Communiquer. Revue de communication sociale et publique

La musique « live » à l’ère des plateformes et de la captation numérique

Réponse attendue pour le 01/12/2020

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Au lendemain de la crise du disque, il était de bon ton de souligner le virage effectué par les industries musicales vers le concert comme source de revenu principal. Cependant, alors qu’une profusion d’analyses traitent les façons dont le numérique a pu affecter les pratiques de production, de circulation et de consommation d’enregistrements musicaux, peu ont fait de la musique vivante leur objet d’intérêt principal. Partant de la proposition de Paul Théberge (2015) selon laquelle la numérisation en musique n’est pas une révolution soudaine mais bien un long processus impliquant des changements économiques, sociaux, technologiques et culturels qui sont à l’œuvre depuis au moins un siècle, ce dossier thématique de la revue Communiquer a pour objectif de combler cette lacune quant au traitement de la musique « live » de concert avec le numérique. Il cherchera ainsi à interroger les multiples facettes de la musique vivante à l’ère du numérique (Baxter-Moore et Kitts, 2016).

Hors du champ des études sur les musiques populaires ou de celles sur le « spectacle vivant » (dans la tradition française des « arts du spectacle », ou anglophone des « performing arts ») où les recherches progressent depuis quelques années, la musique « live » demeure un objet quasiment absent de la recherche dans le domaine des « industries de la culture et de la communication » ou des études médiatiques. Mis à part les travaux de quelques chercheurs, la musique vivante ne s’y retrouve souvent qu’en note de bas de page. Pourtant, la musique enregistrée, considérée comme un bien reproductible associé au « modèle éditorial » de l’économie politique de la communication (Miège, 2000), avant d’être intégrée via le modèle du streaming à la question des plateformes, y est pour sa part bien implantée. La recherche en communication montre ainsi les profondes mutations de ce qu’est la musique enregistrée, des pratiques y étant associées et de ses infrastructures à l’ère du numérique. Mais qu’en est-il du spectacle vivant ? Quels en sont les nouvelles pratiques, les transformations et les enjeux propres ? Comment tracer les pourtours de la musique « live » à l’aune du numérique ?

Axe 1 – Économie politique de la musique vivante

L’industrialisation du spectacle a opéré un tournant significatif avec la montée de l’internet et la crise du disque dès l’an 2000. Les concerts se sont vus intégrés à « l’architecture de valeurs » des industries alors qu’avec la systématisation des contrats 360°, le centre de la « génération de valeur » s’est déplacé de la musique enregistrée vers l’artiste, ses enregistrements mais aussi ses concerts, son image et tous les droits générés (Guibert et Sagot-Duvauroux, 2013). Dans ce contexte, à l’opposition de longue date entre le spectacle vivant et l’industrie culturelle répond son association à l’économie numérique depuis les années 2010 (dataification des activités des consommateurs, sa plateformisation via les réseaux sociaux, et les abonnements streaming). Ainsi, la numérisation de la billetterie et l’achat de places de concert en ligne rendent possibles la traçabilité des usagers de concerts et les recommandations sur leur consommation musicale. Les plateformes de vente de billets apparaissent alors comme un nouvel échelon crucial pour suivre les comportements des consommatrices et consommateurs. Comment le numérique affecte-t-il les stratégies des entreprises des industries de la musique en concert ? Et qu’en est-il des comportements de consommation ? À ces questions s’ajoutent celles sur les acteurs en présence et l’écologie du milieu de la musique « live ». Quels sont les acteurs en présence ? Proviennent-ils du monde des promoteurs de spectacle ou des nouveaux acteurs du numérique ? Selon quels modèles économiques se développent-ils ?

Axe 2 – Pratiques des fans et expérience de la musique vivante

Alors que le concert a toujours été marqué par des pratiques de fans variées, fortement associées à des genres musicaux particuliers, le numérique ouvre de nouvelles configurations. De l’usage du téléphone intelligent (appareil photo, réseaux sociaux, applications diverses) marquant la présence à un concert, aux pratiques de livestreaming sauvages, en passant par celles de communautés en ligne documentant dans le détail les performances d’artistes tout au long d’une tournée – titres joués, numéros dansés, etc. – les technologies numériques mobilisées par les fans ouvrent à de nouvelles pratiques et des formes singulières d’engagement (Bennett, 2014 ; Fox, 2015). Il permet de questionner non seulement les pratiques contemporaines, mais aussi ce que signifie assister à un concert à l’ère numérique. Avec les transformations de la musique vivante, le recours marqué des industries musicales aux festivals ainsi qu’aux tournées dans les grandes salles et les arénas a donné aux écrans géants et technologies sonores immersives une place centrale dans l’expérience des fans (Leveratto et al., 2014). Pensons à la multiplication des projections vidéo toujours plus grandes ainsi qu’aux recours à des technologies sonores individualisées permettant une expérience « live » médiatisée. Pensons également au recours à des technologies permettant aux fans d’interagir et de participer de manières inusitées en concert : diffusion des publications provenant des réseaux socionumériques, recours aux téléphones intelligents pour contribuer à l’événement en direct, etc. Comment le numérique participe-t-il de l’expérience des fans en concert ? Quelles sont les formes de la participation qu’il y autorise ?

