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Être authentique à soi-même et pour les autres

Expected response for the 25/09/2025

Response type Résumé

Expected contribution type article

Publication name Ethnographiques.org

Coordinators

Si la notion d’authenticité n’a pas manqué d’inspirer de nombreux travaux sur le statut des copies d’art, la production de contrefaçons ou les processus de falsification (Lenain 2011 ; Talon-Hugon 2014), nous l’aborderons ici par le prisme des identités collectives et individuelles – religieuse, nationale, genrée, numérique, etc. – Qu’est-ce qu’un authentique croyant et quels critères prévalent à la constitution de son appartenance religieuse ? Qu’est-ce qu’un citoyen « authentique » des républiques centre-africaines à l’ère des indépendances (White 2006) ? Comment construit-on une identité virtuelle authentique sur les réseaux sociaux ? Comment affirmer, mais aussi contester, une authenticité ethnique dans les mondes américains, asiatiques ou océaniens ?

Notion parfois jugée désuète, suspecte ou bonne à jeter par les sciences sociales (Heinich 2014 ; Reisinger & Steiner 2006), l’authenticité n’en est pas moins productive pour penser les différents systèmes de valeur qui structurent nos mondes contemporains. Dès lors, comment la quête d’authenticité oriente-t-elle les pratiques, les discours et les savoirs des acteurs sociaux dans différents contextes culturels ? Quels enjeux de légitimité, rapports de pouvoir et pratiques de sociabilité mobilise-t-elle ? Et inversement, existe-t-il des espaces où l’authenticité n’est pas une catégorie opérante et entre en conflit avec d’autres modes d’appréhension ?

Pour répondre à ces questions, nous partons d’une définition élémentaire de l’authenticité privilégiant à la fois sa qualité relationnelle et sa dimension performative. En effet, il est d’usage d’appréhender l’authenticité au regard d’un original, d’une réalité, d’un modèle, voire d’un idéal qui préexiste à l’objet de notre évaluation. Il en va ainsi des récits du passé qui restituent avec justesse des faits tels qu’ils se seraient véritablement déroulés, en reconstituant les actions historiques au plus près. Leur cachet d’authenticité repose sur l’adéquation de leurs énoncés avec une réalité objective et incontestable qu’aucun intérêt particulier ne viendrait entacher. De même, sont dits authentiques les comportements et les paroles qui traduisent fidèlement les pensées et les sentiments de l’individu qui les exprime. D’après ce paradigme, la présentation de soi au monde doit être dans un rapport d’équivalence avec les états intérieurs (Trilling 1994). Être soi-même, être authentique, c’est donc agir en conformité avec ses principes, ses opinions et ses aspirations qui constituent des vérités premières (Romano 2020). L’authenticité émerge ainsi de la relation d’un objet/sujet avec une réalité qui lui préexiste, mais loin d’être fixée une fois pour toutes, cette relation est l’objet d’incessantes redéfinitions (Fillitz & Saris 2012 ; Theodossopoulos 2013 ; Cravatte 2009).

L’authenticité s’inscrit ainsi dans un régime hiérarchique de valeurs qui oriente en retour notre jugement et nos actions. L’authenticité de toute chose ou pratique sociale, de tout discours ou comportement individuel est sujette à un système de preuves qui en détermine le statut, l’usage et le champ d’action. Dans ce spectre de valeurs, les facettes de l’authenticité sont fréquemment opposées à des antonymes plus ou moins dépréciatifs : vrai vs. faux ; réalité vs. artificialité ; original vs. imitation ; prototype vs. copie ; autorité vs. illégitimité ; beauté vs. vulgarité, etc. À partir de ce constat sommaire, nous proposons d’articuler la réflexion autour de trois grandes thématiques. Ces pistes, non exhaustives, seront examinées à la lumière d’études de cas empiriques.

En examinant les pratiques et les discours, les contributions accorderons une importance particulière à la terminologie utilisée par les acteurs, aux relations d’opposition que la notion plurivoque d’authenticité entretient avec ces antonymes, ainsi qu’aux affinités qu’elle présente avec d’autres termes plus proches avec lesquels elle est parfois confondue. Comment dire l’authenticité ? Comment se déclinent, en différents lieux et contextes, mais aussi dans d’autres langues, les jeux d’opposition et de complémentarité entre les termes qui s’inscrivent dans le champ sémantique évoqué ici ?

