Penser l’expérience : un enjeu pour les SHS

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Response type Résumé

Event type colloque

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Event place Université Toulouse II - Jean Jaurès, Maison de la recherche, Toulouse , France

Le colloque “Penser l’expérience : un enjeu pour les SHS” se tiendra à l’Université Toulouse Jean Jaurès du 29 au 31 mai 2024. L’appel à contributions est en ligne.

Présentation

Le terme d’expérience est aujourd’hui largement répandu dans les mondes marchand et culturel. Ces usages se sont multipliés parallèlement à la numérisation de la société : ainsi, l’individu serait-il invité non plus seulement à consommer mais à « vivre des expériences » ; les institutions et industries culturelles proposent-elles des disposifs de médiation qui se réclament de l’expérience, etc. Dans le monde marchand, AirBnb a par exemple transformé l’hôtellerie en proposant un nouveau mode de résidence en voyage, en mettant en avant l’expérience de se loger chez l’habitant comme une valeur ajoutée au voyage. Il en est de même pour les déplacements avec Blablacar, la plateforme de covoiturage entre particuliers. Dans le monde culturel, la notion d’expérience est fréquemment associée à des dispositifs d’immersion grâce à l’usage de la réalité virtuelle (Grotte de Lascaux) ou par des dispositifs d’exposition spectaculaire (Les Ateliers Lumières). Cette nouvelle manière de qualifier une offre, qu’elle soit marchande ou culturelle, émerge dans un contexte où les relations de dépendances et d’interdépendances entre producteurs et consommateurs se multiplient. Ce qui n’est pas sans poser de questions concernant l’instrumentalisation de la notion d’expérience à des fins marketing (les allusions sémantiques à l’expérience de l’aventure proposée par l’enseigne Nature&Découverte, l’expérience bibliophile figurée dans la section libraire de la FNAC…).

Du côté de la recherche académique, la notion d’expérience constitue actuellement une notion mobilisée et discutée dans plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales. Certains auteurs, comme Hervé Glevarec, vont même jusqu’à parler de « paradigme de l’expérience» (Glevarec, 2021). Ayant de multiples racines, non seulement dans la philosophie de Kant ou dans la phénoménologie de Merleau-Ponty, mais aussi dans la philosophie pragmatique de Dewey, cette notion interroge simultanément un vécu cognitif, émotionnel et corporel (Merleau-Ponty, 1945). Il s’agit tantôt d’une situation qui se distingue du reste de l’existence, comme une intrigue ayant un début et une fin (Dewey, 1934), tantôt comme un ensemble d’épreuves vécues se cristallisant sous une forme d’expertise (Gadamer, 1960). Elle renvoie à la fois à une approche individuelle, développée dans le cadre du tournant subjectif des SHS, et à une perspective collective.

Ainsi est-il essentiel de rappeler que le tournant subjectif a placé l’individu et sa subjectivité au cœur des réflexions : son histoire personnelle, la dimension émotionnelle de son vécu et plus uniquement sa dimension relationnelle ou fonctionnelle, tout en interrogeant les multiples médiations impliquées. L’expérience s’inscrit finalement dans le rapport au monde propre à chaque individu. Mais l’importance du lien social s’avère par ailleurs centrale, que ce soit à travers l’expérience esthétique, dans le contact avec l’œuvre, comme en sociologie de l’art (Bourdieu et Darbel, 1969), ou dans la perspective d’un partage collectif (Caune, 2017). Inscrite dans un espace de production de sens (Boutaud, 2021), elle porte par ailleurs en elle une dimension créative, chaque nouvelle expérience étant de fait inédite.

Finalement, il est possible de présenter l’expérience comme une recherche que chaque sujet peut souhaiter vivre et éprouver, ou en être marqué. En quête de sensations, d’émotions, d’interactions sociales ou de connaissances, chacun peut également rechercher ses conséquences. Une expérience peut finalement être individuelle ou collective, vécue seul·e ou partagée, être ordinaire ou rare, en rupture avec le quotidien. Les différentes descriptions évoquées permettent de souligner à quel point la notion d’expérience est protéiforme, et montrer l’intérêt qu’elle soit devenue aujourd’hui un objet de recherche à part entière des sciences humaines et sociales.

L’objectif du colloque sera finalement d’interroger ces différentes pistes de réflexion autour de la notion d’expérience. En quoi le recours au concept d’expérience amène-t-il à repenser les productions médiatiques, les dispositifs mobilisés mais également les réceptions et les significations que le public lui accorde ? Comment interroger aujourd’hui le rapport au réel ? Quels enjeux la mobilisation du concept d’expérience rend-il visibles ? En quoi ce concept peut-il inciter les chercheurs de disciplines variées à repenser les disciplines et leurs frontières académiques ?