Axe 3 – La production et la création à l’ère numérique

Si les méthodes d’enregistrement sonore ont été profondément transformées par l’arrivée du numérique en studio dès les années 1970, les modes de captation en concert ont également été grandement affectés. Les consoles numériques, l’utilisation d’instruments MIDI, l’arrivée des ordinateurs sur scène, le traitement informatisé du son, pour ne nommer que quelques exemples, ont bouleversé le travail tant sur la scène qu’à l’arrière de celle-ci. Si certaines de ces technologies sont particulièrement spectaculaires, d’autres, plus discrètes, ont également un rôle à jouer : pensons aux applications de gestion de projets, au rôle des médias socionumériques aux fins de promotion de concerts (Creton, 2018), ou encore, à la délocalisation de certaines tâches autrefois menées près de la scène. Comment ces transformations ont-elles affecté la production de la musique vivante (Holt, 2018) ? La démocratisation des technologies numériques a également offert aux artistes et équipes sur scène des possibilités nouvelles du point de vue de la création, allant des projections vidéo aux créations holographiques (Harris, 2013), en passant par les éclairages robotisés et le recours à l’intelligence artificielle. Dans la foulée, des formats ont trouvé une niche confortable en contexte numérique : nous pouvons penser au live looping (Richardson, 2009) qui a pris un envol certain au cours des dernières années tant sur les réseaux socionumériques que sur scène ou dans les cafés, ainsi qu’aux différentes déclinaisons de musique électronique. Quelles sont les pratiques de la musique « live » à l’ère numérique ? Comment les artistes et artisans mobilisent les technologies ? Quelles nouvelles formes, nouveaux métiers et nouvelles esthétiques le contexte numérique favorise-t-il ? En quoi le spectacle et les frontières de la création et de la production sont-ils questionnés par ces potentialités techniques de plus en plus nombreuses ? Plus généralement, que signifie la performance « live » aujourd’hui ?

Axe 4 – Circulation

Avec la multiplication des plateformes de diffusion, la circulation de la musique vivante en contexte numérique s’accélère (Guibert, 2020). Les images, les extraits et les discours sur les concerts font aujourd’hui partie de notre paysage médiatique. Certaines formes circulent peut-être plus que d’autres, tandis que la captation affecte la configuration de la musique en termes de cadrage ou d’élaboration de l’image, mais également de répertoire, de comportement ou même de choix d’artistes. La diffusion des concerts du MET dans les cinémas interroge même les frontières du populaire en musique (Heyer, 2008). Par exemple, quels types de concerts sont filmés, dans quelle mesure le direct compte-t-il ? La technique journalistique du direct (Pignard-Cheynel et Sebbah, 2017) est-elle singulière lorsque le sujet concerne la couverture de spectacles musicaux ? Les concerts sont-ils regardés en intégralité ou par extraits, et sur quels types de supports ? La circulation des concerts de musique répond également d’élans nostalgiques. Que ce soient des archives de concerts qui refont surfaces sur des sites de partage tels que YouTube ou Viméo après quelques décennies passées dans des collections privées, ou encore des artéfacts aujourd’hui numérisés – billets, photographies, affiches, programmes, etc. –, cette circulation d’objets, d’images et de performances du passé questionne ce dont il vaut la peine de se souvenir aujourd’hui, mais aussi soulève des enjeux de patrimonialisation (Baker, 2015). Quels genres de musique vivante, quels artistes ou quelles époques circulent (Nowak, 2019) ? Lesquels sont oubliés ou demeurent dans l’ombre ? Au-delà de l’audiovisuel, les formes imprimées du spectacle circulent également de manière inusitée en contexte numérique : les médias musicaux – autrefois principalement écrit – recourent de plus en plus à la production de capsules où des artistes performent dans des contextes inusités ; les tracts et affiches de concerts faisant partie du paysage urbain ont laissé place à des formats numériques ; les critiques de spectacle sont aujourd’hui disponibles avant même la présentation des événements, etc. Comment circulent les discours et représentations de la musique « live » en contexte numérique ?

Ces quatre axes ne sont pas restrictifs. Toute proposition d’article qui s’appuie sur des travaux empiriques et qui viendrait enrichir la compréhension de l’articulation de la musique « live » en contexte numérique sera bienvenue. Y compris celle qui pourrait traiter des événements des derniers mois associés à la pandémie de la COVID 19 et des impacts sur le tournant numérique des concerts aussi bien en termes de pratiques que de représentations.

Dates importantes (calendrier prévisionnel)

Soumission des articles : 1er décembre 2020

Retour aux auteurs : 1er mars 2021

Renvoi des révisions par les auteurs : 1er mai 2021

Parution : 1er trimestre 2022

Directives

Les articles complets seront soumis sur la plateforme de Communiquer  : https://edition.uqam.ca/index.php/communiquer/

Le processus et les exigences de soumission sont indiqués à l’adresse : http://communiquer.revues.org/1275

Les consignes de mise en forme d’un article sont consultables sur la page : http://communiquer.revues.org/1276

Afin d’éviter les conflits d’intérêts potentiels, les personnes qui soumettent des manuscrits peuvent, si elles le souhaitent, transmettre à la revue une liste des personnes évaluatrices ou responsables de manuscrit qui pourraient occasionner de tels conflits.

