Volumes! La revue des musiques populaires

La valeur de la musique à l’ère des plateformes de streaming

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Au tournant du 21e siècle, la musique aurait soudain perdu de sa valeur. C’est en tout cas ce que certains ont argué. Pour les auditeurs et auditrices qui téléchargeaient des fichiers sur des plateformes de pair à pair (comme Napster ou Kazaa), ou qui s’échangeaient des fichiers MP3s par emails ou via clés USB, il ne fallait dès lors plus payer pour la musique en tant que telle, mais seulement pour les équipements informatiques sur lesquels ils/elles hébergeaient et archivaient ces fichiers. Pour beaucoup, ce tournant représentait non seulement une « révolution » (Knopper, 2009 ; Kot, 2010 ; Kusek et Leonard, 2005 ; Bylin, 2014), mais aussi le début de l’ère de la gratuité de la musique. Les maisons de disque ont en grande partie tenté de résister au tournant numérique pendant quelques années, en continuant de défendre le CD comme format de distribution principal (David, 2012), et perdant ainsi un temps précieux, tant le téléchargement gratuit de fichiers musicaux s’imposait en parallèle dans les pratiques des individus (Combes et Granjon, 2007).

L’arrivée des plateformes de streaming telles que Spotify, Deezer, TIDAL, Google Play, Pandora, Apple Music ont permis d’offrir une alternative légale et numérique, face au déclin des ventes de CDs (David, 2017), et face aux difficultés logistiques et législatives de contenir le téléchargement illégal de fichier numérique (Burk, 2014). Se basant sur les infrastructures du téléchargement (David 2017 ; Nowak, 2021), les plateformes de streaming offrent un accès à un large catalogue de musique via un modèle d’accès par licence. Les auditeurs paient désormais pour un abonnement (ou écoutent gratuitement, mais avec des coupures publicitaires) plutôt que par l’achat d’une « unité » de musique (un CD, un disque vinyle, une cassette) (Marshall, 2015).

Beaucoup d’artistes ont dénoncé les faibles retombées économiques des plateformes de streaming. C’est le cas en 2021 du chanteur Paul Weller, qui avait reçu de la part de Spotify moins de 10,000 $ pour 3 millions de streams (NME, 2021), arguant qu’il aurait reçu 3 millions $ à l’époque du CD. En 2021, plusieurs artistes britanniques (dont Ed O’Brien de Radiohead, Kate Bush, Nile Rodgers, Mick Jagger, Paul McCartney, Melanie C) ont co-signé un rapport remis au gouvernement l’appelant à réformer le secteur des plateformes de streaming (voir CBS News, 2021). Dans le même temps, des artistes amateurs profitent des plateformes de streaming pour accéder au marché de la musique et percevoir des revenus sans devoir passer par des maisons de disque (voir Nowak et Morgan, 2021). L’ouverture de l’accès au marché pose aussi la question de ce qui a été appelé les « faux artistes » (voir Maasø et Hagen, 2020 ; Morgan, 2020 ; Goldschmitt, 2020), terme qui désigne des individus qui orientent leurs choix créatifs en fonction de ce qui sera mis en avant par les algorithmes, ou qui postent des contenus sonores quelconques sur une plateforme dans le but de tirer un revenu.

Les systèmes de recommandation algorithmiques ont certainement ancré la musique dans l’ère de la « datafication » (Prey, 2016) : chaque aspect de nos écoutes sur les plateformes de streaming est mesuré et « nourrit » un algorithme de recommandation. Ce modèle de distribution rendrait les auditeurs « passifs » dans leur choix d’écoute (Karpik, 2007 ; Beuscart et al., 2019). D’autres soulignent au contraire le travail des auditeurs dans la sélection, l’organisation, et l’archivage des contenus musicaux sur les plateformes de streaming (Lüders, 2020). Alors que les goûts musicaux des auditeurs et auditrices sont à la fois diversifiés et ancrés dans leurs classes sociales et d’âge d’appartenance (Glevarec et al., 2020), le rôle des algorithmes de recommandations dans les répertoires de goût est débattu (Cardon, 2018 ; Beurscart et al., 2019).

