Portraits de chercheur.e.s très appliqué.e.s : entre recherche et entreprenariat. Premier portrait.

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La SFSIC a parmi ses missions de valoriser des projets entrepreneuriaux de doctorant.e.s et chercheur.e.s en Humanités qui diffusent leur savoir au sein des entreprises et des organisations. Dans cette dynamique et à l’occasion de cette période de Congrès, des étudiants du Master 2 recherche de Celsa-Sorbonne Université vous proposent trois portraits de doctorant.e.s et de chercheur.e.s qui se sont lancés dans l’entrepreneuriat !

Portrait n°1 : Sylvain Begon, la tête dans la thèse mais les mains dans le concret

Le parcours de Sylvain Begon est comme une balance réglée à l’équilibre : le jeune homme a su en harmoniser les différentes composantes. Depuis maintenant trois ans, il jongle méticuleusement entre son travail de thèse et son projet entrepreneurial. Plus que jongler, il crée constamment des ponts entre les deux, s’ouvrant lui-même volontairement à d’autres horizons que l’enseignement et la recherche. À 26 ans, Sylvain entreprend une thèse intitulée « L’éducation à la prise de parole en public : une éducation à la citoyenneté » en anthropologie politique et sociologie. En parallèle de ce projet de recherche mené au sein de la branche stéphanoise du centre Max Weber (Université Jean Monnet), il est à la tête du Pôle de l’Oralité, un organisme qui forme les jeunes à la prise de parole en public sous toutes ses formes. Mais commençons par le commencement…

Après deux premières années d’études bi-disciplinaires en histoire et sciences politiques, Sylvain termine sa licence uniquement en sciences politiques à l’Université Lumière Lyon 2. Parallèlement à sa troisième année d’étude, il occupe un poste d’animateur culturel en service civique au sein du lycée Sainte-Marie La Grand’Grange : « Mon objectif était tout simplement d’animer le foyer du lycée, de créer des événements, de créer ce qu’on pourrait appeler également de “l’éducation populaire”… ». À l’issue de cette période, il est admis à l’IEP de Lyon mais préfère passer son tour pour se consacrer à une vocation née pendant son service civique : « Suite à mon service civique en animation culturelle j’avais formé plein de jeunes à l’oralité mais sans le savoir. Ce sont mes patrons qui m’ont fait prendre conscience que j’avais cette fibre oratoire et qui vont me donner la fibre entrepreneuriale. Finalement ils m’ont dit “crée-nous quelque chose parce que l’année prochaine il y a une réforme du bac qui prévoit un grand oral en classe de terminale, […] tu as carte blanche.” Et c’est ce qui a fait que je n’ai pas pris l’IEP de Lyon. ». Le projet du Pôle de l’Oralité prend forme à la suite de cet échange. Loin de n’être qu’une suggestion de ses collègues, ce programme recouvre aussi une dimension personnelle : « Le chemin de l’oralité c’est d’abord un chemin d’abord personnel, je le fais tous les jours et il m’aide à dépasser les émotions et le torrent émotionnel qu’il y a en moi. […] Aujourd’hui, mon engagement quasiment politique est lié à l’oralité parce que j’ai compris qu’elle permettrait de lutter contre les inégalités, de favoriser des intelligences différentes… ».

Pour Sylvain, la création du Pôle de l’Oralité est donc antérieure au doctorat. Avant le doctorat, il y a aussi le master. À la place des grandes écoles, donc, Sylvain fait le choix d’intégrer une faculté de sociologie pour devenir « enquêteur du social ». Un choix mûrement réfléchi et motivé par la liberté que lui permettait ce parcours universitaire de faire coïncider son organisme avec ses études. L’autre raison de ce choix c’est Pascal Vallet, un professeur des universités avec qui il a en commun une « fibre de projets », un état d’esprit de « faiseux » – pour reprendre les termes du jeune homme – qui ont fait naître une passion du terrain et du concret chez notre chercheur : « C’est quelqu’un qui était très libre. Il nous amenait à l’hôpital faire des enquêtes, sur le terrain faire des visites dans la ville… On créait quelque chose et moi je me reconnaissais là-dedans parce qu’on sortait de l’univers du cours et c’est cette sociologie-là qui m’a plu, c’est-à-dire une sociologie qui est au contact du terrain, qui est au contact du réel ». Suite à quoi, il s’est « faufilé discrètement vers le doctorat non financé, là aussi par choix », refusant de s’enfermer dans l’univers académique qu’il juge trop concurrentiel et renfermé sur lui-même : « La compétence du contrat doctoral est purement académique et n’offre pas une connaissance et pratique suffisantes du milieu professionnel, surtout en termes d’éthos, de manière d’être et d’agir ! ». Sylvain, dans une logique inverse, décide d’envisager le doctorat comme un moyen de se créer « par le biais de [ses] compétences doctorales une compétence en lien avec le monde professionnel en [se] connectant en permanence au terrain ».

