Pouvoir et stratégie des acteurs de la gouvernance de l’information
Les enjeux informationnels et communicationnels auxquels font face les organisations publiques et les entreprises privées sont nombreux, qu’il s’agisse de leurs obligations de conformité, de leur réputation envers leurs publics, clients, fournisseurs et bailleurs de fonds, ou encore de leur performance. Ces enjeux incluent notamment des risques liés à la sécurité, l’intégrité et la disponibilité des contenus informationnels (Lemieux, 2013). La co-existence souvent non contrôlée de pratiques et dispositifs individuels et collectifs, au sein d’une même organisation, contribue à entraver la gestion des contenus informationnels et, au final, le développement d’une culture informationnelle commune (Bergeron et al., 2009; Smallwood, 2016). De tels enjeux deviennent critiques dans un contexte où les contenus informationnels, au-delà des technologies qui les soutiennent, représentent des actifs organisationnels essentiels à la réalisation des processus d’affaires (Kooper et al., 2011; MacLennan, 2014).
Plusieurs acteurs organisationnels se partagent – ou peuvent être tentés de revendiquer – un aspect du territoire de l’information et de la communication au sein des organisations, par exemple les spécialistes de l’information, de la documentation, du records management, de la communication, des technologies, mais aussi des affaires juridiques, de la sécurité et de la gestion des risques, ou encore de la vérification interne ou du service qualité. Dans une telle réalité compartimentée, diverses approches se côtoient quant aux référentiels, pratiques et dispositifs disciplinaires à privilégier (informationnels, technologiques, juridiques, etc.) pour assurer la gestion, l’intégrité et la sécurité des actifs informationnels de l’organisation. Plusieurs fonctions d’information-documentation-communication sont ainsi assumées par des unités administratives distinctes agissant souvent sans concertation entre elles, au risque de dédoubler les efforts, de multiplier les directives, dispositifs et plateformes, ou de négliger la prise en compte d’un certain nombre d’enjeux informationnels (Schlögl, 2005; AIIM, 2014).
Une réponse à ces enjeux pourrait bien consister en l’adoption d’un cadre de gouvernance de l’information voué à préciser les principes et règles de base, la structure de direction et les modalités de gestion de l’information pour que l’information soit utilisée de manière efficace et efficiente dans l’organisation (Logan, 2010; EDRM, 2011; ARMA International, 2018). Un tel cadre de gouvernance devrait préciser les comportements attendus (et non seulement souhaités) relativement à la création, au stockage, à l’évaluation, à la disposition et à l’utilisation de l’information (McManus, 2004; MacLennan, 2014) ou, plus largement, des actifs informationnels d’une organisation. Ceux-ci peuvent prendre « différentes formes, notamment numérique (par exemple : des fichiers de données stockés sur un support électronique ou optique), matérielle (par exemple : sur papier) ou en tant qu’information intangible (par exemple : les connaissances des salariés) » et être transmises « par différents moyens, notamment par courrier ou dans le cadre de communications électroniques ou verbales » (ISO, 2018, p. 13). Au cœur de la gouvernance de l’information se trouve le caractère essentiel du contrôle et de l’accessibilité de l’information, de sa gestion rentable, et de la valeur de l’information en lien avec les exigences de conformité et de reddition de compte (Davis, 2010; Kooper et al., 2011). La gouvernance de l’information considère également les problématiques liées à la protection des ressources et des systèmes d’information. L’ensemble de ces préoccupations ainsi que des considérants internes et externes à l’organisation vont nécessairement influer sur le type de gouvernance de l’information retenue (White et al., 2007), laquelle doit s’aligner avec la stratégie organisationnelle (Maurel, 2013; Smallwood, 2014; ARMA International, 2018).
