Ce numéro spécial de la revue Brazilian Journalism Research vise à questionner et à documenter les liens existant entre entrepreneuriat et journalisme, dans le cadre de la réorganisation des pratiques journalistiques et de ses modèles socioéconomiques. La place grandissante de l’entrepreneuriat, de ses valeurs et de ses pratiques dans le milieu journalistique se fait dans un contexte de changements interdépendants du journalisme et des médias sur les plans économique, technologique, social, réglementaire ou encore culturel et idéologique. Ceux-ci se traduisent notamment par l’apparition de nouveaux acteurs numériques et par la réorganisation des paysages médiatiques nationaux et internationaux mais aussi par la redéfinition des pratiques journalistiques existantes, des structures organisationnelles et des modèles de production, de diffusion et de financement du journalisme. Enfin, le journalisme entrepreneurial réinterroge les rapports aux acteurs d’autres domaines d’activité et aux publics (Hang et Van Weezel, 2005 ; Mitchelstein et Boczkowski, 2009 ; Lee-Wright et al., 2012 ; Mercier et Pignard-Cheynel, 2014 ; Carbasse, 2015 ; Grohmann et al., 2019)
Dans le cadre d’un mouvement de fond qui dépasse le cadre du journalisme (Neff et al., 2005), l’ensemble de ces transformations ont créé un cadre favorable pour l’émergence de projets éditoriaux en marge des acteurs établis des médias. Ceux-ci se déploient au sein de petites structures où des journalistes sont confrontés directement à des exigences et à une rationalité économique auxquelles ils échappaient jusqu’alors, du moins en théorie. Ils y font également l’apprentissage d’un ensemble de techniques, d’habiletés et de compétences situées en dehors du cadre de la pratique traditionnelle du métier. Qu’ils revendiquent ouvertement le statut de “journalisme entrepreneurial” (Briggs, 2011) – à distinguer (partiellement) d’autres formes d’emploi non-salarié tel que les journalistes freelance (De Cock et De Smaele, 2016) – ou bien qu’ils reposent sur la mise en œuvre d’un certain nombre de compétences et de qualités généralement associées à l’entrepreneuriat sans s’en revendiquer ouvertement, ces projets journalistiques reposent sur un certain niveau de désindustrialisation de la pratique journalistique et sur la prise d’initiatives visant à la redéfinir au sein de structures flexibles, en proposant de nouvelles manières de faire et de financer l’activité journalistique.
Le déploiement des logiques, valeurs et compétences issues de l’entrepreneuriat au sein du milieu journalistique a des implications importantes pour les groupes socioprofessionnels, leurs méta-discours, leur redéfinition des conditions d’accès au métier. La porosité des frontières entre le journalisme et d’autres secteurs d’activité va jusqu’à questionner les déterminants de leurs cultures professionnelles, ainsi que certains de leurs paradigmes (Lewis et Usher, 2013). En parallèle, ces changements participent et accompagnent une individualisation croissante des carrières des journalistes, amenant les journalistes, par le biais de différentes formes d’auto-emploi allant jusqu’à l’injonction à devenir sa “propre marque”, à assumer par et pour eux-mêmes la responsabilité de leur réussite professionnelle, aussi bien sur le plan économique que personnel (Standaert, 2016). À ce jour, la définition même du journalisme entrepreneurial, terme le plus souvent mobilisé dans la littérature, demeure inaboutie en dépit d’un intérêt croissant pour cet objet au cours des quinze dernières années, ainsi que d’une volonté d’étudier cet objet pour lui-même, et non en référence à d’autres formes d’entrepreneuriat dans le secteur des industries culturelles et créatives (Rafter, 2019). Les efforts de définition, “vague enough to result in a variety of constructed meanings” (Vos et Singer, 2018), insistent tour à tour sur les interactions entre motivations économiques et éditoriales, sur la sensibilité aux innovations technologiques, ou encore sur la dimension créatrice de ce type de journalisme, détaché des cadres et des contraintes des médias traditionnels.
