Mots. Les langages du politique

Les mots du vote de la Rome antique à nos jours

sens et significations, traductions, réappropriations

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Response type Résumé

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Publication name Mots. Les langages du politique

Coordinators

Ce numéro propose de se focaliser sur les réalités politiques anciennes, par l’angle d’attaque du vote à Rome (vote électoral, législatif et judiciaire). Nous voudrions interroger la valeur politique des mots latins et grecs et retracer l’histoire de leurs traductions, de leurs reprises et de leurs transformations dans le temps long, jusqu’à la période contemporaine. Cette perspective à la fois synchronique et diachronique doit permettre de faire dialoguer spécialistes de l’Antiquité et spécialistes des périodes postérieures pour cerner, par des approches principalement historique, lexicologique (voire traductologique) et politistes, tout autant l’importance de l’étude des mots pour comprendre les realia et les rapports de force politiques à Rome que le rôle de la référence à l’Antiquité dans la construction de la pensée et des systèmes politiques modernes (sur ce dialogue, Bonnafous et al., 2003).

L’étude lexicologique des réalités politiques anciennes est placée, dans le domaine francophone, sous l’ombre imposante de la thèse de J. Hellegouarc’h (Hellegouarc’h, 1963). Toutefois, cette étude défendant l’idée que le vocabulaire politique traduit essentiellement des relations interpersonnelles (Hellegouarc’h, 1963, p. 136) ne s’intéresse pas à proprement parler aux institutions en général, et au vote en particulier, sinon pour aborder le lexique de la brigue et de la sollicitation électorales (ambitio et petitio notamment, Hellegouarc’h, 1963, p. 208-221). Les travaux considérant les mots du vote comme un lexique technique ou comme un terrain d’étude sérieux pour saisir des pratiques qui demeurent difficiles à reconstruire sont rares ou anciens et ne constituent pas des études d’ensemble (Tibiletti, 1950 ; De Francisci, 1959 ; Astin, 1962 ; Levick, 1967 ; Astin, 1969 ; Janssen, 1971). Les mots du vote restent ainsi dans l’obscurité, d’autant plus que les études historiques classiques sur cette partie du système politique romain accordent peu d’intérêt à la dimension lexicologique de la question, évacuée en quelques mots et deux notes de bas de page par Theodor Mommsen (Mommsen, 1889) et ignorée, par exemple, par Claude Nicolet dans son Métier de citoyen (Nicolet, 1976), même si elle est abordée ailleurs (Nicolet, 1970). Pourtant, face aux apories ou aux silences des sources, la question des mots eux-mêmes ne saurait être négligée : savoir ce que les Romains entendaient par tel ou tel verbe renvoyant à l’élection d’un magistrat, ou comprendre comment les rapports de force lors d’un événement de vote informent le choix des mots qui en rendent compte permet de renouveler notre lecture de ces rituels civiques (Hollard, 2010).

L’absence de réelle étude de fond sur le lexique du vote à Rome s’explique en partie par notre grande familiarité avec ce vocabulaire, dans le sillage de la réappropriation contemporaine du vocabulaire politique romain, dont l’exemple le plus clair est sans doute la référence hégémonique depuis le xixe siècle à la « République » (dernièrement Moatti, 2018). C’est précisément cette proximité qui a conduit plusieurs spécialistes du vote à utiliser des modèles rétrospectifs, projetant sur l’Antiquité des fonctionnements politiques avérés pour les systèmes démocratiques des xixe-xxe siècles. Sans doute utiles dans une perspective didactique, ces analogies ne permettent pas d’interroger la stratification sémantique et les phénomènes de reprise et de réaffectation de sens qu’ont connus les désignations anciennes du vote depuis le Moyen Âge. Pourtant, depuis l’invention du sens moderne du terme « suffrage », jusqu’alors limité à la sphère religieuse, par Pierre Bersuire dans sa traduction de Tite-Live au xive siècle (Tesnières, 2019), jusqu’à l’acclimatation du « plébiscite » et du « référendum » aux systèmes politiques contemporains, une étude des motivations et des formes adoptées par ces réappropriations apparaît nécessaire. Plusieurs travaux ont d’ailleurs montré l’importance de la référence antique dans notre lexique politique en général (Thomas, 2013) et dans la conceptualisation des pratiques de vote en particulier (Le Digol et al., 2018). Nous isolons dans la suite de cet appel trois moments importants dans la réception des mots du vote romain : la fin du Moyen Âge et la première Modernité (période où la redécouverte des auteurs anciens s’articule à la formation de la pensée politique européenne) et, au sein de l’époque contemporaine, un premier moment napoléonien (Premier et Second Empire) et un second moment républicain (IIIe-Ve République).