La diffusion de la musique se retrouve plus que jamais entremêlée dans des logiques d’imbrications de dispositifs et de pratiques (Maisonneuve, 2019 ; Spilker, 2018). Dans ce contexte, nombres de discours vernaculaires, journalistiques, et universitaires remettent en question la « valeur » de la musique, en insistant soit sur sa gratuité (Marshall, 2015, 2019), soit sur sa diffusion omniprésente et l’absence supposée d’attention qui lui y est portée (Hesmondhalgh et Meier, 2018 ; Kassabian, 2013), ou même sur la passivité des auditeurs et auditrices qui se laisseraient bercer par les recommandations des algorithmes (Karpik, 2007 ; Beuscart et al., 2019).

Si la musique a semblé avoir perdu une dimension de rareté de sa valeur en devenant un temps « gratuite », sa généralisation semble attester d’un mouvement inverse de valorisation sociale et subjective. En effet, sa disponibilité et sa présence quotidienne s’accompagnent à l’inverse d’une grande valorisation à travers son inscription intime, dans la vie quotidienne et dans l’identité (DeNora, 2000 ; Nowak, 2016 ; Glevarec, 2021). On pourra se demander alors à quel « registre » de valeurs (Heinich, 2017) appartiennent les appréciations et évaluations ordinaires des individus à propos de la musique qu’ils écoutent, et quelle est la nature de leurs « attachements » à celle-ci et à certains contenus en particulier (Hennion, 2004).

Thématiques

Ce numéro spécial de Volume ! invite des contributions portant sur la question de la « valeur » de la musique, entendue au sens large du terme – valeur sociale, culturelle, expérientielle, et économique. Ainsi, les thèmes suivants seront considérés avec une attention particulière :

  • la valeur économique de la musique, le modèle de licence, la gratuité, la musique à l’unité, les formats physiques ;

  • l’économie de l’attention, la musique en arrière-plan, les « bonnes » façons d’écouter la musique, les pratiques d’écoute à l’ère des plateformes de streaming ;

  • la valeur expérientielle de la musique, ses usages contextuels, affectifs, son association avec des espaces du quotidien ;

  • la valeur sociale de la musique, représentation, reconnaissance interne (les genres) et externes (par rapport aux autres arts)

  • la datafication de la musique, les algorithmes comme système de recommandations, les goûts musicaux ;

  • les playlists et le statut des genres musicaux, la « fin » (supposée) des genres musicaux, l’émergence de nouveaux genres ;

  • l’esthétique de la musique, les faux artistes, la production de la musique à l’ère des plateformes de streaming.

Envoi des propositions

Nous invitons donc des contributions portant sur ces sujets (ou d’autres qui auraient été omis, en rapport avec le thème de l’appel) en envoyant, d’ici le vendredi 25 mars 2022, un résumé d’article détaillé entre 300 et 500 mots à Raphaël Nowak à l’adresse suivante : raphael.nowak@york.ac.uk.
Les avis seront communiqués avant la mi-avril. Les articles complets devront être envoyés avant le vendredi 16 septembre 2022.

Les articles seront ensuite soumis au processus d’évaluation de la revue.

Ce numéro spécial de Volume ! paraîtra fin 2023.

Bibliographie

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Arditi, D. (2019). ‘Music Everywhere: Setting a Digital Music Trap’, Critical Sociology, 45(4-5), 617-30.

Beuscart, J-S, Coavoux, S., et Maillard, S. (2019). « Les algorithmes de recommandation musicale et l’autonomie de l’auditeur. Analyse des écoutes d’un panel d’utilisateurs de streaming », Réseaux, 213 : 17-47.

Burk, D. (2014). ‘Copyright and the Architecture of Digital Delivery’, First Monday, 19:10.
DOI : 10.5210/fm.v19i10.5544

Bylin, K. (2014). Promised Land. Youth Culture, Disruptive Startups, and the Social Music Revolution, ebook, Leanpub.

Cardon, D. (2018). « Le pouvoir des algorithmes », Pouvoirs, (1), 63-73.
DOI : 10.3917/pouv.164.0063

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Combes, C. et Granjon, F. (2007). « La Numérimorphose des Pratiques de Consommation Musicale. Le Cas des Jeunes Amateurs », Réseaux, (145–46), p. 291–333

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Spilker, H. S. (2018). Digital Music Distribution. The Sociology of Online Music Streams, London: Routledge.
DOI : 10.4324/9781315561639