Politiques de communication

La digitalisation des répertoires d’action électorale

Réponse attendue pour le 01/12/2022

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La littérature en sciences sociales a interrogé ces processus depuis deux décennies. C’est en effet en tant que technique de campagne que les appropriations des technologies numériques ont le plus souvent été étudiées, en France et à l’international (Kreiss, 2012 et 2016 ; Lilleker et alii, 2019 ; Théviot, 2014). Au tournant des années 2000, la littérature spécialisée de langue anglaise s’est fortement clivée autour d’une question (Margolis et Resnick, 2000 ; Gibson et McAllister, 2015) : l’investissement des espaces numériques peut-il conférer des ressources supplémentaires à des formations politiques ou des candidats auparavant trop minoritaires pour accéder à des positions électives, ainsi qu’aux médias de masse ? Une première hypothèse a été initialement envisagée sous l’angle d’une potentielle « égalisation » entre concurrents.
L’égalisation désigne ici la capacité pour des candidats et partis minoritaires à atteindre les citoyens grâce à un usage intensif du numérique, jusqu’à concurrencer les candidats et partis dominants (Newell, 2001 ; Tkach-Kawasaki, 2003 ; Small, 2008). Les études de contenu ont ensuite conduit à infirmer et nuancer cette hypothèse, en montrant que la « normalisation », c’est-à-dire la réplication des inégalités hors ligne, domine en ligne (Ward et Vedel, 2006). « L’égalisation » ne se vérifie que dans certains cas particuliers (Strandberg, 2008).

Depuis, l’organisation des relations entre candidats, partis et soutiens sur et avec les espaces numériques a beaucoup évolué et les supports se sont démultipliés, particulièrement avec l’expansion des réseaux sociaux et plateformes vidéo (Douyère et Ricaud, 2019). De nouvelles recherches se sont focalisées dans les années 2010 sur la professionnalisation des campagnes numériques (Howard, 2006 ; Kreiss, 2012 ; Blanchard, 2018 et 2019). Le recours à des personnels spécialisés – conseillers en communication numérique, chargés de communication web, community managers, data scientists (Gadéa et Olivesi, 2016 ; Théviot et Treille, 2019) – est principalement documenté aux États-Unis (Howard, 2006 ; Kreiss, 2012 et 2016) et en France concernant les campagnes présidentielles (Blanchard, 2018 et 2019 ; Théviot, 2014 et 2019). En revanche, la question de la relation entre ces personnels « professionnalisés » et les partis politiques est peu interrogée, particulièrement du point de vue des ressources politiques dont disposent ces personnels (Blanchard et Rojinsky, 2020 ; Neihouser, 2020) et de leur position organisationnelle par rapport aux services « routiniers » des partis.

En complément à ces analyses de la professionnalisation de la mise en scène et de la mobilisation numériques, une tension portant sur le degré d’initiative des citoyens engagés sur les espaces numériques s’exprime dans la littérature internationale. D’un côté, des recherches défendent l’idée selon laquelle faire une campagne numérique consiste à perfectionner des techniques marketing de ciblage préexistantes (Plasser et Plasser, 2002 ; Farrell, 2006 ; Stromer-Galley, 2014 ; Kreiss, 2016). D’un autre côté, des travaux estiment au contraire que les campagnes en ligne sont pour partie transférées des organisations partisanes vers les citoyens engagés (Gibson, 2015). Rachel Gibson évoque ainsi des actions de campagne « initiées par les citoyens » dans quatre domaines : la création de communautés à travers la constitution de groupes en ligne (community building) ; la génération de ressources (financières, etc.) (resource generation) ; l’engagement dans des actions de terrain (external mobilization of voters) via la mise à disposition d’argumentaires et de bases de données de contacts ; et la production et diffusion de messages de campagne (message production, message distribution, message creation) (Gibson, 2015, 187).
Ces modes du « faire campagne » ne sont certes pas inédits, mais n’étaient pas précédemment proposés à aussi grande échelle. Par ailleurs, les dispositifs numériques de campagne se caractérisent par un amenuisement de la différenciation entre membres et non-membres des partis, la contribution au travail de mobilisation étant proposée indifféremment à l’ensemble des internautes. Le travail de mobilisation apparaît ainsi externalisé à une nouvelle armée de volontaires internautes. Le citizen-initiated campaigning s’oppose dès lors au party-driven campaigningpré-internet, où les activités de mobilisation et de communication étaient principalement assurées par des membres formels et des salariés des partis (Gibson, 2015, 187).

