Mémoires du livre/Studies in Book Culture

La bande dessinée vagabonde : échanges, transferts, circulations

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Argumentaire

Née au XIXe siècle (Smolderen 2009), la bande dessinée se pose rapidement en porteuse et en instigatrice d’échanges transnationaux : publié dès 1939 dans Spirou, le Superman de Siegel et Shuster y est achevé par Jijé dans l’urgence en 1941 ; de 1948 à 1952, la revue québécoise catholique Hérauts connaît une version européenne, entièrement composée de productions étatsuniennes ; en 1969, le magazine Charlie Mensuel est lancé en France avec une maquette et un contenu directement inspirés du Linus italien, créé quatre ans plus tôt. Plus récemment, la porosité des frontières nationales se perçoit dans la présence importante et durable des mangas sur les marchés occidentaux et dans l’hybridation que cette présence engendre, visible notamment dans les séries Les Légendaires (Patrick Sobral, Delcourt) et La Rose écarlate (Patricia Lyfoung, Delcourt), qui reprennent le format franco-belge en le croisant avec les codes graphiques du manga (Suvilay 2021). On retrouve de tels croisements dans de nombreux autres pays : pensons à la scène brésilienne du manga, qui naît dès les années 1970 avec l’auteur d’origine japonaise Cláudio Seto, et aux « mangas haïdas » de l’artiste autochtone britanno-colombien Michael Nicoll Yahgulanaas. On observe encore l’embauche accrue de créateurs européens et sud-américains par les grands éditeurs de comics américains (JL Mast, Marcos Martin), voire de mangas (Tony Valente), ou la création de studios en Afrique subsaharienne qui ont à coeur de combiner les codes du comics avec une mythologie locale, notamment Zébra Comics au Cameroun, dont les ventes se font par ailleurs majoritairement aux États-Unis.

Ce numéro de Mémoires du livre / Studies in Book Culture propose d’interroger, dans une perspective multidisciplinaire, les transferts et les circulations qui touchent la bande dessinée. La notion de transfert est ici entendue dans son acception la plus large, soit comme « un processus dans lequel des objets, des idées et des pratiques sont transférés à travers deux ou plusieurs cultures […] » (Meylaerts et Lobbes). Plus précisément, elle suppose une modification et une réinterprétation des objets : « Transférer, ce n’est pas transporter, mais plutôt métamorphoser […] » (Espagne 2013). Mais encore faut-il, pour que ces processus s’opèrent, que les contacts entre cultures se concrétisent par le biais de circulations préalables. Il importe donc de retracer les itinéraires suivis par les bandes dessinées et de les mettre perspective avec les phénomènes de mondialisation (Crane, Kawashima et Kawasaki 2002). Tout en accordant une attention particulière aux circulations transnationales et transculturelles des bandes dessinées, ce numéro s’intéressera aux échanges sous-jacents qui les facilitent ou qui en découlent : transactions économiques, transferts de capital symbolique, transferts d’expertise technique, etc.

Axes thématiques

Les sujets traités pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants, sans s’y limiter :

Axe I : La circulation des objets

La circulation « physique » de la bande dessinée constitue sans doute son premier mouvement. Comment les productions (oeuvres uniques, séries, catalogues éditoriaux) circulent-elles, à petite et à grande échelle ? Quel sort leur réserve-t-on après leur acquisition par les lectrices et lecteurs ? Sont-elles revendues, prêtées, données, détruites ? De manière plus large, comment la bande dessinée circule-t-elle d’une aire culturelle à l’autre ? Qui sont les passeurs qui facilitent l’accès aux corpus étrangers, en abaissant les barrières géographiques, linguistiques, logistiques, morales ? Quels rôles jouent les festivals et les salons, de même que les instances qui les financent, dans ce processus ? Quelles sont les conditions qui permettent la circulation des objets, depuis les ententes entre éditeurs internationaux jusqu’aux politiques d’acquisition des lieux de conservation ?

Axe II : Adaptations et transformations

Si l’on considère, à la suite de Michel Espagne et Michael Werner, qu’un objet culturel doit subir une « transformation de son sens » (Espagne 2013) pour se déplacer efficacement d’une aire culturelle à l’autre (Espagne et Werner 1988), il apparaît que les stratégies d’adaptation jouent un rôle primordial dans les échanges, les transferts et les circulations auxquels la bande dessinée participe. En quoi ces stratégies affectent-elles les différentes composantes de la bande dessinée : les illustrations et le texte (parfois retouchés ou censurés), sans oublier le paratexte et le support, qui sont fortement liés à la commercialisation et aux habitudes de consommation des œuvres ? Par quels moyens les formes éditoriales se transportent-elles d’une aire à l’autre ? Et comment les discours qui accompagnent les œuvres adaptées (publicité, critiques, pochettes de presse) modulent-ils leur réception ? Dans le même ordre d’idées, quel est l’impact du lectorat et de son discours sur la bande dessinée – que celui-ci soit véhiculé par les courriers des lecteurs, par la production de fanzines ou d’articles critiques sur internet –, sur l’élargissement ou la diffusion de ses contenus (scantrads, traductions officieuses et fanfictions réinvestissant des productions existantes) ?