Trois axes d’étude sont envisagés pour ce colloque : les enjeux épistémologiques, les terrains mobilisant l’analyse de l’expérience, les interrogations méthodologiques, et ce quelles que soient les disciplines des SHS considérées.

1. Enjeux épistémologiques

Madelrieux a distingué quatre sens au terme « expérience », qui se seraient succédés au cours de l’histoire de la pensée : l’empirique, l’empiriste, l’expérimental et l’expérientiel (Madelrieux, 2010). Le premier sens fait de l’expérience un type de savoir « fiable », mais relatif à des buts pratiques, qui n’implique pas la connaissance des causes ou des raisons desphénomènes contrairement au savoir scientifique. Le sens empiriste fait de l’expérience l’instance critique, au sens où elle apparaît comme un moyen de lutter contre tous les dogmatismes qui se couvrent de l’autorité de la raison pour s’imposer universellement et nécessairement. L’expérimentation et le raisonnement sont des phases intégrées et complémentaires de toute activité de pensée (l’enquête), que chacune des autres approches, empiriste et rationaliste, a occulté du processus concret pour les opposer. A l’inverse, la quatrième conception de l’expérience souligne l’idée d’une irréductibilité de l’expérience telle qu’elle est vécue à l’expérience objective et naturalisée de la science (bergsonisme, phénoménologie).

Mais comment ce concept est-il aujourd’hui mobilisé dans les recherches en SHS ? Dans quelles filiations scientifiques s’inscrivent les recherches contemporaines qui font référence à la notion d’expérience ? Avec quels objectifs épistémologiques ?

2. Enjeux de terrain

La notion d’expérience est aujourd’hui mobilisée en Sciences Humaines et Sociales pour décrire des situations variées, appartenant aussi bien à l’univers médiatique ou culturel, qu’au monde marchand ou encore aux formes organisationnelles. Les chercheur·es s’intéressent alors à des objets médiatiques aussi variés que les jeux vidéo, les expositions muséographiques, les spectacles, etc., en supposant une attention particulière pour le public, son ressenti et sa perception. Cet intérêt peut se focaliser sur les dispositifs numériques permettant de prolonger ces formes d’expérience, articulant réel, virtuel et imagination, avec des approches centrées sur le « design de l’expérience utilisateur ». Cette notion renvoie également à des recherches portant sur les modalités d’engagement des acteurs professionnels et leur sentiment d’appartenance aux organisations. Ainsi les terrains d’observation sont-ils nombreux et variés pour aborder ce phénomène complexe de l’expérience : espace public, salle de réunion ou de musée, écran… Et ces terrains nécessitent une réflexion sur les situations de communication et les médiations afin de repeupler d’humains et de non-humains les phénomènes de l’expérience.

Dans les recherches contemporaines, quels sont précisément les objets et les terrains explorés à partir de ce concept ? A quelle échelle de terrain, micro, méso ou plutôt macro, la notion d’expérience peut-elle être éclairée et problématisée ? Ces différents terrains comportent-ils des spécificités dans leur appréhension par le·s chercheur·es ?

3. Enjeux méthodologiques

L’existence de terrains très variés amène à interroger les méthodologies d’enquête mobilisées. Certaines peuvent être issues des études de public, développées en France depuis les années 1980 et adossées à différents types d’outils et de méthodes quantitatives ou qualitatives : étude des audiences, sondages d’opinion, entretiens semi-directifs, focus groups, etc. D’autres proviennent de la sociologie de l’innovation ou de la sociologie de la consommation et s’intéressent notamment aux pratiques (discursives et extra-discursives) des acteurs. Dans ce cas, il s’agit d’étudier la dynamique de construction de sens et de vécu émotionnel des individus (Schmitt, Aubert, 2017 ; Glevarec, 2021 ; Basso Fossali, 2007). Certaines recherches sémio-pragmatiques abordent enfin l’expérience spectatorielle inscrite par les concepteurs dans leurs dispositifs médiatiques, allant du cinéma au multimédia interactif par exemple (Denizart, Péquignot, 2022). Ce type d’approche tente d’observer la place des dispositifs numériques dans la transformation des expériences vécues (Collet, Durampart, Heiser, 2021).

Existe-t-il finalement des méthodes spécifiques pour appréhender l’expérience de manière empirique ? Comment chaque approche méthodologique offre-t-elle une manière d’étudier les conceptions de l’expérience portées par les publics comme les concepteurs ? Comment permettent-elles de rendre compte d’expériences à la fois individuelles et collectives ?

Finalement, l’objectif de ce colloque sera d’interroger en quoi la mobilisation de la notion d’expérience peut renouveler l’épistémologie des SHS. En particulier, comment certaines disciplines des SHS, peu familières du concept d’expérience, peuvent-elles s’en saisir pour repenser leurs propres objets, concepts et méthodologies ? Enfin, une attention spécifique pourra être portée aux approches transdisciplinaires de l’expérience vécue.