Dans toute écologie ou tout écosystème organisationnel, la stratégie et les dynamiques du pouvoir constituent des incontournables (Davenport, 1997; Letiche et van Mens, 2003; Moore, 2006; Koenig, 2012). L’aspect relationnel de la gouvernance de l’information est primordial. Un cadre de gouvernance, tant sa structure que ses processus, devrait être conçu en tenant compte de l’ensemble des acteurs concernés (Kooiman, 2002), et s’inscrire dans une culture informationnelle partagée (Choo, 2013; Oliver et Foscarini, 2014). Cela implique de tenir compte de l’action collective d’acteurs aux intérêts parfois distincts, qui ont tendance à approcher l’information, les risques informationnels et les technologies en fonction de leurs responsabilités dans l’organisation et des champs disciplinaires dont ils sont issus. De l’action collective de ces acteurs et du consensus qui s’établit doit émerger une gouvernance négociée, celle-ci participant à l’établissement d’un nouvel ordre organisationnel, en l’occurrence ici autour de préoccupations informationnelles (Strauss, 1978, 1992; Friedberg, 1997). Une telle gouvernance de l’information se veut donc globale et transversale, intégrant toutes les fonctions de l’information au-delà des unités administratives et des champs disciplinaires, afin d’éviter des initiatives « en silo ». Elle se veut également interactive et participative puisqu’entrent en considération des notions de participation, de pouvoir et de négociation.
Le pouvoir (ou influence) et les habiletés politiques font partie de la vie en organisation (Mintzberg, 1983; Pavy, 2002) et devraient donc être pris en compte pour prétendre à une gouvernance efficace. Si des jeux d’acteurs pour le pouvoir s’observent dans toutes les organisations, les acteurs n’ont pas tous le même poids politique ni les mêmes capacités à jouer le jeu politique pour s’affirmer comme des joueurs importants, sinon incontournables, de la gouvernance de l’information. Le pouvoir consiste en l’habileté d’une personne ou d’une unité administrative à influencer d’autres personnes ou unités, groupes, etc., de manière à ce qu’ils livrent les résultats escomptés (Bergeron, 2006; Daft, 2016; Moran et Morner, 2017). Il peut être exercé de manière verticale, donc hiérarchique, et s’apparenter ainsi à l’autorité, ou encore de manière horizontale entre les unités administratives.
Les sources de pouvoir sont multiples et doivent être modulées selon le statut occupé par les individus ou les unités administratives dans l’organisation. Au-delà de sources structurelles du pouvoir (légitimité du statut hiérarchique et donc pouvoir d’autorité, assorti du pouvoir de récompense, de coercition et d’information; ressources à allouer, créant une possible situation de dépendance; etc.), des sources personnelles (ou conjoncturelles) sont également à considérer (expertise; compétences; affiliation; etc.) (Ouimet, 2008; Lainey, 2015; Daft, 2016). Quelles sont alors les sources de pouvoir et d’influence réelles des professionnels de l’information-documentation-communication par rapport à leurs « partenaires d’affaires » dans leur organisation ?
Des habiletés « politiques » fondamentales doivent aussi être maîtrisées, par exemple « faire une lecture perspicace de la conjoncture dans laquelle [les acteurs] se trouve[nt] » (Ouimet, 2008, p. 78). Cette lecture se traduit par un questionnement stratégique pour bien comprendre le contexte et savoir exploiter les bases du pouvoir politique en organisation : comment, au sein de cet écosystème que forme l’organisation, se manifestent les jeux de pouvoirs ? Peut-on identifier des acteurs-métiers systématiquement aux manœuvres ou au cœur de problématiques relationnelles de gouvernance ? Quels sont les leviers pour résoudre ces problématiques ? Quels sont l’identité et le rôle des acteurs ? Comment exercent-ils ces habiletés ? Sur quels construits ? En s’appuyant sur quelles ressources ? Peut-on identifier leurs intérêts, leurs enjeux ? Ceux-ci sont-ils individuels ou collectifs ? Ces « luttes de pouvoir » prennent-elles forme dans certains secteurs d’activité, certains milieux et cultures professionnels ? Peut-on dresser une typologie ou tout au moins en extraire des caractéristiques saillantes ? (IIED, 2005; Ouimet, 2008; Lainey, 2015). Les habiletés « politiques », au sein des organisations, sont-elles réservées aux hauts dirigeants ou doivent-elles être mobilisées par les professionnels de l’information, de la documentation et des communications ?
