Revue d'histoire culturelle

Cultural studies et histoire culturelle, vues d’ailleurs

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Expected response for the 15/01/2023

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Les cultural studies, originaires d’Angleterre, lancées par les parutions successives – entre autres – de The Uses of Literacy de Richard Hoggart (1957) et des Popular Arts de Stuart Hall (1964), sont souvent identifiées comme un courant transdisciplinaire, porteur à la fois d’une dimension critique et politique. Aux côtés du matérialisme culturel de Raymond Williams, les travaux du Center for Contemporary Cultural Studies de Birmingham participent à l’essor des Cultural Studies La compréhension sensible, à tout le moins anthropologique, de l’objet d’étude, l’analyse de la capacité de résistance des classes dominées, le constat d’une réappropriation sociale des objets culturels constituent les marqueurs de ces premiers écrits, fondateurs.

Par sa volonté de questionner les rapports de pouvoir existant au sein de la culture, tout en s’interrogeant sur les stratégies des groupes sociaux, les cultural studies font système, à défaut de faire école. Les premières publications, anglaises, ont essaimé, ouvrant la voie à des « études culturelles », dont l’hétérogénéité interpelle. Les recherches, aux thématiques changeantes, regroupées sous le label de cultural studies, cachent une diversité de pratiques, bien éloignées d’une normal science (cf. Erik Neveu, « La ligne Paris-Londres des Cultural Studies : une voie à sens unique ? », dans Dix ans d’histoire culturelle, 2011, p. 159-173, https://books.openedition.org/pressesenssib/1024). Une deuxième génération menée par Angela McRobbie, Paul Willis et Dick Hebdige, entre autres, a poursuivi le mouvement, en accentuant sa dimension subversive, tout en se maintenant dans le champ scientifique, en étudiant les motards, les lectures adolescentes ou encore les mods[1]. Dans le même temps, le questionnement s’exporte à partir des années 1980, notamment aux États-Unis. Sur place, le croisement avec la problématique déjà ancienne des minorités et de l’identité ethnique démultiplie les approches. Les cultural studies, préalablement conçues comme une « antidiscipline », se risquent alors à une segmentation en hispanic, chicano, afro-american studies, au rythme des fractures de la société étasunienne. Si les deux dernières décennies voient une diffusion massive des cultural studies, la généalogie semble plus complexe et plurielle qu’attendue.

D’une interrogation empirique marxiste portant plutôt sur les classes, le questionnement s’est significativement mondialisé et étendu aux genres et aux races, comme tendent à le montrer certaines évolutions des cultural studies (postcolonial, gender studies). Corrélativement aux recherches consacrées aux minorités, les études culturelles se sont aussi attardées sur des sous-groupes ou des objets singuliers, des comics studies aux food studies, Le questionnement des classes sociales a ainsi laissé place à une inquiétude plus ethnographique, s’attachant toujours à la réception, mais en analysant les filtres sociaux qui s’appliquent.

En définitive, l’intégration de ces objets ou de ces catégories sociales, dépréciés, ou plus simplement ignorés, a permis un renouveau partiel mais concret des approches. Si les frontières et les hiérarchies disciplinaires ont été bousculées, s’agissant de l’espace français, l’institutionnalisation de ces recherches est souvent restée timide. En effet, si l’interprétation des rapports de domination culturelle est reprise et commentée par des sociologues comme Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, les historiens français ont suivi une voie plus spécifique, autour de l’histoire culturelle, avec une autre généalogie, et donc d’autres traditions, durablement établies. L’histoire culturelle s’est construite sur une histoire sociale des représentations, essentielles pour saisir les attitudes collectives, mais aussi envisager la réciprocité entre un fait social et sa diffraction, entre des pratiques culturelles et l’imaginaire qui leur est lié. Malgré le partage commun de l’épithète « culturel », les dissemblances méthodologiques entre les deux approches en France restent frappantes.

Le prochain dossier de la rubrique « Épistémologie en débats » de la RHC propose de dépasser ces oppositions en questionnant la manière dont les historiographies étrangères ont pu acclimater les cultural studies et s’emparer d’éléments tels que l’entrée thématique par les groupes sociaux ; l’attention particulière accordée au regard et à l’objet culturel ; les protocoles d’enquêtes, notamment une méthode héritée des études littéraires et des enquêtes orales collectives, pragmatiques autant qu’empiriques, ou encore de manière plus frontale et plus politique, la capacité, l’agency, d’un groupe social à s’approprier un contenu culturel.

À l’heure où les cultural studies ont essaimé dans le monde, de Jesùs Martin-Barbero et des Latin American Cultural Studies à Carli Coetzee et des African Cultural Studies, la multiplicité des approches et des démarches ne laisse d’interroger. Comment ont circulé les cultural studies ? Des cultures urbaines aux cultures musicales, comment les historiographies étrangères se sont-elles approprié ces thématiques ? Y a-t-il encore un dénominateur commun à ces approches ? La question de la réception jette des ponts entre les chercheurs, à l’image des mass medias de Todd Gitlin ou de Richard Campbell, tout comme le primat du politique, défendu par Frederic Jameson. Ce faisant, l’interrogation culturelle, l’intérêt pour les stratifications sociales et l’étude des hiérarchies socio-culturelles constituent de possibles traits d’union.

