etc. Ces expériences sont généralement indicibles (Von Busekist, 2001 ; Breton et Lebreton, 2017) : la problématique de la transmission (et de la captation) de l’expérience vécue reste tout entière. Elle interroge le travail du chercheur qui aspire à aborder ce que Simmel qualifiait d’espace de réserve de l’individu cherchant à se préserver de ce qu’il a pu vivre comme une épreuve. Les propositions pourront s’intéresser plus en détail à ces phénomènes – jusqu’ici peu explorés dans le champ francophone des études médiatiques se réclamant d’une approche intersectionnelle – en documentant les pratiques numériques de résistances des groupes concernés.
Le second objectif propose d’étudier sous un prisme intersectionnel la manière dont les groupes « minoritaires » appréhendent les représentations sociales proposées par des dispositifs audiovisuels (séries, films, vidéos). Netflix, par exemple, utilise comme arguments marketing majeur la promotion de la diversité et de l’inclusion donnant ainsi lieu à des représentations d’identités de genre plurielles (Sex Education, Dear White People, etc.). Il peut s’agir de la représentation médiatique de la maternité (Lécossais, 2016), des minorités ethno-raciales (Cervulle, 2013), des publics des classes populaires (Brun, 2020), etc.
Intersectionnalité et mondes culturels
Cet axe propose d’étudier les discours et les initiatives portant sur des questions intersectionnelles et émanant des « mondes culturels » (Octobre et Patureau, 2020), qu’il s’agisse d’institutions (musées, centres d’art contemporain, conservatoires, etc.) ou d’autres espaces culturels dédiés à la création artistique. Les contributions peuvent s’intéresser aux actions menées contre les inégalités, aux formes que prend la lutte contre les discriminations racistes et sexistes, aux programmes « pro-diversité » ou encore aux modes de mobilisation de l’intersectionnalité dans ces institutions culturelles. On peut notamment se demander s’il s’agit de nouvelles politiques de lutte contre les discriminations développées par ces espaces de diffusion patrimoniale et culturelle et quels sont les cadrages proposés lors de la médiation, voire de la médiatisation, de ces actions (Delaporte & alii, 2022).
Cet axe propose d’interroger aussi la persistance des inégalités dans les industries culturelles et créatives, lui-même sous le prisme de l’intersectionnalité. Ces dernières années, le secteur a été témoin d’une prise de conscience croissante de l’interaction complexe entre les différentes formes d’identité et leur impact sur la créativité, la représentation et la production culturelle. C’est notamment au sein du secteur culturel qu’a émergé en 2017 le mouvement #metoo à l’origine d’une « call out culture » qui s’est développée parallèlement à la promotion d’interprétations intersectionnellesdes relations sociales de pouvoir (Bertrand, 2018). Comment l’intersectionnalité permet-elle de développer un cadre permettant de reconnaître l’interconnexion des multiples identités sociales et des systèmes d’oppression afin de comprendre et de critiquer la dynamique des inégalités au sein du secteur culturel et créatif ? Quelles approches pour appréhender les stratégies des initiatives militant pour la pleine réalisation de l’égalité dans le secteur ? Finalement, on peut aussi s’interroger sur l’intersectionnalité comme outil pour rendre visibles les dynamiques de pouvoir à travers des industries culturelles et créatives (Bouarour et van Appelghem, 2022 ; Barrière, 2022).
Ces axes ne sont pas exclusifs, et toute contribution qui viendrait nourrir la réflexion sur les problématiques intersectionnelles d’un point de vue communicationnel et critique sera examinée avec une grande attention. Les contributions proposeront des recherches théoriques ou empiriques abouties.
Calendrier prévisionnel
- 15 octobre 2024 : Envoi des résumés (3 000 signes maximum) à catherine.ghosn@iut-tlse3.fr , stamatina.magkou@univ-cotedazur.fr , mouhamedsakho@yahoo.fr , bruneelemmanuelle@gmail.com et rfsic@sfsic.org en copie :
- 30 novembre 2024 : réponse du comité scientifique
- 30 mars 2025 : Réception des articles complets (30 000-40 000 signes)
- 30 mai 2025 : Avis et recommandations aux auteurs
- 30 juillet 2025 : Envoi de la version définitive des articles à ghosn@iut-tlse3.fr, mmagkou@gmail.com, mouhamedsakho@yahoo.fr, bruneelemmanuelle@gmail.com et rfsic@sfsic.orgen copie
- Octobre 2025 : publication du numéro
Bibliographie
BARRIERE Louise, « ‘If you feel like a lady…” : médiations féministes des musiques DIY dans une scène globalisée”, 2022, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lorraine.
BERTRAND David, « L’essor du féminisme en ligne. Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague féministe ? », Réseaux, 2018/2-3 (no 208-209), 232-257. DOI : 10.3917/res.208.0229.
BILGE Sirma, « Théorisations féministes de l’intersectionnalité », Diogène, 2009/1 (n° 225), 70-88. DOI : 10.3917/dio.225.0070.