Trois domaines sont envisagés, dont nous donnons quelques applications concrètes ci-dessous : l’étude des sens et significations des mots du vote dans la société romaine, l’analyse des phénomènes de réappropriation des réalités politiques anciennes par la reprise du lexique latin et grec, ainsi que la problématique des traductions, dans le cadre antique (du latin vers le grec et inversement) ou postérieur à l’Antiquité (des langues anciennes vers le français). De multiples perspectives pourront donc être adoptées pour nourrir l’analyse lexicologique et politique (synchronie, diachronie, étude sémantique, analyse de discours, etc.).

Sens et significations

Les historiens du vote romain ont souvent porté peu d’attention à la diversité du vocabulaire employé dans les sources. Les Romains disposaient pourtant d’un lexique qui paraît riche et qui renvoie à différentes étapes du vote qui ont été jusqu’à présent peu reliées à ce vocabulaire. On dispose de termes faisant probablement référence à l’acte de candidature (competitor, petere, candidatus), mais aussi d’autres évoquant plutôt l’issue du vote (autour de l’investiture ou de la promulgation d’une loi avec des verbes comme designare, declarare, etc.) en passant – c’est souvent le plus connu – par le vocabulaire de la campagne (brigue, corruption pour ne citer que le « couple » en partie resté sans définition précise : ambitio, ambitus) ou à celui des opérations de vote en particulier (à l’instar de suffragium). Diversifié et complexe, ce vocabulaire n’est pas dépourvu d’ambiguïtés qui nécessitent que l’on entreprenne une analyse lexicologique de détail. Un verbe aussi fréquent que creare (« créer ») fournit par exemple un exemple de terrain d’étude intéressant : celui-ci peut renvoyer aussi bien à la « création » d’un magistrat qu’à celle d’une magistrature ; le peuple est tantôt décisionnaire, tantôt simple spectateur (sur cette polysémie : Oakley, 1998). Un travail d’étude exhaustif des occurrences du terme permettrait peut-être d’en mieux saisir le sens : chez Tite-Live, par exemple, et à la différence de Cicéron, creare a dans ses 529 occurrences un sens politique, renvoyant à des magistratures « créées » ou à des magistrats « investis » dans celles-ci (Gaudemet, 2014). Nous faisons ici le pari qu’aborder le vote par les mots latins qui le disent permettra de porter un regard neuf sur un objet d’étude souvent envisagé sous la reconstitution parfois délicate de pratiques institutionnelles mal connues.

Nous encourageons donc dans ce premier axe des contributions qui permettraient d’éclairer le sens et la signification des termes et – si possible – leur lien avec les realia qui s’y rapportent. Particulièrement bienvenus seraient les éclairages se fondant sur une démarche de suspension (au besoin provisoire) des traductions un peu automatiques des termes romains par « élire », « nommer », « désigner », « voter », etc., sans pour autant se rabattre sur une fausse solution consistant, par exemple, à traduire creare par « créer ». Les pistes que nous aimerions pouvoir suivre éclaireraient les sens des termes (chez un seul auteur, ou dans un corpus plus large) en s’attachant à lier contexte politique et termes choisis par les locuteurs, synonymie ou parasynonymie entre différents termes, étude des variations lexicales en fonction du contexte littéraire ou des contraintes génériques, et confrontation entre lexique littéraire et le vocabulaire institutionnel (notamment tel qu’il se donne à voir dans la documentation épigraphique).

Traductions

À l’articulation des mots anciens et des mots modernes se situe le phénomène de la traduction, dont on sait qu’il n’est jamais neutre et engage toujours une posture d’interprétation des réalités engagées. Toutefois, la question de la traduction implique d’abord l’étude des transferts linguistiques au sein d’un empire davantage « gréco-romain » que seulement « romain » (Veyne, 2005), et dans lequel le bilinguisme gréco-latin est une composante que l’on ne peut ignorer (dernièrement Aubert-Baillot, 2021). De nombreuses sources sur le système électoral, législatif et judiciaire républicain proviennent ainsi d’auteurs de culture et de langue grecques, établis à Rome ou connaisseurs des réalités politiques romaines, de Polybe (Dubuisson, 1985) à Cassius Dion (Coudry, 2016). Des contributions sur les mots latins du vote chez des auteurs grecs dont le bilinguisme a peut-être moins été analysé (Denys, Appien, Plutarque) peuvent être une piste à explorer. Les contributeurs et contributrices sont également engagés à interroger l’emprunt par les Romains de termes (et potentiellement de réalités institutionnelles ou politiques) venant d’autres civilisations du Bassin méditerranéen : on connaît ainsi l’influence des législateurs grecs dans l’archéologie que les Romains faisaient de leur propre système politique tout comme le rôle de la civilisation étrusque dans la formation de plusieurs magistratures romaines.

