Balisages

Penser les données par le territoire ?

Réponse attendue pour le 01/09/2020

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Balisages

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La notion de territoire numérique est surtout employée pour désigner des projets d’aménagement du territoire par des réseaux numériques et des projets de collecte et de traitement de données liés un espace géographique (ville, métropole, etc.). En d’autres termes, le territoire numérique se réduit souvent à un territoire numériquement accompagné (Pagès, 2010). Cet appel vise à élargir le champ en considérant le territoire du point de vue du cyberespace défini comme un espace numérique constitué de l’ensemble des systèmes d’information planétaires (Musso, 2008), ces différents systèmes étant constitués de données. Mobiliser la notion de territoire avec l’emploi de l’expression territoire numérique pour caractériser le cyberespace, qui évoque pour la plupart des internautes tout à la fois « un “monde” virtuel, dématérialisé, sans frontières, anonyme, de libertés, de partage et de communication » (Desforges, 2014, p. 67), repose sur trois hypothèses. La première souligne la possibilité de rattacher au cyberespace quelques caractéristiques territoriales comme la population (les internautes) et son mode de gouvernance (l’autorégulation) (Desforges, 2014, p. 74) ; la deuxième suppose l’existence d’un rapprochement entre les données, leurs agencements (Callon, 2013 ; Soulier, 2014) et la notion de territoire numérique. Enfin la dernière suppose que les données sont constitutives des informations, des connaissances et des savoirs construits et circulant dans le cyberespace.

Les interrogations que ce dossier vise à soulever portent sur les trois axes suivants : le territoire numérique a-t-il un potentiel heuristique pour étudier le cyberespace comme système de données ? Quels seraient les savoirs constitutifs du ou des territoires numériques ? Enfin, l’expérience du cyberespace, telle qu’elle est vécue par les cybernautes, structure-t-elle et détermine-t-elle la notion de territoire numérique ?

Ces trois axes sont un moyen de préciser le contour de cet appel et de suggérer des interrogations ou des discussions sans toutefois avoir la prétention d’être exhaustif. Les auteurs peuvent donc proposer d’autres pistes de réflexion, dans les limites du périmètre de ce numéro. Des descriptions précises des cadres théoriques, des concepts et des démarches méthodologiques seront particulièrement appréciées.

Axe 1. Le territoire numérique : un potentiel heuristique ?

Le lien territoire-donnée nourrit ce premier axe en considérant le territoire comme une notion heuristique qui permet de penser les activités, les pratiques, les valeurs, voire les objets liés aux données numériques.

Il nous semble donc intéressant dans cet appel d’employer la notion de territoire numérique dont les contours peuvent être dessinés en réinterrogeant les principales caractéristiques du territoire à l’aune des données : les dimensions spatiale, culturelle ou historique ; les autorités qui s’y exercent (Le Roux, Thébault, 2018, p. 58) ; les types de distances qu’il met en jeu – physique, sociale ou symbolique ; les frontières qui s’y dessinent (Lévy, Lussault, 2013) ; les lieux qu’il relie ; les rapports au temps qui s’y déploient, tant en termes d’épaisseurs que de régimes (Dupont, 2019). Certains aspects propres aux données devraient de même être pris en considération comme les possibilités d’interopérabilité qu’elles offrent, les fonctions assurées par les métadonnées ou encore l’importance de leur documentation (Jacquemin et al., 2018).

Les contributions de cet axe sont invitées à vérifier si les dispositifs socionumériques traitant des données définissent un contexte particulier que la notion de territoire numérique appréhende de manière originale. D’un point de vue culturel, est-ce que la médiation de plateformes comme Facebook ou YouTube, ou celle de dispositifs numériques de visioconférence réunissent les conditions d’un vivre-ensemble (Caune, 2017), de rencontres (Le Bourlot, 2011) ou au contraire ne permettent pas d’aller au-delà d’un côtoiement ? Dès lors, serait-il possible de voir en leur sein l’élaboration de modalités spécifiques d’interprétation des données qui en feraient de véritables territoires avec leurs propres valeurs, des rapports aux autres typiques et une conscience historique originale ?

De façon plus fondamentale, il conviendrait d’interroger le statut de territoire numérique, de comprendre s’il s’apparente davantage à une figure discursive (Bonhomme, 2014) ou à un concept évolutif des sciences de l’information et de la communication, comme le concept d’information (Gardiès, 2012).

