La SFSIC a parmi ses missions de valoriser des projets entrepreneuriaux de doctorant.e.s et chercheur.e.s en Humanités qui diffusent leur savoir au sein des entreprises et des organisations. Dans cette dynamique et à l’occasion de cette période de Congrès, des étudiants du Master 2 recherche de Celsa-Sorbonne Université vous proposent trois portraits de doctorant.e.s et de chercheur.e.s qui se sont lancés dans l’entrepreneuriat !
Portrait n°3 :
Rencontre avec Clémentine Rubio, docteure en Linguistique et entrepreneure
Clémentine Rubio, autrice d’une thèse en Lettres et Linguistique intitulée « Une langue en mission : histoire des politiques linguistiques et didactiques françaises en Palestine » soutenue en 2018, a fondé avec son associée le cabinet de conseil et de formation Agogé Conseil, qui accompagne depuis 2021 les entreprises et les structures publiques vers l’égalité femmes-hommes. Un parcours de docteure, de militante et d’entrepreneure, à la fois créatif et solidement ancré dans la recherche, qu’elle a accepté de nous raconter aujourd’hui.
Clémentine, avant d’en venir à votre doctorat, pourriez-vous nous expliquer en quelques mots votre parcours universitaire et professionnel ?
Je dirais que mon parcours de thèse a été initié bien avant le doctorat, en licence. J’ai commencé par une licence d’anglais, que j’ai pu mener partiellement à l’étranger aux Etats-Unis en tant qu’assistante de français. Parallèlement à mes études, j’ai toujours été animée par le militantisme : j’étais engagée dans des associations de développement international, mais également de lutte contre les discriminations. J’ai donc complété par la suite mon parcours avec une licence professionnelle, suivie d’un volontariat international avec l’ambition d’oeuvrer plutôt dans des ONG. Ma formation m’a amenée à travailler sur les relations internationales en Palestine, territoire sur lequel j’animais également des cours de français financés par la ville de Cergy. Rapidement, je me suis interrogée sur les questions politiques soulevées par ces cours de français que je dispensais : pourquoi une ville française finançait-elle des cours dans le village palestinien de Saffa ?
C’est ce qui a fait naître votre désir de poursuivre vers la recherche ?
Oui et non. J’ai été très vite intéressée par les questions politiques et les rapports de dominations, notamment par la langue. Mais professionnellement, j’étais toujours dans l’action, et je n’avais pas réellement de temps ni d’espace disponibles pour mes réflexions. J’ai donc voulu reprendre mes études pour suivre un master, et je suis tombée presque par hasard sur un master recherche proposé par l’université de Tours, sans savoir réellement ce qu’était la recherche au départ ! Finalement, j’ai intégré le master « Diversité linguistique et culturelle », puis j’ai poursuivi en doctorat pour devenir enseignante-chercheuse.
Comment s’est déroulé votre doctorat ?
Très bien ! J’ai obtenu un contrat doctoral de trois ans, qui m’a permis de travailler sur ma thèse tout en donnant des cours à l’université. Je dirais que ce contrat m’a vraiment permis d’envisager le doctorat comme étant une expérience professionnelle, une formation au métier de chercheur. Et j’ai par ailleurs vraiment aimé l’expérience de l’enseignement.
Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai terminé ma thèse en trois ans et demi, puis j’ai obtenu ma qualification sans difficulté. J’ai enchaîné ensuite sur des contrats d’ATER, puis des vacations. Mais ce sont des contrats précaires, et j’avais besoin de stabilité, notamment de stabilité financière. J’ai participé à deux premières campagnes de recrutement, qui n’ont pas abouti. En Sciences du langage, les postes sont rares et les processus de recrutement peuvent être décevants. Du point de vue de la gestion des ressources humaines, l’institution universitaire ne fait selon moi pas toujours le lien entre les compétences des candidats et les attendus réels des postes ouverts. Finalement, la troisième année, un poste correspondait à mon profil, mais même si j’avais adoré l’enseignement et la recherche, je sentais que j’avais envie de poursuivre sur une autre voie.
C’est à ce moment-là que vous avez décidé de monter votre entreprise ?
