Communiquer – Revue de communication sociale et publique

Crises sanitaires et communication : enjeux sociétaux et organisationnels

Réponse attendue pour le 05/07/2020

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La santé est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de bien-être physique, mental et social complet et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946). Cette définition souligne les interactions de toute une série d’éléments autres que physiologiques pour concourir à un « état de bien-être physique, mental et social ». La complexité se situe alors au niveau de ces interactions, et ce, tant au niveau individuel que collectif, au niveau des organisations que de la société tout entière, etc. Ainsi, la santé n’est plus seulement une affaire individuelle mais aussi une préoccupation collective. Ce rapport de force individuel/collectif de la santé est particulièrement manifeste à l’intersection de deux approches : celle de l’espace public (Contandriopoulos, Denis, et Langley, 2004 ; Habermas, 1962 ; Miège, 2010 ; Romeyer, 2011) et celle de la sphère organisationnelle (Apker, 2012 ; Bonneville, 2003 ; Carré et Lacroix, 2001 ; Cherba et Vásquez, 2014 ; Cordelier, 2013, 2019 ; Harrison et Williams, 2016 ; Mayère, 2013 ; Zook, 1994). Ici, la santé invoque nécessairement des questions de gouvernance et de citoyenneté, de politique et d’économie, d’innovation et de surveillance, de rôle et de responsabilité.Cette imbrication complexe de la santé, de l’espace public et de la sphère organisationnelle est mise en évidence en période de grandes crises sanitaires et d’épidémies, dont l’actuelle pandémie du COVID-19 est une des manifestations les plus entropiques. Il faut noter qu’au XVIIIe siècle, épidémie et pandémie étaient en français synonymes. Ce n’est que plus récemment que le terme d’épidémie est requalifié en pandémie lorsqu’elle s’étend à toute la population d’un continent. Pour l’OMS ce terme ne s’applique qu’en « cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie » (OMS, 2010). Confrontée à des défis épidémiologiques, économiques, émotionnels (Dujardin et Lépine, 2018), la santé en situation de pandémie révèle des failles précédemment cachées, tout comme elle est au centre d’innovations et d’expérimentations inédites. Ce sont à la fois les processus de publicisation et les pratiques organisationnelles des sociétés tout entières qui sont bousculées.

Bien évidemment les premiers scientifiques à être saisis de la question en situation de crises sanitaires et à qui l’on demande des solutions sont les spécialistes de médecine, de virologie, d’épidémiologie, etc. Pour autant, le choc provoqué par les situations de pandémie et les mesures qui accompagnent ces situations d’exception doivent être l’occasion pour les sciences humaines et sociales de s’exprimer, notamment, en ce qui nous concerne, pour les experts en matière de communication. Les mesures de distanciation, de confinement, le télétravail, le chômage partiel, la fermeture des frontières n’ont pas seulement remis en cause les fondements de la mondialisation, des échanges commerciaux et la structuration de l’économie mondiale. Ces mesures inédites ont aussi interrogé profondément une série de rapports tels que : impératifs sanitaires / priorités économiques ; valeurs, décisions et actions individuelles / collectives ; centralisation de la décision et de la responsabilité / délégation aux états ou collectivités. Cela a également fait émerger ou accéléré certaines pratiques de travail, de consommation, de consommation culturelle en lien avec les techniques d’information et communication.

Nombre de travaux ont abordé les questions de santé ou une pandémie en particulier. Ces travaux ont abordé des questions de médiatisation (Lee et Basnyat, 2013 ; Marchetti, 2010), des scandales (Henry, 2000), la place et le rôle des associations (Akrich, Meadel, Rabeharisoa, 2009 ; Sastry et Lovari, 2017), les aspects organisationnels (Carré et Lacroix, 2001 ; Grosjean et Bonneville, 2007 ; Mayère 2013), la numérisation du secteur (Cordelier et Galibert, sous presse ; Romeyer 2012), une pathologie en particulier (Mignot et Omrane, 2018 ; Ollivier-Yaniv, 2015), etc. Tous ont permis de montrer les mutations à l’œuvre dans le champ de la santé : informatisation, numérisation, médiatisation, publicisation, l’émergence des malades, empowerment, etc. L’ensemble de ces mutations sont non seulement encore à l’œuvre mais interagissent entre elles. Et elles se trouvent exacerbées en situation de pandémie.
Toutefois, ce que ce numéro spécial de la revue Communiquer souhaite aborder c’est une interrogation sur les modalités de la publicisation d’une pandémie au regard des modalités organisationnelles sur lesquelles elle débouche. Ainsi, ce dossier thématique a pour objectif de susciter la réflexion autour des situations de pandémie, passées ou en cours, en privilégiant les approches en termes d’espace public et en termes organisationnels. Outre l’intention de penser les processus de publicisation, les modalités organisationnelles, ou les enjeux de la numérisation d’un certain nombre de pratiques, nous appelons des textes portant une réflexion théorique ancrée dans des observations empiriques afin de contribuer au renouvellement des pistes de recherche ou des pratiques autour de quatre axes apparaissant particulièrement pertinents.