Au sein de ce numéro, nous nous interrogerons également sur les professionnels de l’information-documentation-communication. Ces derniers sont-ils prêts (et/ou préparés) à mettre en œuvre de telles habiletés pour s’affirmer comme joueurs incontournables au sein de la stratégie de gouvernance de l’information de leur organisation ? Peuvent-ils s’appuyer sur des dispositifs et outils pour les soutenir dans cette démarche ? Sentent-ils qu’ils ont les compétences pour ce faire et désirent-ils s’en prévaloir ? Dans un contexte où s’amorce une réflexion sur l’implantation d’un cadre de gouvernance de l’information, où s’affrontent les intérêts des acteurs organisationnels et où doivent se redéfinir les rôles des acteurs dans cette gouvernance négociée, quid du rôle des professionnels de l’information-documentation-communication ? Sont-ils considérés comme des acteurs importants et/ou influents ? Désirent-ils l’être et comment peuvent-ils s’affirmer stratégiquement ? Les jeux de pouvoir, dans les organisations, doivent-ils s’exercer tant aux plans opérationnel et tactique que stratégique ? Quelles doivent être les relations d’acteurs dans l’exercice de ce pouvoir organisationnel ? Quelle image de marque les professionnels de l’information-documentation-communication doivent-ils développer au sein de leur organisation ? Quelles stratégies de défense de leur champ d’expertise (advocacy) doivent-ils conduire pour ce faire ?
Voilà autant de questionnements s’inscrivant dans la thématique de ce numéro axé sur le pouvoir et la stratégie chez les acteurs de la gouvernance de l’information.
Bibliographie
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Bergeron, Pierrette, Christine Dufour, Dominique Maurel et Diane Mercier. (2009). La gestion stratégique de l’information. In Jean-Michel Salaün et Clément Arsenault (dir.). Introduction aux sciences de l’information. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, p. 183-205.
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Calendrier prévisionnel
- Juillet 2020 : publication de l’appel à contributions
- 30 septembre 2020 : limite de soumission des résumés
- 2 novembre 2020 : retour aux auteurs
- 28 février 2021 : envoi des articles complets
- 19 avril 2021 : retour des évaluateurs
- 31 mai 2021: correction par les auteurs
- 21 juin 2021: décision définitive de publication
- Juillet 2021 : parution du numéro
Recommandations aux auteurs
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Toute proposition doit être rédigée en français et prendra la forme d’un résumé (environ 5 000 signes, espaces compris, hors bibliographie) présentant l’introduction/problématique, la méthodologie utilisée (approche, collecte, analyse), les principaux résultats, la conclusion/apport de la recherche. Le résumé doit être complété par une bibliographie qui récapitulera les principales références mobilisées dans le texte pour soutenir l’argumentaire.
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Les envois doivent se faire au format Word avec le prénom et le nom du premier contributeur dans le nom du fichier.
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Chaque proposition est évaluée de façon anonyme par deux experts.
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Merci de respecter les normes de rédaction de la revue, consultables sur : http://revue-communication-management-eska.com/contribuer/normes-de-redaction
- Les propositions doivent parvenir au plus tard le 30 septembre 2020 aux trois coordonnatrices de ce numéro thématique : dominique.maurel@umontreal.ca, zwarich.natasha@uqam.ca et lise.verlaet@univ-montp3.fr
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Dans le cas des résumés acceptés, l’article final comportera de 35 000 à 50 000 signes, espaces et bibliographie compris.
* La revue fait partie de la liste des revues classées du domaine des Sciences de l’information et de la communication (SIC) ainsi que par la FNEGE au rang 4.