Revue française des Sciences de l'Information et de la Communication

RFSIC – n°20 – Recherche scientifique et médias : enjeux et tensions

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Coordinators

  • Marie-Christine Lipiani
  • Catherine Pascal

L’idée de rendre la science publique et de partager les connaissances scientifiques n’est pas nouvelle. Selon les travaux de Baudouin Jurdant, cette idée, en Europe du moins, daterait des Lumières. La question de la nécessaire vulgarisation scientifique se retrouve également dans la charte européenne du/de la chercheur-e (2005) qui encourage « le dialogue social entre les chercheurs et les parties prenantes de la société dans son ensemble ».

Aujourd’hui, différents types de dispositifs techniques comme « l’open Access/science ouverte » favorisent le dialogue entre savoirs et société, cependant, le simple fait que de nombreuses publications scientifiques bénéficient d’un accès libre et gratuit ne permet pas toujours aux chercheur.e.s de prendre une réelle place active au sein de la scène sociale et politique. D’autant plus, que les scientifiques, d’une manière générale, pratiquent assez peu la vulgarisation de leurs travaux. Il est vrai que celle-ci est relativement peu reconnue par les instances qui gèrent leur carrière (Boure, 2016). La vulgarisation et notamment l’intervention des chercheur.e.s au sein d’espaces informels non scientifiques comme les débats publics par exemple, voire les publications en dehors des lieux réservés et reconnus par la communauté scientifique peuvent être perçus comme le suggèrent Elsa Poupardin et Mélodie Faury (2018/2015) telle une forme de capital symbolique, mais celui-ci, ne « “vaut rien”, du point de vue académique si les auteur.e.s ne jouent pas “le jeu du champ” et n’acquièrent pas dans le même temps, et au sein de leur discipline d’appartenance une certaine légitimité »2.

La vulgarisation scientifique passe aussi en grande partie, par les médias et en particulier les médias de masse comme la télévision, voire les médias numériques, cependant, selon l’analyse de Dominique Wolton « la médiatisation n’est pas non plus l’équivalent de la vulgarisation en dépit de la place des médias dans la société et de l’idée simple et fausse, selon laquelle plus les médias parleraient de la science, plus il y aurait de vulgarisation » (1997, 11) ; autrement dit « l’accès aux connaissances ne permettrait pas seule de développer une société de la connaissance ».

Si de telles réserves semblent légitimes, au regard des différents enjeux actuels liés, entre autres, aux impacts matériels et sociétaux de l’hyper modernité, ou de la post modernité, mais aussi au développement des fake news qui remettent en cause le statut de l’information y compris celui de l’information scientifique, il est pertinent, d’une part, d’appréhender la science du point de vue de sa communication et de sa transmission au sens large et, d’autre part, de s’interroger sur le rôle de la médiatisation des recherches académiques dans les rapports entre les sciences et la société. Les pratiques de communication autour des travaux scientifiques semblent devenues concomitantes à l’activité de recherche en tant que telle, et les institutions universitaires et scientifiques, (Maisons des Sciences de l’Homme, par exemple) elles-mêmes s’engagent largement dans cette direction quand elles ne créent pas directement leur propre média (le journal du CNRS).

Cet appel à communication se focalise plus spécifiquement sur la médiatisation du/de la chercheur.e. Ce n’est pas tant la place des chercheur.e.s dans les médias qui est en questionnement, ni les relations, souvent complexes, entre journalistes et scientifiques mais plutôt l’intérêt (ou pas) d’une manière globale, de ces dernier.e.s à intervenir au sein des dispositifs médiatiques. Il ne s’agit pas ici de s’interroger uniquement sur la manière dont ces deux catégories d’acteurs.rices que sont les journalistes et les scientifiques se disputent le champ de l’expertise à travers leurs différentes postures professionnelles, mais bien d’étudier les enjeux de la médiatisation pour les universitaires au regard des contextes actuels.

Les effets de cette médiatisation scientifique des chercheur.e.s, riches d’interprétations complexes, sont à questionner.

En effet, d’une part, l’offre médiatique est de plus en plus pléthorique. Les usages et pratiques médiatiques se diversifient en particulier à travers la technologie, les médias numériques de tout type. L’information en continu et les réseaux sociaux ne cessent de monter en puissance tout en proposant des contenus et des interfaces à information variable, (Pascal C., Vieira L., Akam N. 2019). Les médias évoluent dans un système hyper concurrentiel avec des temporalités de publication et d’actualisation des contenus qui s’accélèrent sans cesse et dans le même temps, la diversité des prises de parole dans les supports médiatiques devient une préoccupation importante.