Axes thématiques

Épistémologies de l’authenticité

Qu’est-ce que la « chasse à l’authentique » (Lemonnier 1999) fait aux savoirs experts et institutionnels ? Ces questions couvrent tous les régimes de preuves, aussi bien dans les domaines religieux, politique que juridique. Que faire des témoignages mémoriels qui contredisent l’histoire documentée ? Que signifie être un « vrai » porteur de mémoire en contexte de post-conflit ? Qui sont les experts, endogènes ou exogènes, à même de certifier l’autochtonie, l’orthodoxie religieuse ou l’identité genrée de nos interlocuteurs ? Nombreux sont les chercheurs, autant que les acteurs à la marge des institutions dominantes, à exprimer leur trouble face aux dispositifs d’authentification érigés en seules vérités légitimes (Pomaro 2017 ; Wittersheim 1999). Dans la sphère religieuse, outre des questions sur la rigueur des pratiques et la sincérité de la foi – ou de la conversion -, l’authentification de reliques et d’expériences visionnaires, suscite des débats qui peuvent favoriser l’invention de nouvelles méthodes et techniques probatoires (Claverie 1990 ; Ogorzelec-Guinchard 2014). Si des désillusions peuvent être éprouvées lorsqu’une falsification est démasquée, d’autres modes de véridiction viennent parfois les contredire pour asseoir une croyance (Charuty 1999 ; Delaplace 2021), mais quels sont-ils ?

Pratiques, discours et acteurs sociaux

Parallèlement au monde de l’expertise, comment les acteurs sociaux construisent-ils et adoptent-ils des comportements et des valeurs qu’ils revendiquent comme authentiques ? Nous chercherons à définir les sphères d’échanges et les espaces socioculturels dans lesquels les récits sur l’authenticité sont produits et circulent, que ce soit à la marge des États ou, bien au contraire, lorsqu’ils participent à des manières hégémoniques d’être au monde. Lorsque, par exemple, des États conditionnent l’attribution de droits à une appartenance ethnique, ils instituent des catégories identitaires en réalités essentialistes et établissent par là-même des critères officiels qui dévaluent toutes autres expressions culturelles. Quels critères sont retenus pour forger l’authenticité et quelle réflexivité les acteurs visés développent-ils vis-à-vis de ces dispositifs de preuves ? Quels sont les procédés narratifs, techniques, performatifs et/ou symboliques mobilisés afin de construire l’authenticité de pratiques, d’identités ou la contester ? Quelle est la place des émotions et des affects dans ces dynamiques à l’heure où de nombreux domaines — tels que le patrimoine, l’art ou le tourisme — intègrent de plus en plus de dispositifs virtuels (Condevaux 2024) ? Comment la fabrique fluctuante de l’authenticité participe-t-elle à consolider ou, au contraire, à affaiblir d’autres acteurs sociaux ? Et à qui s’adressent de telles revendications ? Ces questions pourront notamment être abordées à partir de l’analyse de situations de conflits ou de débats entre des acteurs sociaux et/ou institutionnels qui défendent des perspectives divergentes sur l’authenticité.

Les espaces inopérants de l’authenticité

Existe-t-il des situations, des sphères d’échange et des mondes sociaux où l’authenticité n’est pas, ou plus, une valeur supérieure ni même pertinente ? L’explosion des IA (Chatonsky, Grimaud & Nova 2025) – et des outils qui entendent les réguler – brouille-t-elle ou renforce-t-elle au contraire les limites entre authentique et inauthentique ? Dans le domaine du numérique, les identités sont-elles nécessairement de fausses constructions, fantasmées et mensongères, qui n’appartiendraient qu’à un monde « virtuel » par opposition au « véritable » monde social ? Catégoriser ainsi les réseaux sociaux n’explique en rien ni la popularité des identités virtuelles, trivialisées en échappatoires, ni ce qui se joue dans ces espaces de sociabilité. De même, les « apparences » sont-elles nécessairement trompeuses ? Le terme désigne un travail social et cosmétique visant à dissimuler l’intériorité ou la physicalité d’un individu qui prétendrait ainsi être quelqu’un d’autre. Cette description, pourtant, ne vaut que s’il est attendu que notre présentation au monde soit conforme à un idéal biologique et psychologique validé socialement. Mais existe-t-il des lieux, des cultures et des « régimes ontologiques » (Descola 2005) où cette conformité n’est pas signifiante ? Dans certains contextes urbains, par exemple, le port de contrefaçons de marques de luxe ne renvoie-t-elle pas à une forme d’affirmation de soi, l’authenticité de la marque étant alors détrônée au profit de logiques d’accessibilité, de créativité, et de détournement ?