Bibliographie

Basso Fossali, P. (2007). La gestion du sens dans l’émotion : du vertige aux formes de vie. Semiotica, 163(1⁄4), 131–158. https://doi.org/10.1515/sem.2007.008

Bourdieu, P., Darbel, A. (1969). L’amour de l’Art : les musées et leur public. Editions de Minuit.

Boutaud, J.-J. (2021). L’expérience d’un concept. Vers un nouvel âge post-expérientiel. Regards croisés sur l’expérience, diffusion et aventure interdisciplinaire d’un concept. REFSICOM. http://www.refsicom.org/966

Caune, J. (2017). La médiation culturelle. Expérience esthétique et construction du Vivre-ensemble. Presses Universitaires de Grenoble.

Collet, L., Durampart, M., Heiser, L. et Picard, L. (2021). Enjeux expérientiels de l’utilisation de l’IA en anatomopathologie. Communiquer, 33(2021). https://doi.org/10.4000/communiquer.8819

Denizart, J. M., Péquignot, J. (2022). La sémio-pragmatique. Théories et pratiques : Cinéma, télévision, audiovisuel, numérique. Presses Universitaires de Provence.

Dewey, J. (2005). La réalité comme expérience (traduit par P. Saint-Germier et G. Truc). Tracés. Revue de Sciences humaines, 9(2005). https://doi.org/10.4000/traces.204

Dewey, J. (1934). Art as Experience. Capricorn Books.

Gadamer, H.-G. ([1960] 1976). Vérité et Méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique. Seuil

Gilliotte, Q. (2022). L’expérience culturelle en régime numérique. Explorer, ranger, consommer. Presses universitaires des Mines.

Glevarec, H. (2021). L’expérience culturelle. Affects, catégories et effets des œuvres culturelles. Editions Les Bords de l’eau.

Kant, I. ([1843] 1992). Leçons sur la métaphysique. Le Livre de Poche.

Kant, I. ([1781] 2012). Critique de la raison pure. Presses Universitaires de France.

Madelrieux, S. (2010). Le pragmatisme et les variétés de l’expérience. Dans L. Perreau (dir.), L’expérience (p.111-131). Vrin.

Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Gallimard.

Quéré, L. (2021). La fabrique des émotions. Presses Universitaires de France.

Schmitt, D., Aubert, O. (2017). REMIND : une méthode pour comprendre la micro- dynamique de l’expérience des visiteurs de musées. Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 17(2), 43-70.

Theureau, J. (1996). Cours d’action et savoir-faire. Dans D. Chevallier, (dir.), Savoir faire et pouvoir transmettre : Transmission et apprentissage des savoir-faire et des techniques (p. 43- 60). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.3818

Webographie

http://www.designersinteractifs.org/2018 /01/07/ux-strategie-entreprises-francaises/

Comité scientifique

Philippe Bonfils (IMSIC, Université de Toulon)

Vincent Berry (EXPERICE, Université Paris 13)

Marie-Christine Bordeaux (GRESEC, Université Grenoble-Alpes) Fausto Colombo (Université Sacré-Cœur, Milan, Italie)

Anne Jarrigeon (LVMT, Université Gustave Eiffel)

Anik Meunier (UQAM, Canada)

Raphael Nowak (Université de York, Grande-Bretagne)

Irina Kirchberg (Université de Montréal, Canada)

Daniel Schmitt (De Visu, Université de Valencienne)

Cathy Vézina (UQAT, Canada)

Comité d’organisation

Laurent Collet, Professeur SIC, LERASS, Université de Montpellier Natalya Kolesnik, docteure SIC, LERASS, Université de Toulouse

Sarah Labelle, Professeure SIC, LERASS, Université de Montpellier

Elena Lapina, doctorante SIC, LERASS, Université de Toulouse

Muriel Lefebvre, Professeure SIC, LERASS, Université de Toulouse

Mélanie Le Forestier, docteure SIC, LERASS, Université de Toulouse

Pierre Molinier, Professeur émérite SIC, LERASS, Université de Toulouse

Modalités de soumission :

  • Proposition de communication : 5000 signes (espaces compris), non compris : 5 références bibliographiques, 5 mots-clés
  • Format de la communication orale : 20 minutes
  • Le dépôt des propositions de communication se fera sur le site du colloque https://experiencelerass.sciencesconf.org/
  • Un projet de publication des actes est prévu

Calendrier

  • Date limite d’envoi des propositions : 15 décembre 2023
  • Réponse aux contributrices et contributeurs : 30 janvier 2024
  • Dates du colloque : 29-31 mai 2024
  • Frais d’inscription (comprend les pauses et les 3 repas de midi)
    • doctorant·es, non titulaires : 40€
    • titulaires : 90€

 

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