D’autre part, l’activité scientifique elle aussi connaît des modifications majeures : différentes contraintes d’ordre organisationnel, structurel et économique s’imposent aux institutions et à leurs acteurs-rices. Dans le même temps, de nouvelles générations de chercheur.e.s, émergent. Elles sont mieux formées, mieux préparées aux technologies, elles maîtrisent davantage les codes des médias et souvent investissent d’autres dispositifs moins traditionnels et attendus de mise en visibilité de leurs travaux comme par exemple les web TV, les chaines sur Youtube, les vidéos, les blogs…

On ne peut pas réduire le travail des scientifiques à leurs interventions médiatiques, c’est entendu et la place et l’intervention des chercheur.e.s dans les médias n’est pas un phénomène nouveau au sein des sciences humaines et sociales, elles ont déjà suscité divers travaux. Cependant, celles-ci, désormais, compte tenu des transformations et évolutions des médias, des institutions scientifiques et des pratiques communicationnelles autour de la recherche méritent d’être renouvelées. En définitive, ce dossier se propose de revisiter la place et le rôle des chercheur.e.s dans la société à partir de l’intervention de ces dernier.e.s dans les médias, ce qui conduit plus largement à s’interroger, à travers le prisme de la médiatisation, à la question de l’engagement du chercheur.e et à la manière dont celui-ci-celle-ci s’implique dans le débat public.

Plusieurs axes se dessinent en priorité mais ceux- ci ne sont en rien exhaustifs et fermés et d’autres approches de la thématique, d’autres regards croisés et pluridisciplinaires peuvent être envisagés.

La médiatisation du chercheur.e : enjeux, effets et stratégies

Différentes questions nous interpellent : Les cherheur.e.s ont-ils/elles intérêt à intervenir dans les médias, à répondre aux sollicitations des journalistes, est-ce qu’ils/elles sont préparé.e.s à cette pratique ? Comment s’y préparer ? La médiatisation peut-elle participer à la construction d’une posture scientifique et comment répondre aux injonctions de communication autour des activités de recherche ? Quelles sont les logiques qui orientent et organisent la médiatisation des scientifiques ? Qu’est-ce que le chercheur.e attend de sa médiatisation ? L’intervention dans les médias est-elle susceptible de modifier le rapport avec l’objet d’étude, est-elle de nature à créer une réflexion critique sur la manière d’appréhender un sujet ? La médiatisation modifie-t-elle les pratiques de recherche ? Donne -t-elle une légitimité et de quel type ? Quelle place occupe l’expertise médiatique dans une carrière scientifique ? Comment la médiatisation des études scientifiques et des résultats obtenus questionne- t-elle la responsabilité du chercheur.e. et sa fonction ?…

Expression médiatique et engagement sociétal des chercheur.e.s

Dans ce contexte de remise en cause des discours politiques, institutionnels et médiatiques, les chercheur.e.s sont-ils de plus en plus incités à occuper l’espace médiatique, à prendre des risques à travers des formats médiatiques peu adaptés à la publicisation de travaux scientifiques, à prendre parti… ? Comment aujourd’hui se caractérise l’engagement sociétal des chercheur.e.s (Pascal, 2019) ? Les médias sont-ils devenus des espaces privilégiés où se manifeste cet engagement. Quels sont les risques inhérents aux prises de position ? Quel est le statut de la parole du chercheur.e quand il/elle s’exprime dans les médias, parle-t-il/elle en son nom, ou nom de son institution, de sa discipline… ? Comment les scientifiques appréhendent-ils leur posture entre les injonctions liées à leur statut telles que les publications dans les revues dédiées à la recherche et les interventions dans les médias ? S’interrogent-ils sur leurs comportements éthiques en médiation et médiatisation ?

La médiatisation de la science et les dispositifs innovants

La construction d’une meilleure médiatisation de la recherche, dès lors que l’on considère que la science permet la construction d’un monde plus éclairé et qu’elle produit un savoir utile au vivre ensemble, ne se présente-telle pas tel un challenge majeur et un défi sociétal anticipant sur de nouvelles formes de collaboration, voire de rapprochements possibles entre le monde universitaire et celui des médias ? Il s’agit ici de s’interroger, d’une part, sur la capacité des médias à mobiliser les savoirs scientifiques, et, d’autre part, sur les dispositifs médiatiques à l’instar du siteThe Conversation(Lipani, 2019) et autres initiatives et modalités valorisant la dimension sociale de la recherche et permettant aux chercheur.e.s, d’intervenir dans le débat public.

Calendrier

  • Dossier publié dans le n° 20, parution : octobre 2020.
  • Les articles sont attendus pour le : 15 mai 
  • Retour aux auteurs-rices : 15 juin 
  • Retour des articles définitifs : 31 juillet 

Les propositions d’articles (entre 30 000 et 40 000 signes espaces compris, bibliographie et notes de bas de page inclus) sont à adresser à :

  • marie-christine.lipani(at)ijba.u-bordeaux-montaigne.fr
  • catherine.Pascal(at)u-bordeaux-montaigne.fr

Le guide pour la rédaction des articles est à consulter sur le lien suivant :https://journals.openedition.org/rfsic/401

Bibliographie

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