À noter qu’Ethnographiques.org encourage vivement les auteurs et autrices à présenter dans leur article des matériaux multimédia, visuels et/ou sonores susceptibles d’enrichir voir de structurer leur réflexion.

Calendrier :

  • Les propositions de contributions (résumé d’une page accompagné d’une bibliographie indicative et d’une biographie sommaire) sont attendues au plus tard pour le 25 septembre 2025. Elles doivent être envoyées, avec la mention « Ethnographiques no 52 » comme objet du message, aux quatre destinataires suivants : emanuela.canghiari@univ-paris1.fr, isabel.yayamckenzie@ehess.fr, cecile.guillaume-pey@ehess.fr et redaction@ethnographiques.org
  • Une première sélection sera effectuée sur la base de ces propositions. Une réponse sera donnée au plus tard le 25 octobre 2025.
  • Les articles devront être remis pour le 4 juin 2026. Ils seront relus par le comité de rédaction et par des évaluateurs externes. Les auteurs sont priés de suivre les consignes (note aux auteurs) accessibles sur la page http://www.ethnographiques.org/Note-aux-auteurs.
  • La version définitive devra être remise le 18 février 2027 pour une publication dans le numéro 52, en juin 2027.

Bibliographie

CHARUTY Giordana, 1999. « La ”boîte aux ancêtres” », Terrain, 33, p. 57-80.

CHATONSKY Gregory, GRIMAUD Emmanuel & NOVA Nicolas, 2025. « Bestiaire des IA », Terrain, 82.

CLAVERIE Élisabeth, 1990. « La Vierge, le désordre, la critique », Terrain, 14, p. 60-75.

CONDEVAUX Aurélie, 2024. « Plateformes touristiques et construction de la personne à l’ère numérique », Socio-anthropologie, 49, p. 245-262.

CRAVATTE Céline, 2009. « L’anthropologie du tourisme et l’authenticité. Catégorie analytique ou catégorie indigène ? », Cahiers d’études africaines, 193-194, p. 603-619.

DELAPLACE Gregory, 2021. Les intelligences particulières. Enquête sur les maisons hantées. Bruxelles, Vues de l’esprit.

DESCOLA Philippe, 2005. Par-delà nature et culture. Paris, Gallimard.

FILLITZ Thomas, & SARIS Jamie A. (eds), 2012. Debating authenticity. Concepts of modernity in anthropological perspective. Oxford, Berghahn Books.

HEINICH Nathalie, 2014. « Authenticité et modernité », Noesis, 22-23, p. 43-56.

LEMONNIER Pierre, 1999. « La chasse à l’authentique », Terrain, 33, p. 93-110.

LENAIN Thierry, 2011. Art Forgery. The History of a Modern Obsession. Londres, Reaktion Books.

OGORZELEC-GUINCHARD Laetitia, 2014. Le miracle et l’enquête. Le travail d’expertise des médecins du sanctuaire de Lourdes. Paris, Presses universitaires de France.

POMARO Anna, 2017. « Que faire de l’authenticité ? Du refoulement à la reprise d’un objet angoissant », Revue d’anthropologie des connaissances, 4 (11), p. 571-589.

REISINGER Yvette. & STEINER Carol. J., 2006. « Reconceptualizing Object Authenticity », Annals of Tourism Research, 33 (1), p 65-86.

ROMANO Claude, 2020. « L’authenticité : une esquisse de définition », Philosophiques, 47 (1), p. 35-55.

TALON-HUGON Carole, 2014. « Introduction », Noesis, 22-23, p. 7-13.

THEODOSSOPOULOS Dimitrios, 2013. “Introduction : Laying Claim to Authenticity : Five Anthropological Dilemmas”, Anthropological Quarterly, 86 (2), p. 337–360.

TRILLING Lionel, 1994 (1972). Sincérité et authenticité, trad. par M. Jézéquel. Paris, Bernard Grasset.

WHITE Bob W., 2006. « L’incroyable machine d’authenticité : l’animation politique et l’usage public de la culture dans le Zaïre de Mobutu », Anthropologie et Sociétés, 30 (2), p. 43–63.

WITTERSHEIM Éric, 1999. « Les chemins de l’authenticité. Les anthropologues et la Renaissance mélanésienne », L’Homme. Revue française d’anthropologie, 39 (151), p. 181-205.