BLANDIN Claire & NOÛS Camille, « La femme invisible. Le silence médiatique autour de la grève Calor de 1979 menée par Georgette Vacher », Le Temps des médias, 2020, 34, 60-72. DOI : 10.3917/tdm.034.0060
BLONDEAU Olivier & ALLARD Laurence, Devenir Média. L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation, Amsterdam, Éditions Amsterdam, 2007, p.400
BOUAROUR Sabrina & VAN APPELGHEM Héloïse, « L’intersectionnalité dans le cinéma et son industrie : un outil pour rendre visibles les dynamiques de pouvoir », Mise au point 16 , 2022 URL :http://journals.openedition.org/map/6026 DOI : 10.4000/map.6026
BRETON Philippe & LE BRETON David, « 8. L’indicible », dans : P. Breton & D. Le Breton (Dir), Le silence et la parole contre les excès de la communication. Toulouse : Érès, 2009, 79-87
BRUN Josette (dir), De l’exclusion à la solidarité. Regards intersectionnels sur les médias. Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2020, 312p. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.27818
BRUNEEL Emmanuelle, « Iconographies médiaclastiques des corps noirs : des innovations visuelles au service d’alternatives représentationnelles », Études de communication, 2020, 54, 87-112. https://doi.org/10.4000/edc.10147
BRUNEEL Emmanuelle & GOMES SILVA Tauana Olivia, « Paroles de femmes noires. Circulations médiatiques et enjeux politiques », Réseaux, 2017/1 (n° 201), 59-85. DOI : 10.3917/res.201.0059.
CAPITAINE Victoire, La série télévisée : l’arme de choix du féminisme. Effeuillage, 2018, 7, 15-22. https://doi.org/10.3917/eff.007.0015
CERVULLE Maxime & JULLIARD Virginie, « Le genre des controverses : approches féministes et queer », Questions de communication, 2018, 33, 7-22. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.12076
CERVULLE Maxime, Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias Paris, Éd. Amsterdam, 2013.
CRENSHAW Kimberlé Williams, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre, 2005/2 (n° 39), 51-82. DOI : 10.3917/cdge.039.0051.
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DELAPORTE Chloé et al, « Pour une approche intersectionnelle en sociologie des arts et de la culture », Biens Symboliques, 2022, 10. https://doi.org/10.4000/bssg.1089
DESPONTIN LEFEVRE Irène, « Féminisme et genre en débat sur Youtube », Politiques de communication, 2019, 13, p.31-66. https://doi.org/10.3917/pdc.013.0031
DJAVADZADEH Keivan, « Les réseaux socionumériques ont-ils changé les règles du jeu pour les rappeuses ? »,Réseaux, 2020, 223, 157-187. https://doi.org/10.3917/res.223.0157
GAY Déborah, « La représentation de l’autre : Enquête sur les conditions de production de personnages racisés dans une websérie LGBT ». Réseaux, 2020, 223, 107-128. https://doi.org/10.3917/res.223.0107
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JOUËT Josiane, NIEYMEYER Katharina & PAVARD Bibia, « Faire des vagues : Les mobilisations féministes en ligne », Réseaux, 2017/ 1, no201, 21-57. https://doi.org/10.3917/res.201.0019
JULLIARD Virginie, « Un mode d’appropriation des gender studies par les sciences de l’information et de la communication : la sémiotique du genre », Questions de communication, 2014, 25, 223-243. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.9028
LAPEYROUX Natacha, « Socio-sémiotique des représentations genrées d’un dispositif médiatique particulier : les retransmissions de compétitions sportives », Questions de communication, 2020, 37, 275 – 296. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.23088
LECOSSAIS Sarah, « La fabrique des mères imaginaires dans les séries télévisées françaises (1992-2012) », Genre, sexualité & société, 2016 DOI : https://doi.org/10.4000/gss.3893
LÉPINARD Eleonore, SARRASIN Oriane, GIANETTONI Lavinia. Genre et islamophobie : discriminations, préjuges et représentations en Europe (Ser. Sociétés, espaces, temps). ENS Éditions, 2021, p.234
OCTOBRE Sylvie & PATUREAU Frédérique (sous la direction de), Sexe et genre des mondes culturels, Lyon, ens Éditions, 2020, p.265
QUEMENER Nelly, « Trouble dans l’intersectionnalité : enjeux définitionnels et méthodologiques », L’Observatoire, 2020/2 (N° 56), 42-44. DOI : 10.3917/lobs.056.004
SAKHO JIMBIRA Mohamed & ALMEIDA Dimitri, « Affirmer son identité à travers la mise en scène de la nourriture dans les médias socionumériques : l’exemple d’influenceuses culinaires musulmanes », Communiquer,37 DOI : 10.4000/communiquer.10710
SCHEIBLING Julie, « Les représentations des femmes maghrébines dans le cinéma français postcolonial », Hommes & Migrations, 2020, 1331, 220-224. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11972
TUA Ludovica, « Mise en scène de femmes en situation de handicap sur Instagram : entre appropriation et marchandisation du récit de soi », Études de communication, 2022, 58, 87-104. https://doi.org/10.4000/edc.14363
VON BUSEKIST Astrid, « L’indicible », Raisons politiques, 2021/2, 89-112. https://doi.org/10.3917/rai.002.0089
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