Réemplois contemporains du film amateur #2

De la mémoire individuelle à la mémoire collective

Expected response for the 16/04/2023

Response type Résumé

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Le Laboratoire interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés organise à Nice, les 24 et 25 octobre 2023, le second colloque relatif au programme de recherche REC-forward : « Réemplois contemporains du film amateur #2 / De la mémoire individuelle à la mémoire collective ». Les propositions sont attendues pour le 16 avril prochain.

Présentation

Une équipe du LIRCES (Laboratoire interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés) a ouvert en 2022 un programme de recherche consacré aux « Réemplois contemporains du film amateur », afin d’interroger les modalités et les enjeux d’un phénomène qui se développe de façon inédite au cours des dernières années : les pratiques de réemploi puisant leur matière dans les images animées amateures, soit « les images en mouvement évoquant tout aspect de la vie de nos sociétés, hier et aujourd’hui, réalisées sur tous les formats et supports et qui, à l’origine, n’étaient pas destinées à une diffusion dans les circuits professionnels de l’audiovisuel » (Site Inédits 2023).

Nous désignons sous le terme de “réemploi” toutes les pratiques – esthétiques, plastiques, documentaires, autobiographiques, musicales, visuelles, historiographiques…- qui s’appuient sur la réappropriation de ces images souvent intimes pour produire de nouveaux contenus, porteurs de leurs propres intentionnalités, dans des formes et formats revisités. Si le réemploi est une pratique ancienne, il s’est traditionnellement développé au cours de l’histoire sur la base d’images professionnelles, issues des nombreux films de fiction qui ont marqué l’histoire du cinéma – et tout particulièrement du cinéma hollywoodien. La concentration actuelle de ces pratiques de réemploi autour des images amateures s’explique par un double phénomène. Les films amateurs les plus anciens, tournés sur pellicule ou vidéo depuis la mise sur le marché, au début des années 1920, des premiers appareils de prise de vue amateurs, sont aujourd’hui récoltés, restaurés, numérisés, mis à disposition par le biais de plateformes archivistiques spécialisées. Un important patrimoine filmique, méconnu et d’une grande diversité de formes, de genres et de sujets, est donc accessible à tous. Par ailleurs, la période récente a été marquée par une explosion des pratiques amateures et par une mutation de leurs expressions, au croisement de multiples phénomènes : l’avènement des formats numériques et la possibilité de filmer à volonté sans excroissance des coûts induits ; l’adjonction de dispositifs de prise de vue de qualité sur les téléphones portables permettant de filmer à tout moment de la vie quotidienne, entraînant une « banalisation » de l’acte de filmer, « sans intention esthétique ou d’archives » (Rivière, 2006, p. 121) ; la mise à disposition sur Internet de logiciels de montage et de post-production de niveau professionnel à des coûts accessibles ; et enfin l’institutionnalisation d’outils numériques de partage des productions audiovisuelles amateures sur les plateformes contributives et les réseaux sociaux, qui ont galvanisé ces pratiques en offrant la possibilité de diffuser, gratuitement et au plus grand nombre, ces innombrables images amateures. Ainsi, ces images, d’hier et d’aujourd’hui, accessibles sur Internet, engendrent de multiples réappropriations, au gré d’enjeux très différents – enjeux mémoriels, éthiques, testimoniaux, politiques, mais aussi narratifs, esthétiques, documentaires, journalistiques – que le programme de recherche engagé par le LIRCES entend interroger.

Le colloque « De la mémoire individuelle à la mémoire collective »

Les 19 et 20 octobre 2023 aura lieu à Nice le deuxième colloque international « Réemplois contemporains du film amateur » autour de la thématique suivante : « De la mémoire individuelle à la mémoire collective ». Bien sûr, par nature, le film amateur est « stimulateur de mémoire » (Bertin-Maghit, 2015), et ce n’est pas par hasard si nombre d’archives dédiées au film amateur recourent à ce terme pour s’identifier : Mémoire (CICLIC), Mémoire des Images Réanimées d’Alsace, Cinémémoire (Marseille), Mémoire filmique d’Ile-de-France, Mémoire filmique Pyrénées-Méditerranée, etc. De même, l’acte de réemploi, ne serait-ce que par l’hétérogénéité temporelle qui lui est consubstantielle, et sa dimension souvent archéologique, entretient un lien puissant avec cette notion et son corollaire, l’archive. Ainsi, l’enjeu de ce colloque consistera à croiser de manière spécifique le concept polysémique de « mémoire » avec les enjeux soulevés par les propositions de réemploi du film amateur dans une dimension interdisciplinaire.