Langue fille du latin classique (via le latin vulgaire), le français a essentiellement hérité dans son vocabulaire politique des mots latins ; toutefois, les correspondances ne sont pas toujours évidentes, à commencer par le nom « vote », dont l’équivalent latin (uotum) appartient à l’origine à la langue religieuse. Les contributions portant sur la traduction en français des réalités politiques anciennes pourront donc envisager les transferts de sens à l’œuvre dans les choix de traduction ou de non-traduction, tout particulièrement lorsqu’il est question de termes ambigus ou dont la traduction en français n’est pas évidente. On pourra ici aussi s’intéresser aux premières traductions en langue vernaculaire de textes anciens, renvoyer à des pratiques de vote ou, à l’autre bout de la chaîne, interroger l’influence des différents contextes politiques contemporains dans la traduction (et donc l’interprétation) des mots du vote. À titre d’exemple, entre 1355 et 1995, on peut constater que l’ambigu creare (« créer, investir, élire… ») est progressivement rendu en français par « élire », avec une nette inflexion à partir de la deuxième partie du xixe siècle. La mode des « belles infidèles » à partir de l’âge classique et surtout au xixe siècle, pourrait fournir un cadre d’étude intéressant pour observer la façon dont traduction rime toujours avec interprétation, en particulier quand il s’agit de questions politiques sur lesquelles les traducteurs pouvaient avoir leur mot à dire, en raison de leur imprégnation par leur contexte d’écriture.

Outre le corpus des traductions littéraires, qui engage des problématiques traductologiques propres, le phénomène de la traduction innerve tout un pan plus immédiatement politique du monde contemporain. En effet, les discours de campagne (et les discours des hommes et des femmes politiques en général) convoquent souvent les institutions romaines pour donner une historicité et une autorité tout antiques aux idées qu’ils défendent (voir par exemple Perrin, 2018). Les écarts avec les réalités anciennes auxquels oblige généralement la finalité politique de cette parole passent alors par le processus de traduction, qui permet de distordre l’Antiquité pour l’adapter au temps présent. On peut penser par exemple à Jean-Luc Mélenchon parlant régulièrement de « tribuns du peuple » au lieu des « tribuns de la plèbe » (tribuni plebis), peut-être pour éviter une expression trop technique ou trop réductrice, dans la stratégie des « signifiants flottants » propre aux populismes (Khalfa, 2019). L’échéance électorale à venir donne toute son actualité à ces jeux de traduction plus informels, et nous accueillerons donc les analyses qui interrogeraient à différentes échelles le rôle du contexte de traduction, et notamment de l’image de la République romaine, dans le rendu en français des mots anciens du vote.

Réappropriations

Ce dernier point conduit naturellement vers un ultime axe de réflexion, qui concerne les différentes formes, conscientes ou inconscientes, de réappropriation des mots anciens du vote dans les périodes ultérieures. Quelles stratégies les acteurs des sphères politiques ou juridiques mettent-ils en place lorsqu’ils se réfèrent, explicitement ou non, au vote romain et en reprennent le lexique ? L’Antiquité en général, et le latin en particulier, incarnent de longue date une autorité incontestable en matière politique (Urfalino, 2017), et s’y référer peut être un moyen de donner du poids à un changement institutionnel ou à une pratique politique (sur le paradigme classique de la « tradition » antique, voir Hardwick et Stray, 2011). Un exemple clair est celui des nombreux plébiscites du Second Empire, caractéristique importante du fonctionnement politique du régime napoléonien (Pierre, 1995), et dont Honoré Daumier pouvait dire plaisamment, à l’occasion de la consultation pour la révision constitutionnelle de mai 1870, qu’il s’agissait « d’un mot latin qui veut dire OUI » (Le Charivari, 30 avril 1870). La référence antique peut interroger en la matière si l’on se rappelle que le plébiscite romain (plebiscitum) renvoyait aux seules décisions prises par les plébéiens au sein du concile plébéien, dont les patriciens étaient exclus, et ne s’appliquait à l’origine qu’à une partie réduite du corps civique (Humbert, 1998), loin de l’universalité approbatrice des plébiscites bonapartistes. Terme lui aussi d’origine latine, mais cette fois sans référent propre dans les institutions romaines, le référendum s’impose dans les institutions de la Ve République et reçoit généralement une connotation populiste moindre (Denquin, 2019 sur la limite de cette opinion commune). L’étymologie interpelle ici aussi, car si le mot est attesté dès le xvie sous la forme ad referendum, indiquant que la consultation du corps civique s’effectue « pour dresser un rapport » de l’opinion ou, dans une perspective juridique, « pour en référer » à un mandant, ici les citoyens (Jouve, 2021), il résonne également avec l’expression latine ferre ou referre ad populum (« porter » ou « rapporter au peuple »), et l’on retrouve ici une notion toute bonapartiste, sinon monarchiste : celle d’« appel au peuple » (Denquin, 2013).