Axe 2. Les savoirs constitutifs du territoire numérique

L’association de territoire et de donnée proposée dans cet appel ouvre aussi sur une perspective se réclamant de l’anthropologie des savoirs (Maury, Kovacs, Marteleto, 2014), car elle invite à s’intéresser à la production, à l’échange et à la circulation d’informations et de savoirs. Nous supposons dans cet axe que les espaces virtuels ne sont pas uniquement des lieux de savoir (Jacob, 2014) mais des territoires numériques. En effet, les savoirs produits par des activités collaboratives dans un contexte numérique dessinent des espaces (De Certeau, 1990) dotés de frontières souples où les humains, les savoirs, les écrits d’écran (Souchier, 1996 ; Jeanneret, 2000) et les objets techniques sont en interaction. À titre d’illustration, une thématique présente dans la plateforme Wikipedia (Levrel, 2006) peut être le point de départ de l’exploration d’un territoire numérique. Une méthode possible pour caractériser ce dernier reposerait à la fois sur le suivi des liens internes et externes, et sur l’analyse des activités et des interactions (Dujarier, 2016) liées au processus d’écriture numérique collaborative. Les contributeurs pourront ainsi analyser la nature des savoirs constitutifs des territoires numériques (savoirs techniques, savoirs culturels, savoirs d’experts, savoirs naïfs, savoir-faire, etc.) et la manière dont ils participent à une territorialisation.

Dans une autre perspective, les relations entre savoir et données pourront être approfondies en mobilisant par exemple les notions de territoire numérique de marques (Le Béchec, Alloing, 2018), de fiction circulante (Ibid.) et d’être culturel (Jeanneret, 2008). Les auteurs pourront ainsi se demander si les modalités de transmission des connaissances et des savoirs contribuent à l’éclosion d’identités collectives singulières et participent à l’évolution des interprétations, faisant des outils numériques de véritables creusets.

En d’autres termes, interroger la relation entre savoir et territoire pour aborder les données, les métadonnées, les traces et l’information dans un contexte d’écriture numérique collective ouvre de nombreuses perspectives d’exploration.

Axe 3. L’expérience du cyberespace comme territoire numérique

Les savoirs, les connaissances, les territoires, qu’ils soient géographiques ou numériques, ne seraient rien sans des individus en interaction directe ou « à distance » (Flichy, 2005) les uns avec les autres. Ainsi, les humains eux-mêmes et les communautés qu’ils forment participent aussi des ressources présentes et à venir d’un territoire.

Cet axe place au cœur de son interrogation l’expérience sociale (Dubet, 2016) individuelle et collective du cyberespace, entendu comme l’ensemble de dispositifs socionumériques (Larroche, 2018). Toutefois, notre approche de l’expérience sociale réintègre le poids de la socialisation comme variable explicative des expériences et des comportements. Il s’agit de comprendre les conditions sociales à partir desquelles les expériences des acteurs font territoire. Les individus eux-mêmes, simples usagers d’Internet ou professionnels de l’informatique, ont-ils le sentiment explicite ou diffus d’évoluer sur un territoire ? Au-delà des affects, les savoirs incorporés propres à l’expérience sociale, culturelle ou politique du territoire (géographique, urbain, politico-administratif…), et qui fonctionnent comme des habitus (Elias, 2003), structurent-ils notre rapport aux dispositifs socionumériques ? C’est-à-dire en quoi déterminent-ils aussi bien les usages, les pratiques que les représentations que l’on a et que l’on se fait des dispositifs socionumériques ? En un mot, l’impensé (Robert, 2012) territorial ne structure-t-il pas notre rapport au cyberespace ?

Les auteurs pourront ainsi revenir sur les processus expérientiels de territorialisation numérique. Ils pourront par exemple s’appuyer sur l’analyse des récits que les individus livrent de leurs expériences du cyberespace pour montrer qu’elles réfèrent implicitement, voire explicitement, au territoire, aussi bien au niveau du champ sémantique qu’au niveau des « manières de faire » (Becker, 1988) elles-mêmes.

Calendrier

4 mai 2020 : diffusion de l’appel à article

1er septembre 2020 : soumission des propositions d’articles (entre 3000 et 5000 signes espaces compris, hors bibliographie) (report)

21 septembre 2020 : réponse d’acceptation ou de rejet des propositions (report)

4 janvier 2021 : date limite de réception des articles complets pour évaluation (report)

8 février 2021 : retour des commentaires des évaluations aux auteur.e.s (report)

22 mars 2021 : date limite de réception des versions finales (report)

Juin 2021 : parution du n° 3 de la revue Balisages (report)

Modalités de soumission et d’évaluation

Les contributions peuvent être soumises au choix en français ou en anglais.