La mémoire est un concept riche de ses différentes acceptions lexicales : de la localisation mentale des souvenirs, à l’acte même de remémoration volontaire ou involontaire, en passant par les dispositifs numériques de traitement et de conservation de données (ce qu’on appelle couramment la « mémoire vive »). Par-delà cette polysémie riche en perspectives, rappelons que la mémoire est dans un premier temps un phénomène individuel et existentiel : « c’est la mémoire qui fait l’homme » (Tadié & Tadié, 1999, p. 9). D’une part, la mémoire s’édifie dans une relation complexe aux différentes temporalités et dans une durée constitutive du sentiment d’existence (Bergson, 2012). D’autre part, le ressort du souvenir est principalement affectif – et donc sélectif – et relève de la complexité de la psyché individuelle, avec ses détours, reconstructions et modifications. Lorsque la mémoire volontaire s’associe aux différentes techniques de conservation et de circulation des souvenirs, elle s’ouvre à l’altérité et à la société. Le concept de mémoire engage alors une réflexion sur la construction d’identités collectives à plusieurs échelles, du cercle privé à la société dans son ensemble, du récit personnel à l’histoire commune (Le Goff, 1977), sur les différentes formes de patrimonialisation qui en procèdent – la distinction par exemple entre patrimoine hérité et patrimoine revendiqué (Nora, 1996) –, mais aussi sur les modalités matérielles ou immatérielles de transmission des données du passé et de conservation des données du présent et leurs différentes instances de production (individuelles, collectives, communautaires, étatiques, archivistiques, machiniques, etc.). La notion de mémoire impose enfin d’en penser les limites intrinsèques qui peuvent prendre une coloration politique et engagent une réflexion éthique : l’injonction commémorative à une mémoire close sur elle-même (Todorov, 1995) ou encore l’effacement tyrannique des mémoires, qui peut être corrigé en art de l’oubli (Ricoeur, 2003).

À l’heure où, si l’on en croit Pierre Nora, nous vivrions à l’aune d’une “mémoire généralisée” (Nora 1984), phénomène de valorisation du passé et de production de documents mémorables comme augmenté depuis vingt ans par le contexte numérique, plusieurs questions nous semblent ainsi faire de ce concept un pivot réflexif intéressant au regard des propositions de réemploi du film amateur.

Les propositions pourront, de manière non exhaustive, s’articuler autour des axes de réflexion suivants :

  • Comment ces travaux participent-ils de l’écriture de l’Histoire – en entretenant ou comblant les “trous de mémoire” (Stora, 2007, p .60) qui la caractérisent -, mais aussi comment valorisent-ils une approche relevant de la micro-histoire, du fait même de la matière à laquelle ils ont recours (Cuevas, 2022) ?
  • Quels sont les biais qui accompagnent ces écritures en termes de détournements, de falsification, d’ellipses ?
  • Comment penser le statut de l’archive privée dans des travaux de réemploi réalisés avec une intention historiographique ou patrimoniale ?
  • Quelles typologies de médiations accompagnent le travail de mémoire, et quels sont leurs enjeux narratifs, discursifs et communicationnels ?
  • Que devient le concept d’identification lorsque le récit d’une vie, par l’impression de réel induite par le recours aux images amateures, renvoie le spectateur à ses propres expériences ?
  • Comment sont travaillées les temporalités multiples qu’engagent ces propositions, entre les temps de l’enregistrement des prises de vues, de leur réemploi, et de la réception de l’œuvre de réemploi (Grossman & Kirstein Høgel 2020) et l’expérience de « disparité temporelle » que peut éprouver le spectateur (Baron, 2017) ?
  • Comment, dans le contexte contemporain de patrimonialisation des contenus numériques (Musiani et Schafer, 2017), ces travaux participent-ils de la création de la “mémoire de demain” dans une époque caractérisée par l’abondance et la dématérialisation des productions d’images animées, souvent éphémères ?