En dépit de cette indifférenciation (apparente) entre membres et non-membres des partis, et parce que la mobilisation électorale a été portée historiquement par des organisations partisanes, les recherches sur les appropriations des technologies numériques en campagne électorale ont parallèlement alimenté des études, moins nombreuses, sur le militantisme partisan en contexte numérique (Mabi et Théviot, 2014 ; Théviot, 2014). Il s’avère ainsi que celui-ci se déplace et se renouvelle avec les activités numériques, surtout lors des campagnes électorales (Barboni et Treille, 2010 ; Karpf, 201 ; Théviot, 2014). Diverses enquêtes signalent que les adhérents engagés en ligne sont plus souvent des hommes, généralement plus jeunes et plus diplômés que l’ensemble des adhérents des partis. Ces personnes privilégient internet pour s’informer et participer, prennent moins part aux actions de terrain et aux réunions locales (Ward, Lusoli et Gibson, 2002 ; Heidar, Kosiara-Pedersen et Saglie, 2012). De telles pratiques semblent correspondre à ce que Jacques Ion a qualifié « d’engagement distancié », en formalisant une rupture historique avec « l’engagement affilié » qui caractérisait les individus fidèles sur la durée à une organisation (Ion, 1997 et 2012).
Cependant, les recherches se focalisent en France sur les pratiques numériques des personnes les plus investies dans les partis (Greffet, 2011 ; Talpin et Belkacem, 2014 ; Lefebvre, 2016). De fait, ce que font les personnes qui s’engagent en ligne de façon éventuellement ponctuelle pour un candidat ou un parti est assez mal connu, surtout lorsqu’il s’agit de personnes plus distantes de l’organisation, dites « sympathisantes », dont les activités retiennent peu l’attention des chercheurs. En outre, la vive controverse lancée par l’essayiste Evgueny Morozov (Morozov, 2011) sur le slacktivism ou « engagement mou » a contribué à dévaluer les activités numériques d’engagement par rapport à l’action de terrain, et à les considérer comme des leurres qui donnent bonne conscience en créant l’illusion d’agir alors qu’ils n’ont aucun impact réel sur la mobilisation ou les résultats d’une élection

Les contributions à ce dossier de Politiques de communication pourront s’inscrire dans un des axes suivants :

1. Les ressources et les acteurs de la digitalisation des répertoires d’action électorale

Si certaines recherches se focalisent sur la professionnalisation des campagnes en ligne et l’apparition conséquente de nouveaux acteurs (data scientists, etc.), les ressources mises à disposition de ces nouveaux personnels afin de digitaliser les répertoires d’action électorale restent encore peu étudiées : utilisent-ils les mêmes logiciels, les mêmes systèmes d’information ? promeuvent-ils des « standards » de digitalisation ? En outre, la question se pose de comprendre comment se répartissent les rôles à l’intérieur des équipes de campagne entre « professionnels » (y compris des entreprises extérieures) et « amateurs », mais aussi entre organisation et communautés numériques sympathisantes, ou encore entre acteurs situés dans l’espace de la compétition électorale et acteurs situés géographiquement à l’extérieur (notamment à l’étranger).

2. La digitalisation des répertoires d’action électorale en pratique

C’est ainsi la question du renouvellement des supports et des pratiques qui est posée. En quoi de nouveaux supports, tels que les réseaux sociaux, sont-ils investis et avec quels objectifs ? Dans quelle mesure les répertoires d’action électorale sont-ils la continuation par d’autres moyens de répertoires d’action plus traditionnels ? Dans quelle mesure observe-t-on des ruptures, en s’appuyant par exemple sur des techniques de « propagande computationnelle » ou sur des actions numériques collectives telles que l’astroturfing, c’est-à-dire la création artificielle de ce qui apparaît comme un mouvement de masse et spontané en ligne ? Comment ces techniques et savoir-faire s’intègrent-ils à des répertoires de campagne plus large, notamment hors ligne ? Nous souhaitons ici remettre sur le métier la notion d’engagement politique : le fait de liker, commenter, partager peut-il désormais être considéré comme une action militante ? Faut-il envisager une « robotisation » de l’action militante ou même une agentivité renouvelée de l’engagement politique, désormais équipé et assisté par l’intelligence artificielle ?

3. Les conséquences de la digitalisation des répertoires d’action électorale

Dans ce troisième axe, ce sont les conséquences de la digitalisation des répertoires d’action électorale qui seront recherchées – tant du point de vue de l’organisation et des rapports de force au sein des partis et des équipes de campagne, qu’en termes d’activités et de contenus produits, ou encore d’évolution de l’intérêt et de la mobilisation des citoyens lors des campagnes électorales. On pourra ainsi rediscuter avec profit les travaux sur les effets politiques de la réception des campagnes électorales, à partir de la circulation de contenus numériques notamment. Les conséquences financières ou juridiques, relatives par exemple à l’acquisition de logiciels spécialisés ou au respect des données personnelles, pourront aussi être abordées.

Des contributions sont attendues concernant les campagnes présidentielle et législatives françaises de 2022, mais des analyses d’autres contextes nationaux ou comparatives seront également accueillies avec intérêt.

Date limite de remise des textes, de 60 000 signes espaces compris : 1er décembre 2022

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