Les propositions de soumission doivent comprendre entre 3000 et 5000 caractères (espaces compris, hors bibliographie) et être anonymisées.

Les articles totaliseront quant à eux entre 30 000 et 40 000 caractères (espaces et bibliographie compris) et être anonymisés.

Les auteurs sont invités à respecter les recommandations aux auteurs concernant la qualité de formalisation scientifique, la mise en forme du texte et la normalisation des références bibliographiques.

Les propositions doivent être envoyées au format de leur choix : doc, odt ou md aux trois coordinateurs de ce numéro thématique, Valérie Larroche (valerie.larroche@enssib.fr), Geoffroy Gawin (geoffroy.gawin@enssib.fr), Emmanuel Brandl (emmanuel.brandl@enssib.fr).

Les textes feront l’objet de deux évaluations, selon une double procédure d’évaluation anonyme, par un comité de lecture, dont les membres seront sélectionnés en fonction de leur domaine d’expertise, à réception des articles.

Comité de lecture

Ses membres sont chargés de la procédure d’évaluation en double aveugle. Le comité est renouvelé à chaque numéro thématique en fonction du domaine d’expertise sollicité.

Bibliographie

Becker H.S. (1988), Les mondes de l’art, Paris, Flammarion.

Bonhomme M. (2014), Pragmatique des figures du discours, Paris, H. Champion.

Callon M. (2013), Qu’est-ce qu’un agencement marchand ? in Callon Michel et al., Sociologie des agencements marchands, Paris, Presses des Mines, p. 325-440.

Caune J. (2017), La médiation culturelle. Expérience esthétique et construction du Vivre-ensemble, Fontaine, Presses Universitaire de Grenoble.

Certeau M. (de) (1990), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Éditions Gallimard.

Desforges A. (2014), Les représentations du cyberespace : un outil géopolitique, Hérodote, 152-153, 67-81.

Dubet F. (1995), Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil.

Dujarier M.-A. (dir.) (2016), L’activité en théories – Regards croisés sur le travail, Tome I, Toulouse, Octarès.

Dupont O. (2019), Distance, proximité, épaisseur et accélération : reconfigurations temporelles et lien social », Kairos [En ligne], 3, URL : http://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=202.

Gardiès C. (dir.) (2012), Approche de l’information-documentation. Concepts fondateurs, Toulouse, Cépaduès.

Elias N. (1991), La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit ».

Flichy P. (2005), « Les réseaux de télécommunications instruments et outils de mesure de la sociabilité », Flux, 62, 31-37.

Jacquemin B., Schöpfel J., Chaudiron S., Kergosien E. (2018), L’éthique des données de la recherche en sciences humaines et sociales. Une introduction. In : 6e conférence ”Document numérique Société”. Échirolles, France : s.n. septembre 2018. p. 71‑86.

Jacob C. (2014), Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? Marseille, OpenEdition Press.

Jeanneret Y. (2000), Y-a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Jeanneret Y. (2008), Penser la trivialité. Volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Paris, Éd. Hermès-Lavoisier, coll. Communication, médiation et construits sociaux.

Larroche V. (2018), Le dispositif. Un concept pour les sciences de l’information et de la communication, Iste editions, Londres.

Le Béchec M., Alloing C. (2018), Les territoires numériques de marques pour repenser les cadres d’analyse du web. Questions de communication, 34, 7-20.

Le Bourlot M. (2011), Du passage possible de l’objet virtuel à l’objet sujet. Étude sur la relation par internet, Perspectives Psy, 50, 133-138.

Le Roux A., Thébault M. (2018), ‪Territoire et territoire numérique de la résistance des consommateurs ‪ : Une étude exploratoire, Questions de communication, 34, 55-74.

Levrel, J. (2006), Wikipedia, un dispositif médiatique de publics participants. Réseaux, 138, 185-218.

Lévy J., Lussault M. (2013), Frontière, In Le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin.

Maury Y., Kovacs S., Marteleto R. (2014), « Introduction », Études de communication, 42, 9-14.

Musso P. (2008), Territoires numériques, Médium, 15, 25-38.

Robert P. (2012), L’impensé informatique. Critique du mode d’existence idéologique des technologies de l’information et de la communication, Volume I : les années 1970-1980, Paris, Éditions des archives contemporaines.

Souchier E. (1996), L’écrit d’écran, pratiques d’écriture & informatique, Communication & Langages, 107, 105-119.

Soulier E. (2014), Introduction. Les humanités numériques sont-elles des agencements ? Les cahiers du numérique, 4, 9-40.

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