Ainsi, l’enchevêtrement entre une référence antique connue, mais aussi fantasmée, voire réinventée, et un contexte de réception spécifique constituera une approche stimulante de la réception des mots anciens du vote. L’empan chronologique pourra être très large, depuis les relectures des institutions romaines à l’aune de la similitudo temporum dans la première modernité (dans le sillage de Machiavel) jusqu’à leur réception dans les discours politiques contemporains (populistes tout particulièrement), en passant par la lecture des institutions romaines et de la problématique de la souveraineté sous l’Ancien Régime (Terrel, 2013 et Andrivet, 2013 par exemple pour Montesquieu ; Récatas, 1955 pour la Révolution), époque où « à Paris on aim[ait] beaucoup singer Rome » (Maurice Block dans son Dictionnaire général de la politique de 1880, cité par Denquin, 2013). Depuis le début du xxie siècle, la réappropriation du vote antique dans les discours politiques porte essentiellement sur la notion de tirage au sort, et convoque donc plutôt un imaginaire athénien, auquel le vote romain, plus proche de nous, fournit le contrepoint traditionnel (Perrin, 2018, note 9 ; Courant et Sintomer, 2019).

Enfin, et dans une perspective plus historiographique qui nous ramène au premier axe de cet appel, on pourra s’intéresser à la manière dont ce regard rétrospectif a pu se transformer à l’inverse en boucle rétroactive chez les spécialistes du vote romain au xxe siècle, dans toutes les aires géographiques. Historiens et historiennes ont ainsi été conduits à rapprocher le vote romain des pratiques politiques qui leur étaient contemporaines, à l’image de L. R. Taylor qui, en 1966, comparait le vote de la centurie prérogative à Rome à l’effet d’entraînement des premières primaires présidentielles aux États-Unis (Taylor, 1966), ou de Cl. Nicolet, dont l’ouvrage classique sur les institutions romaines (Nicolet, 1976) ne peut se lire sans avoir en tête l’importance de la référence à la IIIe République dans la construction intellectuelle de l’auteur de L’idée républicaine en France.

Références

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Modalités de soumission

Les autrices et auteurs devront soumettre aux coordinatrices et coordinateurs, avant le 15 janvier 2022, un avant-projet en français (3 000 signes maximum tout compris), dont l’acceptation vaudra encouragement mais non pas engagement de publication.

Les articles originaux devront être adressés aux coordinatrices et coordinateurs avant le 1er septembre 2022 (maximum 45 000 signes tout compris). Conformément aux règles habituelles de la revue, elles seront préalablement examinées par les coordinatrices et coordinateurs du dossier, puis soumises à l’évaluation doublement anonyme de trois lecteurs français ou étrangers de différentes disciplines.

Les réponses aux propositions de contributions seront données à leurs autrices et auteurs au plus tard à la fin du mois de décembre 2022, après délibération du comité éditorial. La version définitive des articles devra être remise aux coordinatrices et coordinateurs avant la fin du mois de mars 2023.

Les textes devront respecter les règles de présentation habituellement appliquées par la revue (voir https://journals.openedition.org/​mots/​76). Ils devront être accompagnés d’un résumé de cinq lignes et de cinq mots-clés qui, comme le titre de l’article, devront également être traduits en anglais et en espagnol.

Coordinateurs et coordinatrices :

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