En fait, ça n’a pas été aussi évident. Je viens pourtant d’une famille d’entrepreneurs, mais je n’avais jamais envisagé cette possibilité ! Par hasard, au cours de cette période, j’ai reçu un mail au sujet de la professionnalisation des docteurs et l’entreprenariat. J’ai été accompagnée par la structure Pépite Centre-Val de Loire, qui m’a formée pendant trois mois sur un programme intitulé « Pépite Starter ». C’était intensif, mais ça m’a permis d’appréhender des notions que je n’avais jamais approchées au cours de mon parcours académique : construire un plan de communication, un business plan, monter une entreprise. J’ai décidé de créer, avec une associée, un cabinet de conseil et de formation femme-homme à destination des entreprises et des institutions publiques principalement.
C’est le cabinet Agogé Conseil que vous avez décidé de créer ?
Oui, ça s’est fait assez rapidement. J’ai soutenu ma thèse en 2018, puis suivi le programme Pépite de mai à juillet 2021. Avec mon associée, nous avons lancé directement notre projet mais nous nous sommes laissées un an pour tester notre marché et notre fonctionnement. Après un an en indépendantes, nous avons créé la société en juillet 2022 ; elle va fêter très bientôt sa première année en SARL.
Qui sont vos clients ?
L’ironie, c’est que notre premier client était l’université de Tours ! Mais j’ai beaucoup aimé cette expérience. Ma connaissance de l’université m’a indéniablement aidée à proposer des formations adaptées pour les correspondant·e·s égalité de l’université. Aujourd’hui, nous avons des clients très variés : des structures culturelles, des mairies, des universités, des ministères, et même la police à Chartres et à Tours. Nous intervenons également pour des entreprises qui doivent élaborer leur plan égalité, et pour la prévention des violences sexistes et sexuelles.
Y a-t-il des liens entre celle que vous étiez en tant qu’enseignante-chercheuse et l’entrepreneure que vous êtes aujourd’hui ?
Bien sûr, il y a une réelle continuité entre mon parcours académique et mon parcours entrepreneurial. Je suis toujours animée par les questions politiques et les rapports de domination et de pouvoir, mais aujourd’hui j’ai réussi à concilier mon engagement militant et ma volonté de travailler au quotidien à plus d’égalité tout en ayant le sentiment d’avoir un impact plus important et plus politique. En termes de compétences, je dirais que le doctorat et l’entreprenariat sont très proches : ils requièrent tous deux une grande indépendance et une autonomie en matière de gestion de projet, de temps, d’organisation. Aujourd’hui quand on me demande d’organiser une conférence, je reste dans la continuité de mes compétences de recherche ! Savoir-faire une veille, faire preuve d’esprit de synthèse, problématiser, prendre la parole en public, animer des tables rondes. Mon doctorat m’a apporté des savoir-faire indéniables sur tous ces points.
Et bien entendu, mon travail consiste à former des adultes comme je formais avant des étudiants en master. Je travaille dans un cadre plus souple, et plus libre que celui de l’institution, en revanche ,la charge de travail est énorme et ne s’arrête jamais. C’est le jeu de l’entreprenariat !
Comment réussissez-vous à intégrer la recherche dans vos pratiques professionnelles quotidiennes ?
Dans mes missions, du conseil à la formation, j’ai un vrai de travail de recherche à faire, du diagnostic à l’élaboration d’un plan égalité, à la personnalisation des formations que j’anime. Et au quotidien, nous tenons avec mon associée à une forme de réflexivité. Nous interrogeons perpétuellement nos pratiques. Avec nos consœurs, nous entretenons une sororité réelle. On organise des séminaires, on se voit pour échanger, on laisse beaucoup d’espaces de réflexion pour avancer ensemble en partenariat. Même si c’est assez récent, on défend une vision féministe de l’entreprenariat : certes, il faut des clients pour perdurer, mais on veut le faire différemment, loin d’une concurrence acharnée qui serait selon moi trop proche des « codes masculins » de l’entreprenariat traditionnel. Jusqu’ici, ça fonctionne très bien et c’est encourageant et agréable.
Un dernier mot pour les doctorant·e·s et les docteur·e·s qui vous lisent ?
Osez ! Vous avez des compétences qui vous permettent de faire énormément de choses avec un doctorat, toutes les voies vous sont ouvertes, il faut construire votre propre chemin.
Portraits par Lucille Lamache, Célia Banos, Ambre Ampe et Clara Scotto,
étudiantes en M2 Recherche, Celsa-Sorbonne
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- Mots-clés
- Entrepreunariat
- Jeunes chercheurs