Les manuscrits soumis feront l’objet d’une évaluation en « double aveugle » par les membres du comité scientifique.

Contacts

Gérôme Guibert, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
gerome.guibert@sorbonne-nouvelle.fr

Martin Lussier, Université du Québec à Montréal
lussier.martin@uqam.ca

Comité de rédaction de Communiquer

Références citées

Baker, S. (dir.) (2015). Preserving Popular Music Heritage : Do-it-yourself, Do-it-together. New York : Routledge

Baxter-Moore, N. et Kitts, T. M. (2016) The Live Concert Experience : An Introduction. Rock Music Studies, 3(1), 1-4.

Bennett, L. (2014). Texting and tweeting at live music concerts : flow, fandom and connecting with other audiences through mobile phone technology. Dans K. Burland et S. Pitts (dir.). Coughing and Clapping : Investigating Audience Experience (pp. 89-100). Farnham : Ashgate.

Creton, C. (2018). To pay or not to pay : les musiciens à notoriété locale face à la publicité ciblée sur Facebook. Les Enjeux de l’information et de la communication, 19(2),15-28.

Fox, N. (2015). We Made This Together : how Awesome ; I Fuckin’ Shot That ! Foresaw Changes in the Live Concert Experience brought about by Social Media and Digital Technology. Dans R. Edgar, K. Fairclough-Isaacs, B. Halligan et N. Spelman (dir.), The Arena Concert : Music, Media and Mass Entertainment(pp. 207-218). London : Bloomsbury.

Frith, S. (2007). La musique live, ça compte… Réseaux, 25(141-142), 179-201.

Guibert, G. (2020), « Le tournant numérique du spectacle vivant. Le cas des festivals de musiques actuelles ». Hermès, 86.

Guibert, G. et Sagot-Duvauroux, D. (2013). Musiques actuelles, ça part en live : mutations économiques d’une filière culturelle. Paris : IRMA & Ministère de la culture et de la communication.

Harris M. (2013). The Hologram of Tupac at Coachella and saints : the value of relics for devotees. Celebrity Studies 4(2), 238-240.

Heyer, P. (2008). Live from the Met : Digital Broadcast Cinema, Medium Theory, and Opera for the Masses. Canadian Journal of Communication, 33, 591-604

Hirsch, P. (1972). Processing Fads and Fashions : An Organization-Set Analysis of Cultural Industry Systems. American Journal of Sociology, 77(4), 639-659.

Holt, F. (2018). Les vidéos de festivals de musique : une approche « cérémonielle » de la musique en contexte médiatique. Volume !, 14(2), 211-225.

Leveratto, J.-M., Pourquier-Jacquin, S. et Roth, R. (2014). Voir et se voir : le rôle des écrans dans les festivals de musique amplifiée. Culture & Musées, 24, 23-41.

Miège, B. (2000). Les Industries du contenu face à l’ordre Informationnel. Grenoble : PUG.

Nowak, R. (2019). Questioning the Future of Popular Music Heritage in the Age of Platform Capitalism. Dans L. Istvandity, S. Baker et Z. Cantillon (dir.), Remembering Popular Music’s Past : Memory-Heritage-History (pp. 145-158). New York : Anthem Press.

Pignard-Cheynel N. et Sebbah B. (2017). Le journalisme à l’épreuve du live-blogging. Dans J.-B. Legrave et R. Rieffel (dir.), Le web dans les rédactions de presse écrite. Processus, appropriations, résistances (pp. 179-204). Paris : L’Harmattan.

Richardson, J. (2009). Televised Live Performance, Looping Technology and the ‘Nu Folk’ : KT Tunstall on Later … with Jools Holland. Dans D. B. Scott (dir.), The Ashgate Research Companion to Popular Musicology (pp. 85-103), Farnham : Ashgate.

Théberge, P. (2015). Digitalization. Dans J. Shepherd et K. Devine (dir.), The Routledge Reader on the Sociology of Music (pp. 329-338). Londres & New York : Routledge.

Comité de lecture (prévisionnel)

Magali Bigey, Maître de conférences, Université de Franche-Comté

Sandria Bouliane, Professeure adjointe, Université Laval

Philippe Bouquillion, Professeur, Université Paris 13

Philippe Chantepie, Inspecteur général des Affaires culturelles à l’Inspection générale du ministère de la Culture et de la Communication, Shenzhen University

Owen Chapman, Professeur, Université Concordia

Antoine Gaudin, Maître de conférences, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

Line Grenier, Professeure titulaire, Université de Montréal

Céline Morin, Maître de conférence, Université Paris 10 – Nanterre

Jonathan Roberge, Professeur, Institut national de la recherche scientifique

Will Straw, Professeur, Université McGill

Jada Watson, Professeure, Université d’Ottawa