Ces enjeux ont été abordés de manière parcellaire et fragmentée dans la littérature des études en journalisme pour ce qui concerne les modèles possibles de ce type de pratique, ainsi que des ses conditions de fonctionnement et de réussite à travers des études de cas locales, nationales ou internationales (Damian-Gaillard et al., 2009 ; Briggs, 2011 ; Meyer, 2011 ; Dvorkin, 2012 ; Berkey-Gerard, 2012 ; Brouwers, 2017 ; Salles, 2019), la recherche de modèles d’affaires efficaces pour ces structures au sein de marchés occidentaux (Bruno et Nielsen, 2012 ; Sirkkunen et Cook, 2012 ; Naldi et Picard, 2012 ; Charon, 2015 ; Robinson et al., 2015 ; Nicholls et al., 2016), le degré de compatibilité et les manières de présenter, d’arrimer et de redéfinir les identités et le discours méta journalistique en lien avec l’entrepreneuriat et les formes de travail atypiques (Benedetti et al., 2015 ; Carbasse, 2015 ; Carlson et Usher, 2016 ; Fulton, 2016 ; Porlezza et Splendore, 2016 ; Siapera et Papadopoulou, 2016 ; Vos et Singer, 2016 ; Mathisen, 2018 ; Liang, 2020 ; Nel et al., 2020), la manière dont l’entrepreneuriat, la précarité du travail et les trajectoires de carrière évoluent conjointement (Cohen, 2015 ; Standaert, 2016 ; Anciaux et al., 2018 ; Leung et Cossu, 2019), ou encore la place accordée à l’entrepreneuriat au sein de la formation journalistique et par les étudiant.e.s (Baines et Kennedy, 2010 ; Hunter et Nel, 2011 ; Ferrier, 2013 ; Chimbel, 2016 ; Rafter, 2016 ; Broersma et Singer, 2020 ; Buschow et Laugemann, 2020 ; Caplan et al., 2020).
Afin de mettre à jour et de synthétiser les connaissances disponibles à ce sujet et de combler certains angles morts de la recherche existante, les contributions à ce dossier pourraient aborder plusieurs enjeux, parmi lesquels :
- Quel(s) rôle(s) ont pu jouer le déploiement du numérique et des plateformes dans la structuration des liens entre journalisme et entrepreneuriat ?
- Comment les contextes sociaux, politiques ou réglementaires nationaux ont-ils favorisé ou limité le rapprochement entre journalisme et entrepreneuriat ?
- Quelles sont les nouvelles manières de mettre le journalisme en marché dans ce contexte et ont-elles mené à l’émergence de modèles capables de produire, distribuer et financer le journalisme ?
- En quoi l’entrepreneuriat participe-t-il à l’innovation dans les formats journalistiques ou à la redéfinition des rôles journalistiques ?
- Comment se manifestent les qualités et les compétences entrepreneuriales dans le travail quotidien, dans les pratiques professionnelles ou encore la gestion de carrière des journalistes ?
- Comment a pu évoluer, être redéfini et intégré le concept de “journaliste-entrepreneur” au cours des dix dernières années ?
- Comment les journalistes, les audiences, les acteurs publics ou bien les groupes socioprofessionnels définissent et façonnent notre compréhension du journalisme entrepreneurial ?
- Comment l’entrepreneuriat est-il construit, accueilli ou intégré au sein des métadiscours des différents groupes journalistiques locaux, nationaux ou internationaux ?
- Quels enjeux surviennent entre les dimensions journalistiques et entrepreneuriales dans ce contexte et comment ceux-ci sont surmontés par les acteurs ?
- Dans quelle mesure et comment les compétences entrepreneuriales sont-elles incluses dans les formations journalistiques existantes et quels seraient les changements souhaitables ?
- Quels enjeux méthodologiques se posent dans l’étude des projets journalistiques entrepreneuriaux ?
- Quels impacts ont pu avoir les changements systémiques radicaux des dernières années sur les modes de fonctionnement et de financement des structures journalistiques entrepreneuriales ? Quelles ont pu être les adaptations de ces acteurs pour faire face à ces changements imprévus ?
En misant sur la complémentarité entre les contributions théoriques et empiriques, les études de cas locales, nationales ou comparatives, les approches critiques ou encore les recherches-intervention, l’objectif de ce numéro est d’offrir aux lectrices et lecteurs un débat interdisciplinaire constructif, méthodologiquement et théoriquement riche afin d’approfondir la connaissance des liens dynamiques existant entre ces questions.
Les articles doivent compter entre 40 000 et 55 000 caractères (espaces et références inclus) et sont attendus le 30 novembre 2021.
Le BJR accepte les manuscrits en portugais, espagnol, français et anglais. Les autrices, auteurs qui soumettront un manuscrit en portugais, espagnol en ou français s’engagent à fournir la traduction anglaise un mois après réception de la notice d’acceptation pour publication.
Les manuscrits doivent être soumis par le biais de la plateforme électronique de la revue : http://bjr.sbpjor.org.br
- Pour toutes questions, communiquez avec bjreditor@gmail.com et renaud.carbasse@com.ulaval.ca
- Instructions pour les auteurs : https://bjr.sbpjor.org.br/bjr/about/editorialPolicies#custom-0
- Date de soumission des manuscrits : 30 novembre 2021
- Notice d’acceptation pour publication : 30 avril 2022
- Date de publication : 30 août 2022
Mots-clés
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- Entrepreunariat
- Journalisme
- Numérique