Le colloque accueillera aussi bien des universitaires et spécialistes de la question, que des professionnels, archivistes, ou artistes engagés dans des travaux de réemploi.

Les communications pourront être faites en français ou en anglais. Elles donneront lieu à une publication en 2024.

Les propositions de communication prendront la forme d’un résumé de 5000 caractères environ, et d’une brève présentation personnelle. Elles devront être envoyées avant le 16 avril 2023, par email, à l’adresse suivante : reemploi.film.amateur@laposte.net

La programmation REC.forward #2

Afin d’ouvrir la question du réemploi des films amateur au grand public, la semaine REC.forward sera l’occasion, parallèlement au colloque, de programmer dans différents lieux culturels partenaires à Nice, des œuvres de réemploi, quels que soient leur nature et leur format.

Toutes propositions d’œuvres à exposer, projeter ou installer, selon différentes de médiation à discuter, peuvent envoyées par email à l’adresse suivante : reemploi.film.amateur@laposte.net

Références citées

Baron, Jaimie (2017). « Un ‘Indien’ dans les archives : le document trouvé et l’image composite », Décadrages, n°34-36, pp. 56-63.

Bergson, Henri (2012 [1896]), Matière et mémoire. Paris : Presses Universitaires de France.

Bertin-Maghit, Jean-Pierre (2015). Lettres filmées d’Algérie. Des soldats à la caméra (1954-1962). Paris : Nouveau Monde Éditions.

Cuevas, Efrén (2022). Filming History from Below: Microhistorical Documentaries. New York: Columbia University Press/Wallflower.

Grossman, Alyssa & Kirstein Høgel, Arine (2020). “Looking for a ‘Now‐Time’ in Family Film Footage: Appropriating and Activating Archival Images in the Present”, Visual Anthropology Review, 36 (1). pp. 90-112.

Le Goff, Jacques (1977), Histoire et mémoire. Paris : Gallimard.

Musiani, Francesca & Schafer, Valérie (2017). « Patrimoine et patrimonialisation numériques », RESET [En ligne], n°6, http://journals.openedition.org/reset/803

Nora, Pierre (1984). Les lieux de mémoire, La République, tome 1. Paris : Gallimard.

Ricoeur, Paul (2003). La Mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris : Seuil.

Rivière, Carole-Anne (2006). “Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien”, Sociétés, n°91, pp. 119-134.

Stora, Benjamin (2008). « Préface. La France et ‘ses’ guerres de mémoires », in Pascal Blanchard (dir.). Les guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques. Paris : La Découverte, pp. 7-13.

Tadié, Jean-Yves & Tadié, Marc (1999). Le Sens de la mémoire. Paris : Gallimard.

Todorov, Tzvetan (1995). Les Abus de la mémoire. Paris : Arléa.

 

Ce colloque est organisé par le LIRCES (Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés).

Direction du programme

Sophie Raimond (PRAG, Sciences de l’information et de la communication, LIRCES)

Christel Taillibert (PR, Sciences de l’information et de la communication, LIRCES)

Comité d’organisation

Michaël Arlotto (Doctorant, Sciences de l’information et de la communication, LIRCES)

Bruno Cailler (MCF, Sciences de l’information et de la communication, LIRCES)

Aloïs Deras (Doctorant, Sciences de l’information et de la communication, LIRCES)

Frédérique Lambert (Docteure en Etudes cinématographique, LIRCES)

Stefano Leoncini (MCF, Langues et littératures romanes, LIRCES)

 

Ce programme de recherche bénéficie du soutien du LIRCES, de l’EUR CREATES, de l’Université Côte d’Azur, de l’IDEX UCAJedi (Académie 5) et de la Ville de Nice (Comité Doyen Jean Lépine).

Le LIRCES (Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés) est engagé depuis sa création dans un projet scientifique inter et transdisciplinaire croisant Psychologie, Anthropologie, Ethnologie, Civilisations et Littératures, Sciences de l’information et de la communication, autour d’une thématique fédératrice qui est le récit, et plus encore, la narrativité entendue comme puissance de narration.