Afin d’aborder le dialogue entre cultural studies et histoire culturelle. les points suivants seront susceptibles d’être éclairés :

 

1.Le premier concernera la circulation mondiale des cultural studies. Si les généalogies britanniques et la circulation nord-américaine sont connues, la rubrique souhaiterait revenir sur les modalités et les résultats de l’expansion géographique du courant. La diffusion européenne, notamment au Portugal, avec Alvaro Pina, ou en Finlande avec Pertti Alasuutari, le vecteur américain et indien, autour de Gayatri Chakravorty Spivak, Partha Chatterjee, Dipesh Chakrabarthy et des post colonial  studies, ou de Ranajit Guha et des subaltern studies sont susceptibles d’être étudiés, tout comme d’autres espaces, australiens avec Graeme Turner, et sud-américains avec la greffe réussie des Estudios culturales. En envisageant les cultural studies comme un objet international, il s’agit de comprendre les contextes d’adaptation et les reconfigurations locales, nationales, d’un paradigme mondialisé.

 

2.Le deuxième point abordera le devenir des cultural studies. Il est acquis que le cadre de travail dans lequel elles s’inscrivent est relativement informel : il n’existe que peu de départements spécifiques alors que les chercheurs qui s’y rattachent viennent d’horizons et de traditions disciplinaires différents, de la littérature comparée à la sociologie de la culture. Ainsi fragmentées, elles souffrent d’un manque de visibilité, qu’aggravent un peu plus les dénominations par champs. Ne pouvant se rattacher à un corpus méthodologique ferme, refusant d’être une discipline enfermée dans un académisme qu’elles condamnent, un consensus l’emporte néanmoins pour les définir comme l’étude d’une forme de matérialisme culturel, permettant l’analyse de catégories sociales populaires. À l’heure des segmentations et des spécialisations grandissantes des studies, de la multiplication des ancrages territoriaux, les cultural studies questionnent avec pertinence les identités autant que les différenciations sociales. Cependant, la remise en cause des cadres nationaux et des structures sociales traditionnelles pousse les cultural studies à se réadapter et à se risquer à de nouveaux terrains et à de nouveaux objets. Dans ce cadre, l’émergence récente d’un courant « posthumain » aux États-Unis, autour de Florian Cord, Tyson E. Lewis et Richard Kahn pourrait être questionné.

3.Le dernier point portera sur les liens et les ruptures épistémologiques entre histoire culturelle et cultural studies. Le présentisme revendiqué des cultural studies face à la diachronie et au questionnement historique, le choix des sources et la méthodologie employée constituent des différences structurelles. L’intérêt pour le commun, le quotidien, le trivial est partagé par les deux approches, pour autant le traitement de ces sources diffèrent. Enfin, l’interrogation sur l’identité d’un collectif ou d’un groupe social, revendiquée par les cultural studies, peut être lue à l’aune des représentations, socialement partagées, étudiées par l’histoire culturelle. Ainsi l’apport des cultural studies, qu’il s’agisse de travaux sur les acteurs sociaux, les pratiques culturelles et les objets, comme les différences d’approches, pourront faire l’objet de propositions.

Échéancier

  • Notification aux auteurs courant février 2023
  • Remise des articles complets (50 000 signes environ espaces compris) : 15 mai 2023
  • Publication à l’automne 2023

Procédure d’évaluation

Les articles de la rubrique « Épistémologie en débats » donnent lieu à un examen en comité de rédaction après une évaluation en double aveugle. Ils peuvent être rédigés en français ou en anglais. Ils pourront faire l’objet de demandes de modifications sur le fond comme sur la forme. Les auteurs valideront la dernière mouture de leur texte, dont ils seront considérés comme responsables.

Les contributions attendues devront adopter la feuille de style, en français ou en anglais, remise aux auteurs au moment de la notification de l’acceptation. Une courte bio-bibliographie de l’auteur, comportant son adresse électronique, un résumé en français et en anglais ainsi que des mots clefs dans les deux langues sont demandés. Les illustrations sont les bienvenues ; elles doivent être libres de droit.

Notes

[1] Hebdige D., 1979, Sous-culture. Le sens du style, tard de l’anglais (États-Unis) par M. Saint-Upéry, Paris, Éd. Zones, 2008 ; McRobbie A., 1991, Feminism and Youth Culture. From Jackie to Just seventeen, Basingstoke/Londres, Macmillan ; Willis P., L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, préface de Sylvain Laurens et Julian Mischi, Paris, Agone, 2011, 438 p.

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