Le terrain ? Son terrain. Avec une thèse sur l’oralité et la citoyenneté, pas étonnant que l’organisme de Sylvain soit devenu son cadre d’enquête. Pour préciser un peu les choses, le Pôle de l’Oralité « est un organisme qui crée des formations, des projets et des accompagnements pédagogiques innovants autour de la prise de parole en public ». Par exemple, Sylvain a déjà créé un concours d’oralité, un challenge de création d’entreprise spécialisé dans l’oralité professionnelle, ainsi que des formations sur le grand oral du baccalauréat, l’entretien d’embauche ou encore la gestion du stress. Ce projet répond à un manquement du système académique qui se cantonne à l’apprentissage du médium écrit et laisse l’expression orale de côté. Dans cette perspective, Sylvain va jusqu’à dire qu’il a créé sa propre discipline scolaire : « On est pionniers en France. Aujourd’hui, on est le seul cours d’oralité intégré à un lycée avec une note, avec un livre pédagogique (un manuel que j’ai créé), avec un contenu numérique, avec 2 000 élèves formés sur quatre ans maintenant, labellisé par le ministère de la Culture… ». Le jeune homme nous décrit très bien le mouvement réciproque dans lequel s’insère ce terrain. Tout en alimentant sa pensée vis-à-vis de son travail de thèse, en la faisant changer, le Pôle de l’Oralité lui permet d’expérimenter les outils théoriques qu’il rencontre chemin faisant.

L’expérimentation n’étant pas le propre du chercheur, quand on demande à Sylvain de nous préciser ce que lui apporte précisément son travail de recherche, il nous répond que c’est une question d’hygiène, de santé à la fois personnelle et professionnelle : « En faisant la thèse, je prends du recul sur moi-même et sur mes actions, ce qui me permet d’être complètement auto-critique ». Pour le jeune homme, faire c’est bien, innover tout en étant critique c’est mieux : « Au début, le Pôle était “loupé” mais j’ai pu corriger tout ça. Il a fallu que j’analyse ce qui n’allait pas… Que j’analyse avec des outils qui ne sont pas uniquement inhérents au “faire”, donc qui relèvent de la pensée ». La thèse est comme le garant de la qualité et de l’efficacité qu’il doit à ses élèves. Dans un second temps, son doctorat est « l’arme politico-scientifique » d’un combat culturel, celui de la reconnaissance de l’importance de l’oralité. Sylvain veut porter son idée encore plus haut, devant l’éducation nationale. Sa thèse constitue un exemple local qui fonctionne et qui pourrait être généralisé. Pour le paraphraser, sa thèse n’est pas une fin en soi mais un outil à disposition d’autres ambitions, « une cerise sur un gâteau déjà bien fait ».

Aujourd’hui, Sylvain aspire à « faire le pont » entre plusieurs sphères sociales : « Le Pôle de l’Oralité est en train de s’ouvrir à plusieurs lycées. J’ai actuellement cinq lycées partenaires, des municipalités… J’envisage une croisée des mondes. […] On pourrait créer une synergie entre plein de mondes différents : faire venir des adultes, faire des croisements générationnels, faire venir des pro’, réunir des mondes académiques, culturels, associatifs et bien d’autres… ». Une poursuite de projet qui est donc tournée vers l’entrepreneuriat plus que vers l’enseignement et la recherche. Si Sylvain est un jour amené à donner des cours dans ce monde qu’il juge « hélas » trop replié sur lui-même et sur l’écrit, qui nous ferait oublier « [nos] propres mains, [notre] propre action », « ce sera à [sa] manière et avec de l’oralité ». Son profil commence à se dessiner en filigrane : c’est un touche-à-tout (il ne nous en a pas dit plus mais en parallèle de ses engagements universitaires et associatifs, Sylvain monte un nouveau projet… agricole cette fois-ci !) et un esprit libre pour qui la recherche doit se confronter au réel.

 

Portraits par Lucille Lamache, Célia Banos, Ambre Ampe et Clara Scotto,
étudiantes en M2 Recherche, Celsa-Sorbonne