Axe III : Esthétiques et imaginaires en dialogue

Les travaux récents sur la littérature populaire ont montré que la mondialisation des esthétiques et des imaginaires sériels, qui s’accélère au début du XXe siècle, a permis de forger des architextes transnationaux malléables, adaptables aux différents marchés (Letourneux 2020). En transposant ces observations au domaine de la bande dessinée, on peut interroger les usages que les producteurs et les consommateurs font des formes éditoriales (romans graphiques, comics, mangas…) lorsqu’elles intègrent différentes aires culturelles. Plus largement, on s’intéressera aux procédés de réception et de recréation qui propagent les mythes associés à certains personnages. Pensons, entre autres, à la « Fabrique des héros » (Les Impressions Nouvelles), qui étudie les plus célèbres figures issues des fictions sérielles et transmédiatiques. La question des catégorisations (autobiographie, documentaire, comics de superhéros, seinen, josei…), intimement liée à celle de la réception des objets, apparaît tout aussi primordiale. De quelle manière la circulation de genres nouveaux se reflète-t-elle dans les systèmes de classement et de promotion des bibliothèques publiques et des points de vente ? Si les influences plurielles constituent presque une nouvelle norme pour des auteurs ayant grandi dans un monde globalisé, comment circulent les œuvres, parfois loin des regards, dans les pays dirigés par des régimes autoritaires (les États du bloc de l’Est, la République populaire de Chine, l’Argentine des juntes, le Japon impérial, entre autres) ? Enfin, à l’époque contemporaine, quelles typologies de rencontres créatives, voire d’hybridations, croise-t-on dans la bande dessinée ? Dans quelle mesure sont-elles modulées par la multiplication des procédés de création et de diffusion, notamment numériques ? Bref, comment les traditions et les esthétiques visuelles issues de communautés distinctes en viennent-elles à dialoguer ?

Modalités de soumission

L’appel à propositions est ouvert aux chercheuses et aux chercheurs de toutes les disciplines (littérature, histoire, bibliothéconomie, économie, sciences de l’éducation, sciences politiques…). Les personnes intéressées sont priées d’envoyer leur proposition de 300 mots, accompagnée d’une notice biographique de 100 mots, à

avant le 15 mai 2022.

Après l’évaluation des propositions, un avis d’acceptation ou de refus sera émis au plus tard le 30 mai 2022. Les articles complets, d’une longueur de 25 000 à 60 000 signes (espaces et notes incluses), sont attendus d’ici le 1er novembre 2022 et seront publiés au printemps 2023.

Bibliographie

Laura Caraballo et Jean-Paul Gabilliet (dir.), dossier « BD, comics, historietas, quadrinhos : les circulations transnationales de la bande dessinée au sein de l’espace américain », IdeAs. Idées d’Amériques, mars 2022, https://journals.openedition.org/ideas/12035.

Diana Crane, Nobuko Kawashima et Ken’ichi Kawasaki (dir.), Global Culture. Media, Arts, Policy, and Globalization, Londres, Routledge, 2002.

Michel Espagne et Michael Werner (dir.), Transferts. Les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1988.

Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres, no 1, 2013, http://rsl.revues.org/219.

Nicolas Labarre, Heavy Metal, l’autre Métal Hurlant, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « SF Incognita », 2017.

Yves Lacroix, « La bande dessinée dans les journaux québécois (1930-1950). Un inventaire », La Nouvelle barre du jour, no 110-111, février 1982, pp. 101-109.

Sylvain Lesage et Jean-Paul Gabilliet, « Angoulême and the Ninth Art : From Comics Fandom to Cultural Policies », Journal of Comics and Culture, n° 5, 2020, pp. 69-89.

Sylvain Lesage, L’effet livre. Métamorphoses de la bande dessinée, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2019.

Matthieu Letourneux, « Incidence des supports dans les mutations des imaginaires sériels. Le cas d’Eichler et des dime novels européens », Belphégor. Littérature populaire et culture médiatique, vol. 18, n° 1, 2020, https://journals.openedition.org/belphegor/2629.

Matthieu Letourneux, « La disparition du genre des mystères urbains », dans Dominique Kalifa et Marie-Ève Thérenty (dir.), « Les Mystères urbains au XIXe siècle : circulations, transferts, appropriations », Médias 19, 2015, http://www.medias19.org/index.php ?id =17039.

Dan Mazur et Alexander Danner, Comics : A Global History, 1968 to the Present, Londres, Thames & Hudson, 2014.

Reine Meylaerts et Tessa Lobbes, « Transfert », dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius, http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/55-transfert.

Roger Sabin, Comics, Comix & Graphic Novels : A History of Comic Art, Londres, Phaidon, 2001.

Thierry Smolderen, Naissances de la bande dessinée, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2009.

Bounthavy Suvilay, Dragon Ball, une histoire française, Liège, Presses universitaires de Liège, coll. « ACME », 2021.

Bounthavy Suvilay, La culture manga, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « L’Opportune », 2021.

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