Axe 1 : Les objets de santé

Durant une pandémie, non seulement la santé devient un objet à surveiller et à contrôler, mais le risque de contagion incite à l’innovation de nouveaux objets de santé et à la modification des objets existants, des activités qui sont loin d’être neutres. Par exemple, la course à la production et à la mise en œuvre d’applications mobiles, l’utilisation des caméras thermiques dans les entreprises ou les drones de surveillance dans les endroits publics pour le suivi des personnes infectées soulève d’importantes questions dans l’espace public, sur la vie privée et les droits individuels par rapport à la santé des populations. Ces éléments soulèvent aussi de nombreux enjeux autour des techniques d’information et de communication numériques en santé (Cordelier et Galibert, sous presse ; Meadel et Akrich, 2010 ; Grosjean et Bonneville, 2007 ; Romeyer, 2020, 2012 et 2008). De l’autre côté du spectre, certaines pratiques en matière de santé en ligne (e-santé), telles que les téléconsultations médicales (Grosjean, Cherba, Nahon-Saferty, Bonneville et Waldorf, 2020) et les robots de visioconférence utilisés pour permettre aux personnes âgées confinées de communiquer avec leurs proches, repoussent les limites juridiques et réglementaires des pratiques organisationnelles actuelles dans le domaine des soins de santé. Non seulement les entreprises et structures de travail deviennent légitimes en matière de santé au travail, mais les procédures de travail elles-mêmes sont remaniées.

Axe 2 : Les rapports individuels /collectifs

Une pandémie mettra en relief les tensions inhérentes entre l’individu et le collectif. Par exemple, alors que de plus en plus d’individus se retrouvent à travailler à domicile, la notion même de collectif de travail devient floue. La démarcation entre vie privée et vie publique s’estompe (Cordelier et Breduillieard, 2012), car les pratiques de visioconférence rendent les espaces privés publics. Dans l’espace public, les individus entendent des messages sur l’importance de prendre soin de leur santé mentale et physique tout en étant les cibles de multiples conseils sur la manière de rester productif au travail pour les bienfaits du collectif. En d’autres termes, le bien-être se trouve sous injonctions paradoxales d’impératifs collectifs. En outre, si la pandémie est une situation globale et collective, elle est traitée individuellement par chaque État. De même, nous sommes tous enjoints de prendre des mesures individuelles de prévention mais dans le cadre d’une solidarité collective. Dans les organisations de santé (Zoller, 2010), une pandémie exige une souplesse de réaction qui peut être entravée par une culture protocolaire de la sécurité (Faraj et Xiao, 2006 ; Vogus, Sutcliffe et Weick, 2010). Ainsi, une pandémie peut catalyser les tensions au sein des équipes interprofessionnelles où l’autorité (Benoit Barné et Fox, 2017) de la hiérarchie professionnelle (Fox et Comeau-Vallée, 2020) délimite les rôles et les responsabilités tout en mettant à nu le travail d’une importance cruciale mais souvent sous-évalué accompli par les infirmières et les aides-soignants.

Axe 3 : La construction ou la perte de sens

De nombreux aspects de ce qui est considéré comme normal sont mis en doute en temps de pandémie (Seeger et Sellnow, 2016). Le sens du travail et le sens du vivre ensemble vacillent dans l’incertitude. Quelle est la valeur du travail et celle du lieu de travail ? Comment cloisonner temps de travail et vie privée en confinement ? Afin de donner du sens (Weick, 1979) à la situation et aux décisions (Castor et Bartesaghi, 2016), les décideurs comme les médias ont fait appel à de nombreux spécialistes. Se sont alors affrontés dans l’espace public le doute scientifique et le besoin de certitude des médias, la temporalité des décisions politiques à celle de la science, etc. Tour à tour, politiciens, commentateurs et scientifiques rivalisent pour construire du sens. Le flux incessant de messages, les intérêts défendus par les uns et les autres, les modalités différentes d’expression ont provoqué finalement ambiguïté et méfiance. Si les controverses et le débat font partie de la publicisation et de la communication scientifique, elles sont contradictoires avec la quête immédiate de sens d’une part et elles renforcent le climat de défiance vis-à-vis à la fois des décideurs et des experts d’autres part. Lors d’une crise sanitaire, cette quête de sens se retrouve également au sein des organisations (Weick, 1995 ; Weick et Sutcliffe, 2015 ; Weick, Sutcliffe, et Obstfeld, 2005) où les routines et les points de repères habituels peuvent perdre leur sens.

Axe 4 : Pandémies et sciences de l’information-communication

Quelle est la place des sciences de la communication ou de l’information- communication dans ces situations de pandémie ? Les représentants des sciences humaines et sociales semblent peu présents. Pourtant les enjeux sociaux ne peuvent être masqués par le seul enjeu sanitaire. Ils sont entrelacés et si, dans la crise que nous vivons, les mesures de confinement les ont déjà mis en évidence, ils guident en grande partie les mesures de déconfinement. Si les médias ont fait appel à certains représentants du domaine, il s’agissait de sociologues, psychologues ou philosophes analysant le confinement et ses effets ou la difficulté de faire face au deuil par exemple. Il s’agit là du rôle traditionnel dévolu aux sciences humaines et sociales, celles d’experts de la santé mentale et de ses affects. Pourtant, nombre de ces disciplines peuvent aller bien au-delà de ce périmètre restrictif. Les enjeux de société, l’économie, les moyens de communication, les modalités de gouvernance, les pratiques organisationnelles, les modalités de travail, la médiatisation, etc. sont autant de champ d’investigation pour les sciences humaines et sociales dont les sciences de l’information et de la communication (Lundgren et McMakin, 2018 ; Smith, 2006). C’est pourquoi ce numéro entend aussi questionner ce que les situations de pandémie révèlent de la légitimité du rôle des sciences de l’information-communication : ontologie, gnoséologie, épistémologie, méthodologies.
Ces quatre axes ne sont pas restrictifs. Toute proposition d’article s’appuyant sur des travaux empiriques et, surtout, sur des travaux qui viendraient enrichir la compréhension de l’articulation entre espace public et organisationnel dans les enjeux de santé liés aux situations de crises sanitaires, épidémies et/ou pandémies seront considérées avec intérêt.
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